«Blue Monday»: fausse équation mais vraie déprime?

Dernière mise à jour 20/01/22 | Article
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Que penser du «Blue Monday», déclaré jour le plus déprimant de l'année? Et si le troisième lundi de janvier était surtout l’occasion de faire le point sur ces nuages gris qui s’invitent peut-être un peu trop dans nos pensées?

Zoom sur la dépression saisonnière

Les mécanismes en jeu dans la dépression saisonnière sont-ils similaires à ceux d’une dépression «classique»? Pas totalement. «La durée anormale de la sécrétion nocturne de mélatonine est l’une des hypothèses les plus étudiées», révèle la Dre Sylfa Fassassi, médecin associée au Service de psychiatrie générale du CHUV. Pour rappel, cette hormone est naturellement produite par l’organisme en réponse à la baisse de lumière en fin de journée, amorçant ainsi le cycle du sommeil. «Chez la plupart des personnes souffrant de dépression saisonnière, on observe un décalage de phase, l’horloge biologique interne se synchronisant mal avec le rythme extérieur», explique l’experte. Touchant 2 à 4% de la population, la dépression saisonnière se traite en premier lieu par luminothérapie. «À initier idéalement au début de l’automne, ses résultats sont souvent perceptibles dès la première semaine de traitement», note la Dre Fassassi.

On imagine la formule sur un tableau aussi noir que ses prédictions. Apparue en 2005, l’équation du «Blue Monday» combine les supposés ingrédients qui mineraient notre moral. Et le résultat du calcul atteindrait son point culminant le troisième lundi du mois de janvier. Parmi les éléments chiffrés, on trouve le facteur météo, les dettes contractées durant les fêtes de fin d’année, le temps écoulé depuis les réjouissances de Noël et l’élan des bonnes résolutions, ou encore le degré de motivation possiblement en berne en cette saison. Mélangez le tout et vous obtenez, chaque année, une date oscillant aux alentours des 16 ou 17 janvier. Assez vite, entre données évidemment imprévisibles (la météo le jour J par exemple) et hautement personnelles, on devine les limites de l’équation en question. Et soudain, tout s’éclaire. L’affaire prend en réalité sa source dans une opération commerciale. L’auteur de la formule, le psychologue britannique Cliff Arnall, a reconnu avoir été payé pour les besoins d’une agence de voyage. Mais en 2010, dans les colonnes du Telegraph*, il fait lui-même machine arrière: «(…) j'encourage (…) les gens à réfuter l'idée qu'il existe un jour le plus déprimant et à utiliser cette journée comme un tremplin pour les choses qui comptent vraiment dans leur vie.»

Et pourtant, chaque année, le «Blue Monday»fait parler de lui, intrigant les uns et agaçant beaucoup d’autres. Car au-delà de son caractère insolite, la formule fait courir le risque de banaliser des troubles psychiques bien réels, à commencer par la dépression. «Il s’agit d’une maladie sérieuse, parfois grave, qui ne se manifeste évidemment pas un jour précis dans l’année selon des indicateurs mathématiques défavorables, réagit la Dre Sylfa Fassassi, médecin associée au Service de psychiatrie générale du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Et d’ajouter: «Le principe même d’un tel événement laisse aussi entendre que le reste du temps, tout peut aller mieux, l’environnement étant alors plus propice au bien-être. Or, lorsque l’on souffre de dépression, les préjugés tels que "Si on veut, on peut" sont délétères, ils peuvent accroître le désarroi et ne favorisent pas l’accès aux soins nécessaires.»

Une parenthèse au cœur de l’hiver

Et si, à défaut de «célébrer» ce troisième lundi de janvier, cette parenthèse au cœur de l’hiver était l’occasion de se pencher sur notre santé mentale? Manque de lumière, journées encore courtes, tourments individuels et toujours l’omniprésence de la pandémie (lire encadré) peuvent bel et bien avoir des conséquences. Alors, quand les pensées s’obscurcissent, comment distinguer simple déprime, véritable dépression ou dépression saisonnière? La déprime est par essence passagère. «Elle ne dure généralement que quelques jours, rappelle la Dre Fassassi. Les moments de déprime font partie de la vie et peuvent apparaître suite à un événement ou à une contrariété, ou s’inviter dans des périodes de doutes ou de questionnements.» La véritable dépression répond quant à elle à des critères bien précis. «Il en existe plusieurs formes, plus ou moins sévères, mais certains signes clés doivent alerter dès lors qu’ils s’installent de façon quasi permanente pendant plus de deux semaines et perturbent le quotidien, détaille l’experte. Parmi eux: tristesse inhabituelle, perte de plaisir, fatigue inexpliquée, modification de l’appétit, troubles du sommeil, pensées suicidaires. Un diagnostic précis est important en cas de dépression pour adapter la prise en charge au cas par cas.»

Et qu’en est-il si, invariablement, le moral chute à l’automne, reste terne tout l’hiver et se regonfle de lui-même au printemps? «Un tel tableau, s’il se répète au moins deux années de suite, évoque une dépression saisonnière (lire encadré). Si l’on croit souffrir de ce trouble, l’idéal est d’en parler à son médecin», suggère la Dre Fassassi. Et de conclure avec ces conseils adaptés à ces temps tourmentés: «Consulter si l’humeur maussade s’installe trop longtemps et prendre soin de soi, en gardant à l’esprit que ce qui est bon pour le moral est souvent bon pour le corps, et vice versa… Les recommandations incitant à soigner son sommeil, son alimentation et à bouger suffisamment semblent relever de la banalité, mais sont incontestablement très bénéfiques.»

Et la pandémie dans tout ça?

Près de deux ans maintenant que la pandémie de Covid-19 s’est invitée dans nos vies, constituant une indéniable épreuve pour notre santé mentale. Un récent rapport de l’Office fédéral de la santé publique** met en lumière les disparités individuelles observées, révélant des profils plus à risque que d’autres – les personnes âgées, atteintes dans leur santé psychique ou vivant dans la précarité notamment –, mais il rappelle aussi les forces s’affrontant pour chacun lors d’une telle crise: «intensité et fréquence des contraintes (facteurs de stress) » face aux « ressources disponibles (facteurs de protection)». On le devine, beaucoup se joue dans cette dualité forcément fluctuante. «La pandémie est éprouvante parce qu’elle nous expose à l’incertitude, à la peur, au manque de contrôle, aux contraintes, tout en nous exhortant à nous adapter, vague après vague, souligne la Dre Camille Piguet, psychiatre et cheffe de clinique scientifique à l’Université de Genève et aux Hôpitaux universitaires de Genève. Ce stress devenu chronique teste notre capacité de résilience. Or celle-ci allie nos ressources personnelles, notre capacité d’agir face aux épreuves par exemple, avec notre situation sociale, économique, qui peut constituer une alliée ou, à l’inverse, un handicap. Mais dans un tel contexte, personne n’est à l’abri de l’épuisement. Il est donc crucial d’identifier ce qui nous ressource au quotidien et ne pas hésiter à consulter, si l’on sent que l’on n’arrive pas, ou plus, à faire face.»

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* Ignore 'most depressing day of year' says Blue Monday psychologist: https://www.telegraph.co.uk/news/newstopics/howaboutthat/7006564/Ignore-most-depressing-day-of-year-says-Blue-Monday-psychologist.html

** https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/das-bag/aktuell/news/news-16-07-2021.html

Paru dans Le Matin Dimanche le 16/01/2022

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