Stimuler notre mémoire en dormant
Ce n'est pas la première fois que l'on cherche à stimuler artificiellement la mémoire durant le sommeil. Mais bien que la démarche soit parfaitement légitime – car il est avéré que notre cerveau fixe durant la nuit une partie des informations traitées durant la journée – aucune méthode n'a pu en revanche, à ce jour, faire la preuve objective de son efficacité. Cela pourrait changer – notez le conditionnel – suite à cette étude entreprise par une équipe de l'Université de Tübingen, et parue dans la très sérieuse revue Neuron, un titre du groupe américain de journaux biomédicaux Cell Press.1
Le groupe de onze volontaires (huit femmes et trois hommes), âgés de 24 ans en moyenne, qui a servi durant plusieurs semaines à l'étude du Dr Jan Born et de ses collègues, était composé d’individus en bonne santé, jouissant d'un sommeil normal, non-fumeurs, et qui n'avaient aucun antécédent de maladie neurologique ou mentale.
Afin d'assurer que les modalités de l'expérience en elles-mêmes affectent le moins possible ses résultats, ces volontaires ont d'abord été familiarisés, durant une nuit d'adaptation, avec les conditions dans lesquelles l'étude allait se dérouler. A savoir dans un classique laboratoire de sommeil où ils devraient dormir la tête et le corps bardés d'électrodes, destinées à révéler en temps réel les divers courants électriques générés par l'activité de leur cerveau ou de leurs muscles durant les différentes phases de leur sommeil.
Renforcer les ondes du cerveau…
Car c'est là que se situe le pari des chercheurs allemands: l'activité électrique du cerveau suit des oscillations de diverses fréquences, reflétant la façon dont ses réseaux de neurones organisent et traitent les informations. Or, les oscillations de basse fréquence, typiquement de moins d'une oscillation par seconde (< 1 Hz), sont notamment impliquées dans la gestion des informations durant le sommeil lent profond, ainsi que dans la consolidation nocturne de la mémoire.
C'est donc sur ces oscillations particulières que les chercheurs allemands ont fait porter leur expérience. Et leur pari a été de voir si, en stimulant le cerveau durant le sommeil à l'aide de sources sonores strictement synchronisées avec ces oscillations électriques naturelles, on allait pouvoir les renforcer artificiellement et en conséquence améliorer les capacités de mémorisation.
Les onze volontaires ont ainsi été soumis chacun à deux types d'expériences, séparées à chaque fois par une semaine «de repos»: soit leur nuit au laboratoire du sommeil faisait effectivement l'objet d'une stimulation sonore synchronisée avec ce qu'enregistrait en direct l'électroencéphalographe, soit la stimulation n'était que simulée, à leur insu bien sûr.
…pour augmenter la mémorisation
Durant les jours J, les volontaires devaient se lever précisément à 7 heures du matin, étaient interdits de sieste, et ne devaient plus consommer de boissons caféinées après 15 heures. Vers 20 heures ils étaient attendus au laboratoire, pour qu'on leur pose les électrodes (crâniennes et corporelles) destinées à l'enregistrement polysomnographique. Après quoi – entre 21h30 et 22 heures – ils étaient soumis à une session d'apprentissage, durant laquelle on leur présentait toute une série de mots, associés par paires, qu'ils allaient devoir mémoriser. Il s'agit là d'une méthode qui a fait ses preuves par le passé dans l'évaluation de la mémorisation nocturne.
C'est ainsi qu'ils se sont vus présenter sur un moniteur successivement 120 paires de mots, chacune pouvaient être mémorisée durant quatre secondes, avant qu'une pause d'une seconde ne précède la présentation de la paire suivante. Chaque paire était constituée de mots associés sémantiquement, comme par exemple «problème/solution» ou «cerveau/conscience». Enfin, immédiatement après cette phase de mémorisation, et comme pour la consolider, on les soumettait à un premier test, durant lequel ils devaient énoncer le mot associé lorsqu’apparaissait à l'écran, dans un ordre aléatoire, l'un des mots de la liste. La réponse juste leur était rappelée quelques secondes plus tard.
Une fois achevé cet apprentissage, les individus pouvaient aller se coucher, et à 23 heures, après l'extinction des feux, les expérimentateurs pouvaient lancer l'enregistrement des ondes cérébrales.
Résultats spectaculaires
La stimulation à l'aide d'ondes sonores (ajustées sur les mesures de l'électroencéphalographe et délivrées par deux écouteurs) débutait environ cinq minutes après que le volontaire fut entré dans une phase de sommeil stable ou profonde, et se poursuivait durant trois heures et demie. On le réveillait vers 6 heures du matin, une fois qu'il était sorti de sa phase de rêve, ou de sommeil dit paradoxal.
Environ trente minutes plus tard, le temps était venu de mesurer l'efficacité de la méthode, à la fois sur la base de l'électroencéphalogramme et à l'aide du même test que celui qui avait été mis en œuvre avant l'endormissement, à ceci près qu'on n'affichait plus la solution et qu'on notait simplement le pourcentage de bonnes réponses. La capacité de mémorisation nocturne pouvait alors être évaluée en comparant le nombre de bonnes réponses enregistrées au réveil avec celui du test effectué avant l'endormissement.
Les résultats que publient les chercheurs allemands sont spectaculaires. En ce qui concerne premièrement l'influence sur le cerveau des stimulations sonores: oui, les ondes cérébrales visées sont bel et bien renforcées par les stimulations externes. Quant au taux de bonnes réponses dans la mémorisation des mots, il se révèle être presque deux fois plus élevé après une stimulation sonore réelle qu'en présence d'un simulacre de stimulation, avec une moyenne de 22 mots contre 13.
Cette nouvelle méthode, simple et non invasive, qui doit certes être encore suivie d'essais pratiques de mise en œuvre, ouvre des perspectives excitantes, non seulement pour améliorer la fixation nocturne des éléments mémorisés, mais aussi pour l'amélioration du sommeil.
1. Ngo et al.: «Auditory closed-loop stimulation of the sleep slow oscillation enhances memory», Neuron, 781-9, 2013.
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