Attention: les faux souvenirs débarquent
Votre mémoire, vous la croyez solide comme le roc? Peut-être… Mais, avec quelques techniques simples, on peut créer, chez vous, un «faux souvenir». Le scénario d’Inception dans lequel Leonardo DiCaprio et son équipe «implantent» un souvenir chez un businessman, n’est donc pas complètement impossible.
Différentes méthodes existent, décrit le professeur Armin Schnider, chef du Service de neurorééducation aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Par exemple, demander à quelqu’un d’apprendre des mots sur un thème précis. «Si je vous dis "piquer", "médicament", "injection" et "médecin" et que je vous demande, ensuite, de reproduire cette série, vous risquez fort d’ajouter "seringue" même si le terme n’y figurait pas.» Notre mémoire est associative et se concentre davantage sur ce qui paraît globalement pertinent («un ensemble de mots tournant autour d’une injection»), plutôt que sur des bribes d’information (les mots individuels).
Des souvenirs réactivés
Un autre exemple: on peut convaincre quelqu’un qu’il s’est perdu, enfant, dans un supermarché. Le principe? Lui demander de donner un maximum de détails sur des événements de son enfance. Dans le lot, rajouter un événement fictif: «Rappelez-vous, vous aviez 5 ans, vous étiez avec votre mère et vous vous êtes perdu…» Même parmi les personnes qui soutiennent ne pas se souvenir de cet épisode, une proportion significative finit par s’approprier la situation inventée.
Le mécanisme de consolidation de la mémoire est à l’œuvre dans ce cas, détaille le professeur. «A chaque fois qu’on réactive des souvenirs, on enregistre des informations liées au contexte dans lequel on les réactive, et les traces de mémoire s’adaptent. A chaque réactivation, un peu de bruit peut se déposer.» La distinction entre ce qu’on a vraiment vécu et ce qu’on en a pensé s’amenuise donc.
Généralement, deux conditions facilitent l’implantation d’un «faux souvenir». Premièrement, un souvenir de base d’un événement faible et, deuxièmement, l’information introduite doit être plausible. Votre interlocuteur se laissera plus facilement convaincre si la base pour le «faux souvenir» concerne une situation ancienne qu’il a vue en passant, sans l’enregistrer précisément (souvenir de base faible). D’autre part, vous me persuaderez facilement que j’ai mangé deux tartines au petit-déjeuner si c’est mon habitude.
«Si l’on s’intéresse à ces phénomènes, on ne fait plus entièrement confiance à ses propres souvenirs, sourit le professeur Schnider, même les plus clairs.» Pour le spécialiste, ce n’est pas une surprise. «La fonction de la mémoire est d’assembler les expériences du passé pour s’adapter au mieux à une situation présente ou future. Pour cela, une précision totale des souvenirs du passe n’est pas essentielle. Au contraire, cette flexibilité de la mémoire –sa capacité de se modifier selon les expériences– lui permet de mieux remplir sa vraie fonction.»
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Paru dans Générations, Hors-série «Tout savoir sur notre mémoire», Novembre 2016.