Trous de mémoire, quand s’inquiéter?

Dernière mise à jour 10/11/16 | Article
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Avec l’âge, la mémoire se fragilise et peut nous jouer des tours. Mais comment savoir si nos oublis sont bénins ou s’ils doivent être pris au sérieux? Éléments de réponse.

Égarer ses clés, oublier le nom d’une connaissance croisée dans la rue ou ne pas se souvenir du titre d’un film… ce ne sont pas, a priori, des événements inquiétants. Ces trous de mémoire «classiques» ne relèvent pas d’une pathologie, mais simplement d’un accroc dans un processus mental d’une complexité inouïe.

Notre mémoire est en effet le résultat de l’activation de circuits électriques ultrasophistiqués au cours de laquelle les neurones rusent sans cesse. Jonglant avec les mots pour donner toute la fluidité possible à nos conversations, la mémoire s’accommode en permanence. Parfois, cependant, elle ne trouve pas de remplacement ou bute sur le terme recherche –comme les paroles d’une chanson– et c’est le blanc. A cela deux raisons majeures, la première étant liée à notre état émotionnel et au stress: «Il y a un niveau de stress et d’émotions profitable à la mémoire. Sous l’effet de l’adrénaline, tous nos sens sont en éveil, et la mémorisation est favorisée. Mais, au-delà d’un certain seuil, l’effet inverse se produit: trop de stress parasite le processus complexe qui permet au cerveau de rappeler un souvenir», explique le professeur Giovanni Frisoni, responsable de la consultation mémoire au Service de gériatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). C’est ce qui se produit lorsque vous vous apprêtez à prendre la parole en public et qu’un imprévu vous déstabilise: bafouillements et trou noir sont alors quasi-assurés.

La seconde raison est l’excès de contrôle. Trop s’écouter, être focalisé sur la peur de se tromper, se «regarder» parler, sont autant d’attitudes qui ont toutes les chances de mettre notre mémoire en situation de stress, et de la faire trébucher. On peut toutefois éviter ce genre de trous de mémoire «en se faisant confiance, explique le professeur Jean-Francois Demonet, directeur du Centre Leenaards de la mémoire du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). L’idéal est de trouver le subtil équilibre entre le lâcher-prise et l’autocontrôle, naturel et inconscient, qui se met en route quand nous agissons face aux autres.» La mise en place de balises peut aider.

Sur le bout de la langue

Dorloter son cerveau

Pour entretenir sa mémoire, il faut accorder de l’importance à sa qualité de vie. Selon le Pr Giovanni Frisoni, un cerveau en bon état résiste mieux à la pathologie d’Alzheimer. Il recommande de faire de l’exercice physique, d’avoir une alimentation saine, de garder une activité mentale dynamique, d’éviter des substances comme l’alcool, la nicotine et les médicaments psychotropes. «Il est aussi essentiel de bien contrôler des maladies chroniques comme l’hypertension, le diabète ou une maladie cardiaque, car la santé des vaisseaux, c’est la santé du cerveau!»

Mais que se passe-t-il dans le cerveau quand une information ne nous revient vraiment pas? L’exemple classique est ce mot que l’on a «sur le bout de la langue», le nom d’un acteur, par exemple. On voit son visage, déroule sa filmographie, visualise un prénom, mais impossible de retrouver l’information. Le professeur Demonet avance, pour ce cas, une autre explication: «En fait, il s’agit d’une compétition entre différents candidats qui jouent un rôle dans le rappel du souvenir: une partie de notre cerveau (siège de la mémoire lexicale) va sortir un nom, mais qui ne convient pas à une autre (hôte de la mémoire sémantique), détentrice, elle, des indices. Il y a alors discordance et blocage, puisque le nom énoncé va momentanément faire écran à toute autre possibilité.» Que faire? Laisser décanter, et ne pas s’inquiéter: l’information a toutes les chances de revenir d’elle-même dans les instants qui suivent. Cette «absence» est désagréable, mais fréquente. «Elle est, en réalité, le résultat d’une grande connaissance, poursuit le neurologue. Notre mémoire ressemble alors à une bibliothèque devenue très fournie, avec un index qui a du mal à suivre.»

Si ces situations font référence à des informations bel et bien présentes, certains trous de mémoire sont dus au fait que l’information a été mal enregistrée, voire pas du tout. «L’encodage des informations est directement influencé par l’état tant physique que psychique, rappelle le professeur Frisoni. Le manque d’attention, la fatigue, l’émotion sont autant de facteurs qui peuvent perturber la mémorisation.» Rien d’étonnant donc a ce qu’il ne reste que des bribes floues d’un film, pas vraiment passionnant, vu un soir après une journée de travail éreintante!

Inquiétudes liées à l’âge

Généralement, quand on est jeune, on ne prête pas attention à ces pannes de mémoire occasionnelles. Mais, au-delà de la soixantaine, les mêmes oublis, s’ils se répètent, souvent inquiètent. Cette mémoire qui flanche ne serait-elle pas annonciatrice de la maladie d’Alzheimer? Il est normal que, à 50 ans, le cerveau fonctionne moins bien qu’à 20 ans, précise le professeur Frisoni. «Comme les cellules des autres organes, les neurones vieillissent et rétrécissent. Cependant, toutes les fonctions cérébrales ne se détériorent pas pour autant. Si la mémoire en elle-même s’affaiblit lentement avec l’âge, d’autres facultés s’améliorent, comme la capacité à résoudre des problèmes.»

Angoissés, certains consultent un spécialiste, alors que leur mémoire ne présente aucun symptôme alarmant. «Dans ce cas nous les rassurons. A l’inverse, il arrive que des personnes se présentent dans des conditions cognitives épouvantables, et nous nous demandons comment il est possible que leur entourage ne s’en soit pas rendu compte plus tôt.» Quel est le bon moment pour consulter? «Lorsque les oublis deviennent plus fréquents, qu’ils causent de réels problèmes dans la vie quotidienne, et ce, depuis plusieurs mois.» (Lire encadré)

En consultation, on cherchera à évaluer la nature des troubles et à en déterminer l’origine, car la maladie d’Alzheimer ou d’autres formes de démence ne sont pas les seules à affecter les fonctions cérébrales. Certaines pathologies, mais aussi le stress, la dépression, un abus de médicaments psychotropes ou d’alcool peuvent produire les mêmes effets. Des tests de mémoire aident à évaluer l’ampleur des troubles et, parfois, ils suffisent déjà à rassurer le patient.

Les signaux d’alerte

Il y a un problème lorsqu’une personne souffre de troubles de mémoire sans en être consciente. L’entourage est souvent le premier à s’inquiéter en constatant des changements de comportement. Voici les signaux qui devraient pousser à aller voir un spécialiste.

  • Oubli d’événements récents
  • Même question répétée à plusieurs reprises
  • Confusion des dates, des heures et des lieux
  • Objets perdus ou rangés dans des endroits saugrenus
  • Désorganisation
  • Difficulté à suivre une conversation
  • Impossibilité de trouver le mot juste
  • Dépenses absurdes ou excessives
  • Retrait social
  • Difficulté à reconnaître des visages
  • Changements d’humeur inexplicables
  • État dépressif, anxiété
  • Perte du sens de l’orientation et difficultés à prendre les transports publics.

Paru dans Générations, Hors-série «Tout savoir sur notre mémoire», Novembre 2016.

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