L’estime de soi, un bien précieux qui fait souvent défaut
De quoi on parle
A l’affiche du film Les Gardiennes en ouverture du Geneva International Film Festival (GIFF), Laura Smet rayonne. Après une jeunesse tourmentée, entre drogues et alcool, la fille de Johnny Halliday et Nathalie Baye a finalement trouvé un équilibre. Elle confie d’ailleurs au magazine Gala: «Enfin je suis heureuse. Je vis avec un homme que j’aime depuis quatre ans et demi, je n’ai plus peur du regard des autres.» En surmontant ses vieux démons, la jeune femme semble avoir gagné en estime d’elle-même.
C’est peut-être le défi le plus important de la vie d’un être humain: la plupart d’entre nous peine à construire une estime de soi solide. De manière générale, nous avons tendance à nous percevoir d’une façon bien plus négative que la réalité. Et si nous la poursuivons sans cesse, c’est que l’estime de soi est une composante fondamentale de notre bien-être. Elle permet notamment de bien se connaître, d’être performant, aimant, habité par un calme intérieur et une forme de sérénité. «Nous avons souvent tendance à chercher l’estime de soi à l’extérieur, notamment dans le regard des autres, constate le Dr Nicolas Belleux, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Pourtant, seuls nous-même sommes capables de nous l’apporter. Nous avons certes besoin des autres, mais ils ne peuvent pas entièrement nous combler».
Des racines dans l’enfance
L’estime de soi commence à se construire très tôt, au cours de la petite enfance. «Le doute de soi est souvent lié au rapport avec la mère, explique le Dr Xavier Pommereau, psychiatre spécialiste de l’adolescence en difficulté. Une absence maternelle peut beaucoup angoisser un enfant, qui vivra cela comme un manque de fiabilité. C’est très cruel pour elle, car la plupart du temps, ce n’est pas de sa faute. Le père joue également un rôle, mais plus indirect: il confirme la fiabilité du couple parental. D’ailleurs, voir ses parents se déchirer peut nourrir le doute au sujet de ses propres performances». En grandissant, un enfant va ensuite se tourner vers ses pairs (les autres enfants) pour renforcer son estime. «L’adolescent a besoin d’un personnage de transition pour confirmer l’estime qu’il a de lui-même, remarque le spécialiste. Ainsi, les filles ont souvent tendance à avoir une meilleure amie avec qui elles forment un duo, tandis que les garçons fonctionnent plutôt en trio ou quatuor».
Si l’éducation et le parcours scolaire sont d’importants facteurs dans le développement de l’estime de soi, ils ne sont pas les seuls. Notre société actuelle, basée sur le rendement, nous pousse à toujours vouloir se surpasser. De plus, la culture dans laquelle nous vivons influence notre rapport à l’estime. «En Suisse, l’estime de soi tend à être plutôt mesurée, analyse le Dr Lucio Bizzini, psychologue et psychothérapeute FSP. Roger Federer en est un très bon exemple: son talent est exceptionnel et il le reconnaît, mais il semble l’accueillir avec une sorte de retenue, typique de la mentalité suisse». Mais avant tout, l’estime de soi reste quelque chose de très personnel, qui varie en fonction du vécu et des vulnérabilités individuelles.
Les troubles de l’estime
Renforcer l’estime de son enfant*
Quelques attitudes et conseils peuvent aider votre enfant à relativiser ses inquiétudes:
- Prenez le temps de l’écouter attentivement, de bien lui faire préciser l’intégralité de ses pensées et de ses préoccupations, avant de le rassurer.
- Evitez de minimiser l’importance de ses soucis. Au lieu de lui dire «Il y a des choses bien plus graves dans la vie», répondez plutôt « Je vois bien que cela te tracasse, j’ai l’impression que ça te rend vraiment triste. Je comprends que ce ne soit pas agréable».
- Essayez de montrer à votre enfant que ses doutes sont probablement partagés par d’autres enfants, par exemple de la manière suivante: «Tu crois que la maîtresse préfère tous les autres à toi? Tu ne penses pas que parfois, les autres ont aussi l’impression que la maîtresse ne les aime pas?»
- Ne cherchez pas à le rassurer trop vite, à peine son problème compris. Invitez-le à continuer de vous en parler pour que vous compreniez bien les détails de ce qui le tourmente.
- Si vous pensez pouvoir apporter des réponses à votre enfant, essayez d’abord de le faire réfléchir à ses propres solutions.
* Conseils tirés de: «L’estime de soi» de Christophe André et François Lelord, Editions Odile Jacob, 2008.
Lorsque, tout comme Laura Smet, on souffre d’une estime de soi particulièrement basse, divers troubles peuvent avoir tendance à se développer. A l’image de la jeune femme, l’anxiété sociale, la dépression et l’addiction à certaines substances sont des signes relativement fréquents d’un manque d’estime. «L’alcool ou la drogue peuvent donner l’illusion d’acquérir une sorte de contenance qu’on ne possède pas en temps normal, remarque le Dr Belleux. Une personne qui reste habituellement dans l’ombre aura parfois l’impression de gagner en assurance grâce à cela. Mais dans certains cas, le manque d’estime peut aussi se manifester par une apparente confiance en soi, avec une tendance à écraser son entourage pour être plus puissant». Un trouble de l’estime peut donc s’avérer difficile à identifier, car le phénomène est très insidieux et pourvu de multiples facettes.
Thérapies et hygiène de vie
Heureusement, de nombreux outils permettent de reconstruire une estime de soi plus solide. La plupart de ces méthodes utilisent l’introspection. L’auto-observation permet de mieux identifier ses propres ressources. «Dans les années quatre-vingt, on a beaucoup développé les thérapies par affirmation de soi, indique le Dr Bizzini. Aujourd’hui, les thérapeutes ajoutent à cela d’autres méthodes issues de la psychologie positive ou des thérapies basées sur la pleine conscience (lire encadré mindfulness) qui permettent non seulement de soigner le manque d’estime de soi mais également de s’épanouir. Pour reconstruire une estime de soi, on dispose désormais de toute une gamme de stratégies comme la discussion, l’auto-observation, l’écriture ou encore un travail sur la bienveillance».
De manière générale, adopter une hygiène de vie saine peut permettre de reprendre confiance en soi. Certaines activités sont également recommandées pour gagner en assurance. «Pratiquer un art martial est souvent très bénéfique, remarque le Dr Belleux. Car la simple idée d’être capable de se défendre redonne de la confiance. D’autres activités comme l’improvisation théâtrale apprennent à réagir dans des circonstances très diverses, et renforcent le sentiment d’être apte à surmonter une situation autrefois difficile à gérer». A chacun de choisir ce qui lui convient le mieux, sans oublier de régulièrement prendre le temps de s’observer. Et, bien-sûr, de se féliciter lors de progrès.
Le mindfulness pour accéder à la sérénité
Le mindfulness (ou méditation de pleine conscience) est une pratique spirituelle et laïque, qui peut permettre de retrouver calme intérieur et sérénité. Issue du bouddhisme, cette méthode est scientifiquement reconnue pour ses nombreux bienfaits. Le principe consiste à s’ouvrir à l’instant présent, en observant avec curiosité ses sensations, ses pensées et sa respiration. La médiation permet alors de se tenir à l’écart de ruminations négatives et de mieux vivre certaines situations. Des études scientifiques ont même montré que la pratique méditative intensive des moines tibétains induisait des modifications dans la structure de zones cérébrales, aiguisant notamment les capacités d’attention et de gestion émotionnelle.
Pour que le mindfulness soit pleinement efficace, un investissement personnel important est nécessaire. En effet, l’entraînement et la régularité sont primordiaux. Plus une personne s’entraîne, plus elle sera capable de maintenir ou ramener son attention si celle-ci s’égare. Les spécialistes recommandent donc de pratiquer la méditation au minimum dix minutes par jour, mais idéalement entre trente et quarante-cinq minutes.
Paru dans Le Matin Dimanche du 19/11/2017.