Fabrication de souvenirs: tout est affaire de neurones!

Dernière mise à jour 10/11/16 | Article
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Malgré les IRM, les scanners et autres appareils d’imagerie cérébrale, notre mémoire a encore des secrets. Un certain nombre de connaissances se sont tout de même imposées, au fil du temps.

Loin d’être rangé dans un tiroir bien calé dans un coin de notre boîte crânienne, tout élément qui nous revient en mémoire est le résultat d’un spectaculaire processus qui rejoue le scenario de sa création. Ainsi, tout le circuit des zones du cerveau initialement impliquées se réactive, comme une constellation se ravivant étoile après étoile.

Centres stratégiques

Le saviez-vous?

Pour Aristote, le siège de la mémoire se situait dans notre cœur, si réactif lors de nos plus vifs souvenirs. Insolite aujourd’hui, et bien sûr erroné, ce précepte a perduré jusqu’au XIXe siècle. Pour la défense du philosophe, la mémoire, orchestrée par notre cerveau, est effectivement liée aux émotions. Elle est surtout d’une complexité inouïe et met en jeu une multitude de réseaux de neurones que seules les techniques modernes ont pu mettre en lumière.

Aires visuelle, auditive, associative, cortex moteur… Toutes les gammes et les parcelles, ou presque, de notre cerveau sont mobilisées pour créer, puis raviver, nos souvenirs. Quatre zones se distinguent pour leurs performances: l’hippocampe, structure nichée dans les profondeurs des lobes temporaux droit et gauche, et zone clé de la mémorisation à long terme; l’amygdale, centre de nos plaisirs et de nos peurs, qui imprègne les moments vécus d’émotions pour mieux les graver en nous; les régions postérieures du cerveau, lieux de stockage pour les composantes factuelles de nos souvenirs et, enfin, les régions frontales, à l’avant de notre cerveau, zones de la mémoire de travail et de l’arbitrage entre aspects émotionnels et rationnels de nos réminiscences. Un autre élément clé de notre mémoire est le circuit de Papez, un ensemble de connexions qui permet le passage des informations depuis l’hippocampe vers le lobe frontal.

Les cellules de la transmission

Dans les faits, comment se forment nos souvenirs? Tout est affaire de neurones. Les neurones sont des cellules nerveuses possédant des ramifications dont la longueur varie de 5 à 500’000 micromètres (soit entre 0,005 millimètre et 50 centimètres!). Nos neurones œuvrent par milliards au sein du cerveau. Recevant les messages perçus par nos sens, chaque neurone impliqué voit des influx nerveux parcourir à une vitesse fulgurante ses prolongements jusqu’aux neurones voisins, qui se comptent par milliers. Entre chaque «branche voisine», une communication s’opère par libération ultrarapide de substances chimiques –des neurotransmetteurs– dans l’espace qui les sépare. Ce point de jonction, carrefour de la transmission, est appelé «synapse». Intégrant aussitôt ces composés chimiques grâce à ses récepteurs, le neurone voisin est à son tour parcouru d’un influx nerveux, et va rejouer le processus de transmission avec la myriade de ses autres voisins.

Les arbres de cette foret neuronale sont donc dans une communication permanente et les contacts (ou synapses) entre tous ces rameaux se modifient sans cesse, sous l’influence des apprentissages et des instants vécus.

Instant passé… et retrouvé

Si l’on repense à un moment mémorable (le jour de notre entretien d’embauche, par exemple), on peut imaginer un point A, qui correspond au moment vécu, et un point B, qui correspond à son souvenir. La multitude de faits vécus lors de ce moment (une tache observée sur la table, la sonnerie impromptue d’un téléphone portable…) constituent autant de voies parallèles allant du point A au point B, qui correspondent à des flux de communications entre neurones. Ces trajets multiples donnent lieu à la synthèse par le cerveau de protéines ainsi qu’à un remodelage de certains circuits dans les aires cérébrales impliquées dans l’instant vécu (cortex visuel, olfactif, auditif, moteur, etc.). Plus nombreux seront ces circuits, plus vastes seront les zones du cerveau sollicitées et plus fort sera l’encodage –ou mise en mémoire– du souvenir. Certaines de ces voies, jamais réempruntées, vont s’éteindre définitivement, tandis que d’autres, imprégnées d’émotions ou revisitées lors de l’évocation d’un souvenir, vont subsister.

La recette du souvenir

Vrai ou faux: «Le cerveau ne se renouvelle pas»

FAUX. De nouveaux neurones sont formés dans certaines zones dites «germinales» du cerveau, à un taux certes plus faible chez l’adulte que chez le jeune enfant. On pense que cette formation de neurones joue un rôle dans l’apprentissage. Mais ces nouveaux arrivants remettent en jeu la stabilité de certaines connexions de neurones plus anciennes, liées à certains souvenirs… Apprendre peut donc aussi être un risque d’oubli pour des raisons purement physiologiques!

Ces circuits neuronaux seront alors renforcés par un phénomène de stabilisation d’un circuit de l’hippocampe, grâce à la production de nouvelles protéines spécifiques et au remodelage de connexions synaptiques à la fois dans l’hippocampe lui-même et dans de nombreuses zones du néocortex. En effet, ces circuits, nés de l’activation des neurones impliqués dans une circonstance donnée, convergent vers l’hippocampe. Celui-ci va se charger d’intégrer ce flot d’excitations simultanées des neurones et de l’enregistrer sous la forme d’un trajet spécifique. Ce processus aboutit à une trace mnésique propre à chaque souvenir qui va pouvoir être ravivée depuis l’hippocampe, simultanément dans les différentes aires du cerveau impliquées lors de l’instant vécu. Ainsi, dès qu’un indice sera suffisamment efficace, l’hippocampe pourra reconstruire virtuellement et instantanément tous ces immenses trajets dans le reste du cerveau: l’épisode passé pourra alors être ravivé.

Preuves en images

Ces processus peuvent être visualisés notamment grâce aux techniques d’imagerie cérébrale comme l’IRM fonctionnelle ou l’électroencéphalographie (EEG). Il s’agit, lors de ces expériences, de placer le participant, muni d’électrodes sur le cuir chevelu, dans le champ de l’IRM avec des informations à mémoriser, comme une liste de mots. Des images du cerveau en action peuvent alors être reconstituées qui montrent, par exemple dans l’hippocampe, l’augmentation de l’activité cérébrale pendant la mémorisation des mots. Un signal visible en IRM ou en EEG apparaissant au moment de l’encodage des mots témoignera d’un travail neuronal produit à ce stade, qui correspondra quelques instants plus tard à la réévocation possible de ces mots par le participant. Pour cela, plusieurs conditions devront être réunies, notamment l’intérêt que le sujet lui aura consacré et sa répétition.

A l’inverse, si aucun signal n’est détectable en imagerie lors de cette étape, on constatera que le mot ne pourra ensuite être retrouvé.

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Paru dans Générations, Hors-série «Tout savoir sur notre mémoire», Novembre 2016.

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