Halte aux idées reçues sur la mémoire!
«Nous retenons mieux les faits anciens que les faits récents.»
VRAI. Cette capacité, support de la loi dite «de Ribot», s’explique facilement: nous retenons d’autant mieux les faits que nous avons pu les ressasser. Au fil du temps, nous aurons donc un souvenir plus vif d’une anecdote de notre enfance, maintes fois évoquée, repensée, racontée, que du menu d’un repas tout récent, surtout s’il n’avait rien d’exceptionnel. A noter que cet écart entre les souvenirs anciens et les faits plus récents est accru chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Chez elles, la construction de nouveaux souvenirs, à partir de faits actuels, est particulièrement laborieuse. En revanche, ces personnes bénéficient encore, dans les premiers temps de la maladie, de la capacité à évoquer des faits liés au passe plus lointain.
«Nous n’utilisons que 10% des capacités de notre cerveau.»
FAUX. Cette idée reçue n’a aucun fondement physiologique. Si le cerveau représente 2% du poids du corps, il utilise en permanence 20% des réserves d’énergie disponibles et, surtout, son activité, faite de fluctuations permanentes d’énergie dans d’immenses réseaux composés de dizaines de millions de neurones, est bien loin de se cantonner à 10% de ses capacités. Les connexions entre neurones se reconfigurent en permanence, au gré des moments vécus et des expériences que nous faisons chaque jour pour fabriquer des souvenirs, forger nos connaissances et enrichir notre mémoire de tous ces instants qui font notre vie. Cette activité titanesque et incessante qui se déroule dans notre boîte crânienne poursuit son œuvre la nuit, où les connexions activées le jour se rejouent pour permettre le tri, le traitement, l’archivage, de tous ces faits nouveaux.
«Nos souvenirs ne sont pas "rangés" une fois pour toutes, mais recréés à chaque fois que nous les évoquons.»
VRAI. Réévoquer un souvenir représente la meilleure façon de le renforcer dans notre mémoire, mais aussi le plus grand risque de le déformer. Et pour cause, chaque fois qu’elle revisite un fait du passé, la mémoire réactive les circuits de neurones impliqués dans l’élaboration du souvenir. Le risque? Que le circuit soit modifié par cette nouvelle activation, qu’il intègre un fait obsolète, efface un élément clé du souvenir ou encore extrapole ce qui n’était qu’un détail… A l’instar d’un album photo feuilleté dont les photos seraient chaque fois déplacées, abîmées, placées sous la mauvaise légende. D’où cette impression, parfois, de raconter différemment une anecdote au fil du temps, malgré nous. Notre mémoire à long terme détient donc une capacité de stockage quasi infinie, mais est infidèle et nous laisse sans cesse remanier nos souvenirs.
«Tout noter empêche notre mémoire de travailler.»
FAUX. Au contraire, multiplier listes, notes et post-it n’a que du bon pour notre mémoire! La raison: ces «pense-bêtes» n’empêchent pas la mémoire de travailler, mais lui permettent, au contraire, de mieux enregistrer encore les informations au travers d’un enregistrement parallèle au seul travail de la pensée. Dès lors, la liste ou le post-it rassurent, mais, souvent, le souvenir est bien grave et n’a plus besoin d’aucun support pour être remémoré.
«Les noms propres sont plus difficiles à apprendre que les autres.»
VRAI. Pourquoi notre voisin porte ce nom et pas un autre? Si les noms propres sont plus difficiles à retenir que les noms communs, c’est essentiellement parce qu’ils sont, le plus souvent, arbitraires, sans logique particulière, ni mots associés auxquels se raccrocher au moment de se les remémorer.
A noter, pour tout élément à mémoriser, un point commun: plus la notion, le fait ou l’élément est familier, plus il aura de chances de se muer en véritable souvenir. La logique n’échappe pas aux noms propres. Ainsi, pour prendre un exemple à l’échelle de la planète, le nom de l’ouragan Katrina sera mieux retenu pour un francophone que celui du volcan islandais entré en éruption en mars 2010, dont nous avons tous entendu parler et dont nous retrouvons pourtant péniblement le nom (Eyjafjallajökull).
«La mémoire décline avec le temps.»
VRAI et FAUX. La mémoire excelle entre nos 15 et nos 25 ans. Avant, elle affûte ses outils, non seulement biologiques –maturation des neurones notamment–, mais aussi culturels, par l’enrichissement au fil des années du vocabulaire et des capacités de narration utiles à l’élaboration de souvenirs. Qu’en est-il après l’âge de 25 ans? Le déclin est loin d’être total. Si avec le temps notre mémoire peine parfois à fonctionner aussi rapidement que par le passé, elle cultive un terrain d’une richesse infinie. Elle ne cesse de s’enrichir de nouvelles expériences et de connaissances, met en relation, sublime, facilitant les suivantes pour aboutir à cette réjouissante conclusion: plus on sait de choses, plus il est facile d’en apprendre de nouvelles.
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Paru dans Générations, Hors-série «Tout savoir sur notre mémoire», Novembre 2016.