Science: à la conquête du temps qui passe
Encore très souvent perçu comme synonyme de pertes et de déclin, le vieillissement n’a pas bonne presse dans notre société. Sur le plan biologique, il s’agit d’un phénomène très complexe qui concerne notre organisme dans son entier, aussi bien nos cellules que nos tissus et nos organes. Partant du fait que l’âge est en soi un facteur de risque pour la plupart des maladies courantes chez l’être humain, des chercheurs américains se sont penchés sur des interventions anti-âge afin de retarder, voire même d’inverser, le processus de vieillissement. Ces travaux ont été réalisés chez la souris. L’objectif recherché étant d’avoir un impact positif non seulement sur la durée de vie, mais aussi sur l’espérance de vie en bonne santé de ces rongeurs pour, dans un second temps, transposer ces recherches chez l’être humain.
Modifier l’épigénome
Les facteurs de Yamanaka
Les facteurs de transcription de Yamanaka tirent leur nom de Shinya Yamanaka, médecin et chercheur japonais. Avec le Britannique John B. Gurdon, le professeur nippon a reçu le Prix Nobel de physiologie ou médecine en 2012. Les facteurs de Yamanaka sont un cocktail de protéines capables de reprogrammer les cellules adultes hyperspécialisées en cellules souches polyvalentes, comme les cellules souches embryonnaires. C’est grâce à ces chercheurs que l’on a découvert pour la première fois les cellules souches pluripotentes et que l’on a eu l’idée de reprogrammer des cellules adultes pour qu’elles se comportent à nouveau comme des cellules souches. Ces résultats ont ouvert de nombreuses perspectives médicales.
Concentrons-nous sur deux recherches scientifiques. La première menée par une société de biotechnologie basée en Californie[1], la seconde par une équipe de la Faculté de médecine de Harvard[2]. Les deux équipes ont essayé d’allonger la vie de souris en faisant reculer leur horloge biologique grâce à des thérapies géniques. Toutes deux s’appuient sur les découvertes de Shinya Yamanaka, prix Nobel de médecine (lire l’encadré), mais aussi sur le déroulement même de la vie cellulaire: «Plus le temps passe, plus les cellules acquièrent des marques épigénétiques (modifications -réversibles car non inscrites dans l’ADN- de l’expression des gènes dues à l’environnement). Ces deux équipes ont voulu montrer qu’en modulant les marques épigénétiques chez la souris, on pouvait en quelque sorte gagner du temps et rajeunir les cellules», résume la Pre Ariane Giacobino, professeure au Département de médecine génétique et développement de la Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE) et membre du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) en France.
Dans le premier cas, les chercheurs ont exposé les souris, âgées de 124 semaines, à une thérapie génique consistant à injecter des virus modifiés (autrement dit des transporteurs de gènes ressemblant à des virus) contenant trois des facteurs dits de Yamanaka, capables de modifier l’état des marques épigénétiques des cellules. Les «virus» encapsulés ont permis d’induire des changements sur l’ADN de ces cellules et de les faire basculer vers un état de développement antérieur. «Un peu comme si on arrosait les cellules avec un cocktail de jouvence», commente la généticienne. Résultat: les souris ont gagné quelques semaines de vie par rapport à celles qui n’avaient pas été traitées.
Effacer les signes de l’âge
Dans la seconde étude, le principe de reprogrammation est à peu près le même, sauf que les chercheurs de Harvard ont procédé en deux étapes. Ils ont d’abord provoqué des cassures au niveau de l’ADN des souris pour induire, de manière artificielle, une forme de vieillissement. Ces manipulations sur différents sites du génome ont entraîné plusieurs signes de fragilité liés à l’âge (perte de poils, de pigments, de vision, etc.) et une détérioration de la santé des rongeurs. Puis, à nouveau, ces changements épigénétiques ont pu en partie être réparés grâce à l’administration de virus modifiés contenant les gènes de quelques-uns des facteurs de Yamanaka. Conséquence: une inversion partielle des symptômes de vieillissement a pu être constatée par les chercheurs.
Que penser de ces travaux? Peut-on imaginer qu’ils soient transposables à l’être humain? Un état de jeunesse biologique pourrait-il être retrouvé si l’on intervient sur les marques épigénétiques de notre génome? La Pre Giacobino se montre assez sceptique: «Ces procédés sont assez rudimentaires. C’est un peu comme si on appliquait une crème sur une peau âgée. Cela manque de nuances. De plus, les facteurs de Yamanaka peuvent induire d’autres changements sur le génome qui ne sont pas étudiés ici.» En effet, en redonnant aux cellules leur plein potentiel de «jeunesse», on risque de provoquer des dégâts dans l’organisme, par exemple des tumeurs cancéreuses.
Pour le Pr Karl-Heinz Krause, professeur au Département de pathologie et d’immunologie de l’UNIGE et spécialiste du vieillissement, ces travaux sont intéressants d’un point de vue scientifique, mais les résultats sont modestes: «La thérapie génique utilisée prolonge la vie des souris d’un facteur cinq seulement, alors que l’être humain peut gagner vingt ans en modifiant son style de vie» (lire l’encadré). De plus, il rappelle que le vieillissement est un processus multifactoriel: «L’aspect cellulaire n’est qu’un facteur parmi une centaine d’autres.»
Gagner des années de vie en bonne santé
Vivre plus longtemps en bonne santé est déjà à la portée de chacun et chacune. S’appuyant sur les données de la littérature scientifique, le Pr Karl-Heinz Krause, professeur au Département de pathologie et d’immunologie de l’UNIGE et spécialiste du vieillissement, se plaît à rappeler qu’en respectant une bonne hygiène de vie, on peut allonger notre espérance de vie en bonne santé de vingt ans. Les préceptes à suivre, par ordre d’importance:
- Ne pas fumer
- Pratiquer une activité physique régulière
- Adopter une alimentation saine et équilibrée (avec le plus de végétaux et le moins de junk food possible)
- Éviter l’obésité et avoir un indice de masse corporelle dans la norme
- Entretenir sa vie sociale, voir ses amis, sa famille ou des personnes avec qui partager des activités afin de rompre l’isolement
À noter enfin qu’en matière de vieillissement, l’influence de la génétique est réelle, mais elle est beaucoup moins importante que les facteurs ayant trait au style de vie et à l’environnement.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 25/06/2023
[1] https://doi.org/10.1101/2023.01.04.522507