La dépression post-partum chez les pères, un mal méconnu
Entre 12 et 15% des mères développent une dépression dans les mois suivant la naissance de leur enfant. Ce que l’on sait moins, c’est qu’environ 10% des pères y sont sujets. Malgré une prévalence relativement élevée, la dépression post-partum paternelle demeure largement méconnue, tant du côté du grand public que de celui des professionnels de santé. Et pourtant, des données récentes suggèrent que les hommes subissent des changements physiologiques durant la grossesse et après l’accouchement de leur partenaire, notamment une diminution du taux de testostérone et une augmentation du taux de prolactine, l’hormone de la lactation, qui est aussi présente chez les hommes. «On suppose que ces changements hormonaux préparent le père à l’arrivée de l’enfant et favorisent l’attachement. Mais ces modifications peuvent aussi engendrer une vulnérabilité psychique», explique la Dre Lamyae Benzakour, médecin adjointe agrégée, responsable de l’Unité de psychiatrie de liaison aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Des symptômes indirects
Le diagnostic de la dépression post-partum (qu’elle concerne les femmes ou les hommes) repose sur des critères bien établis, identiques à ceux de la dépression majeure, incluant notamment une humeur dépressive ou une perte de plaisir persistant pendant plus de deux semaines. Chez les hommes, toutefois, d’autres symptômes peuvent se manifester. «Leur souffrance s’exprime souvent de manière indirecte, avec des symptômes masqués comme l’irritabilité, des douleurs ou des consommations de toxiques», explique la Dre Benzakour. Une autre différence réside dans le moment de l’apparition de la dépression: chez les femmes, elle connaît deux pics, l’un entre la 4e et la 6e semaine suivant la naissance de l’enfant et l’autre aux alentours de six à neuf mois après l’accouchement. Chez les hommes, elle se manifeste généralement entre trois et six mois après la naissance.
Casser les injonctions à la masculinité
La société n’incite pas les hommes à parler de leurs vulnérabilités psychiques, entravant ainsi le dépistage et la prise en charge de la dépression. Gilles Crettenand, responsable du programme MenCare Suisse romande, un programme national pour l’engagement des hommes dans le domaine des soins, explique: «Encore aujourd'hui, les hommes sont confrontés aux injonctions liées à la notion de masculinité. Dès leur plus jeune âge, la société leur impose des normes à suivre, comme celle de ne pas montrer leurs émotions, qui sont perçues comme des faiblesses pouvant être exploitées par les autres.» La souffrance liée aux problèmes de santé mentale est encore plus taboue, ce qui empêche souvent les hommes de demander de l’aide. «Dans une société où chacun d’eux doit dominer les autres hommes, exprimer une faiblesse revient à risquer d’être rejeté du groupe ou à ne plus être considéré comme un "vrai" homme», souligne Gilles Crettenand. Et de conclure: «Il est essentiel de briser ces injonctions qui causent tant de souffrances.»
Certains facteurs augmentent le risque pour les pères de développer une dépression post-partum, tels que des antécédents de dépression, une enfance difficile ou le fait que leur conjointe souffre aussi de dépression. Cependant, la Pre Antje Horsch, psychologue et chercheuse à la Faculté de biologie et médecine de Lausanne (Université de Lausanne (UNIL) – Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV)), estime qu’un autre élément essentiel intervient: le stress relatif à la fonction traditionnellement attribuée au père. «Les hommes ressentent une pression pour incarner le rôle de soutien familial, rester forts en toutes circonstances et assurer la responsabilité économique de la famille. Ce stress lié aux attentes sociales peut aggraver leur détresse», précise l’experte.
L’importance d’une prise en charge précoce
Ce rôle masculin imposé empêche souvent les hommes d’exprimer leurs difficultés et de reconnaître leur mal-être. Pourtant, un dépistage précoce offre de meilleures chances de rétablissement. La Pre Horsch rappelle que la dépression post-partum n’est pas un trouble anodin: «Une dépression non traitée impacte non seulement la qualité de vie du père, mais aussi celle de l’enfant et son développement.» Une relation perturbée avec le père peut ainsi conduire à des troubles du comportement chez l’enfant.
Malgré une prise de conscience grandissante, il reste encore beaucoup à faire pour sensibiliser le grand public à ce trouble, mais également les professionnels de santé. La Pre Horsch plaide pour que l’on enseigne aux médecins et aux soignants à mieux prendre en compte les pères: «À ce jour, ils sont souvent considérés comme de simples accompagnants des mères. Il est pourtant essentiel que les soignants les impliquent davantage à toutes les étapes de la périnatalité, afin qu’ils ne se sentent pas isolés dans leur vécu émotionnel.»
Prendre soin de son mental avant l’arrivée de bébé
Pour les pères présentant des risques accrus de dépression, notamment ceux ayant vécu une enfance traumatique, la Dre Lamyae Benzakour, médecin adjointe agrégée, responsable de l’Unité de psychiatrie de liaison aux HUG, recommande de se préparer en amont du jour J. «L’arrivée d’un enfant est une période particulièrement sensible, explique la médecin. Les événements traumatiques que l’on a vécus pendant sa propre enfance peuvent être réactivés à ce moment. Il est donc crucial de prendre les devants, surtout si on se sait vulnérable à ce niveau-là, et d’envisager d’entamer une psychothérapie avant l’arrivée de l’enfant.» Pour les pères n’ayant pas de facteurs de risque spécifiques, il est également primordial de ne pas négliger la préparation à cette nouvelle phase de vie. La Pre Antje Horsch, psychologue et chercheuse à la Faculté de biologie et médecine de Lausanne (UNIL-CHUV), recommande de bien s’entourer et de se renseigner. «Il existe des cours de préparation à la naissance, mais aussi à la parentalité, spécifiquement développés pour eux. Parler avec d’autres hommes devenus pères ou participer à des groupes de soutien peut aussi être très bénéfique.» De la même manière, il est crucial de maintenir une communication ouverte avec la future mère et, surtout, d’oser partager ses peurs et ses interrogations. «Il est important que les pères comprennent qu’ils ne doivent pas hésiter à parler de leurs émotions et à demander de l’aide s’ils se sentent mal», conclut la Dre Benzakour.
Quelques ressources pour les futurs papas:
- Rencontres pour les pères et futurs pères organisées par la faîtière des organisations suisses des hommes et des pères: www.maenner.ch/fr/rencontres-pour-les-peres-et-futurs-peres/
- Rencontres futurs papas organisées par les HUG: www.hug.ch/obstetrique/rencontres-futurs-papas
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Paru dans Le Matin Dimanche le 29/12/2024
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