(Re)sortir ses baskets pour contrer la dépression?
Des actions multiples
Comment expliquer les effets positifs de l’activité physique sur les troubles dépressifs? De même que la dépression a des origines multifactorielles, la pratique d’une activité physique agirait sur plusieurs plans à la fois. Au niveau psychologique, elle procure rapidement une sensation de mieux-être et augmente l’estime de soi. Le sport agit aussi sur le plan biologique, détaille la Dre Sylfa Fassassi, médecin associée au Service de psychiatrie générale du CHUV: «Il peut jouer un rôle positif dans la régulation de l'humeur en influençant la manière dont notre corps utilise le tryptophane, un acide aminé, pour synthétiser la sérotonine, un neurotransmetteur dont le déficit est associé à la dépression. De plus, grâce aux modèles animaux, nous savons que l’activité physique augmente la neuroplasticité. En favorisant la production de nouveaux neurones, en particulier dans la région de l’hippocampe, elle améliore certaines fonctions cognitives et l’humeur.» L’activité physique réduit aussi l’inflammation, potentiellement impliquée dans la dépression, et le stress, connu pour jouer un rôle dans les maladies chroniques, notamment mentales.
La dépression est la maladie psychique la plus fréquente en Suisse: 9% de la population est touchée. À côté des traitements classiques comme les antidépresseurs ou la psychothérapie, l’activité physique se révèle de plus en plus comme un traitement complémentaire efficace dans la gestion de cette maladie. La course à pied semble par exemple avoir des effets comparables aux antidépresseurs pour lutter contre la dépression. «Des études récentes montrent que la pratique d’une activité physique est pertinente pour les dépressions légères à modérées, explique la Dre Sylfa Fassassi, médecin associée au Service de psychiatrie générale du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). En cas de dépression sévère, elle devrait être envisagée en complément d’un traitement pharmacologique et/ou psychothérapeutique pour augmenter l’efficacité globale du traitement. Cependant, même si elle est prometteuse, l'activité physique n'est pas encore entièrement intégrée dans les stratégies de traitement standard. Des protocoles plus détaillés et personnalisés sont nécessaires pour que cette approche puisse être adaptée efficacement à chaque personne, en fonction de la nature et de la gravité de la dépression.»
Des effets similaires aux antidépresseurs
Une étude récente* menée par le département de psychiatrie de l’Université libre d’Amsterdam chez des personnes souffrant de dépression et/ou de troubles anxieux a comparé les effets d’un traitement à base d’antidépresseurs avec la pratique de la course à pied en groupe (30 minutes deux à trois fois par semaine). Après quatre mois à ce régime, 43% des personnes n’étaient plus considérées comme dépressives (selon des critères standards) et près d’un tiers ont observé une réduction d’au moins 50% de la sévérité de leurs symptômes. Des résultats presque identiques à ceux obtenus avec les personnes ayant reçu le traitement pharmacologique. Avec un bénéfice supplémentaire pour le groupe qui a couru: une amélioration d’autres paramètres de santé physique. Un point important pour la population dépressive, souvent sédentaire. «Cette étude est intéressante car son protocole de course à pied est reproductible: nous pourrions nous baser sur elle pour prescrire l’activité physique. Toutefois, elle souligne également la difficulté des personnes à suivre une activité physique régulière, même si elles la préfèrent à la prise d’antidépresseurs», analyse la Dre Fassassi.
Adhérer à une activité physique
Si la course à pied est excellente contre la dépression, toute activité physique est favorable, pour tout le monde, et n’a quasiment pas d’effet indésirable. Même la marche améliore la santé mentale. Un autre point positif est que le sport a un effet préventif sur l’apparition de nouveaux épisodes dépressifs: les personnes qui pratiquent régulièrement une activité physique ont moins de probabilités de développer une dépression. «L’important est que les personnes adhèrent à ce "traitement" et réalisent véritablement l’activité physique prescrite, ce qui est parfois plus compliqué que de prendre un médicament», précise la Dre Fassassi. Un effet constaté dans l’étude ci-dessus: près de la moitié des personnes du groupe de course à pied n’a pas réalisé le nombre de séances d’exercice physique demandé. L’activité choisie devrait donc être à la fois facile à intégrer dans le quotidien et plaisante. Il est aussi plus facile de pratiquer du sport en groupe, ce qui permet d’ailleurs de socialiser: un aspect favorable pour le traitement de la dépression. «Cependant, certains symptômes comme la baisse d’énergie ou la réduction de la capacité à se mobiliser peuvent compromettre la possibilité de débuter ou de maintenir la quantité d’activité physique recommandée. Dans ce cas, il vaut mieux commencer par de petits objectifs, comme sortir de chez soi pour prendre le courrier ou marcher jusqu’à un café par exemple», conseille la spécialiste.
Se préparer pour éviter les blessures
Pour éviter de se faire mal en commençant ou en reprenant la course à pied, quelques notions sont essentielles, car il s’agit d’un sport avec plus d’impacts que la natation ou le vélo, par exemple. «Un des points importants concerne les qualités mécaniques et musculaires de la personne, explique François Fourchet, physiothérapeute responsable du Service de physiothérapie à l’Hôpital de la Tour et co-auteur d’un livre** sur la course à pied.Il existe souvent des déficits concernant les muscles clés, comme les mollets et les fessiers. Et avec l’âge, on perd aussi de la force musculaire si on ne la travaille pas. Il faut donc faire du renforcement en amont, par exemple en réalisant des montées sur la pointe des pieds ou des petits sauts sur place.» Le deuxième conseil est d’adapter la charge d’entraînement à son niveau, avec un démarrage progressif: «Il faut éviter de débuter avec cinq séances par semaine ou doubler du jour au lendemain la durée de la course.» Le dernier axe concerne la technique de course en soi. Pour comprendre sa foulée et peut-être l’améliorer, il peut être utile de rejoindre un club. C’est une bonne manière de se faire conseiller ou de prendre des leçons avec une ou un coach.
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* J. E. Verhoeven et al. (2023). Antidepressants or running therapy: Comparing effects on mental and physical health in patients with depression and anxiety disorders. Journal of Affective Disorders, 329, 19-29. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0165032723002239
** G. Servant et F. Fourchet. Je bouge… en courant. Sans me blesser. Éditions Planète Santé, 2020.
Paru dans Le Matin Dimanche le 07/01/2024
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