L'abus de tranquillisants favoriserait la survenue d'Alzheimer
C'est une équipe franco-canadienne qui a voulu en avoir le cœur net: en quoi le recours régulier aux benzodiazépines peut-il affecter l'avenir cognitif de ceux ou celles qui comptent sur ce type de molécules pour calmer leurs angoisses?
Car le soupçon n'est pas nouveau: cela fait en effet plusieurs années que les médecins ont remarqué que l'administration aux personnes âgées de divers médicaments entraînait des modifications objectives de leurs facultés mentales. Et pas plus tard qu'en 2012, la Société Américaine de Gérontologie a décidé d'inclure trois catégories de médicaments, dont justement les benzodiazépines, parmi les molécules qu'elle jugeait inappropriées pour les personnes âgées.
Quand on pense que les démences, dont fait partie la maladie d'Alzheimer, constituent actuellement la principale cause de dépendance des personnes âgées, et qu'elles affectent plus de 36 millions d'individus dans le monde, il est impératif d'envisager toutes les pistes permettant de limiter leur évolution. D'autant qu'avec le vieillissement inéluctable de la population, ce chiffre pourrait bien doubler encore d'ici vingt ans, et avec lui les coûts exorbitants (sociaux et financiers) qui leur sont attachés.
Près de 9000 sujets
Les scientifiques et médecins de l'Université de Bordeaux se sont donc associés à leurs collègues de la Faculté de pharmacie de l'Université de Montréal, afin d'exploiter l'exceptionnelle base de données de l'assurance-maladie publique canadienne, qui couvre au Québec près de 98% des hommes et des femmes âgés de plus de 66 ans. Avec pour objectif d'effectuer une étude destinée à élucider l'éventuelle relation entre la consommation de benzodiazépines et le développement ultérieur d'un Alzheimer.
Les chercheurs ont tout d'abord tiré au sort, dans cette base de données, 125 000 personnes ayant été inscrites du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2009. Environ 30% d'entre elles, soit exactement 38 741, avaient souffert ou avaient été traitées pour une démence, alors que les 86 259 autres constituaient le groupe témoin.
Une fois écartés les individus dont la démence n'était pas un Alzheimer et dont la maladie datait de moins de six ans (la durée de suivi imposée par le protocole), les chercheurs se sont retrouvés avec un groupe de 1796 individus, ainsi que 7184 témoins de profil rigoureusement identiques quant à leur groupe d'âge, leur genre, et la durée (de six à dix ans) durant laquelle ils avaient été suivis.
A chacun sa dose cumulée
Il ne restait plus qu'à extraire de la base de données les informations concernant la quantité de benzodiazépines que chacun d'eux s'était vu prescrire au cours du temps, en faisant en outre la distinction entre les tranquillisants de courte ou de longue durée d'action. Première constatation: près de la moitié (49,8%) des patients ayant souffert d'Alzheimer et 40% du groupe témoin avaient consommé des benzodiazépines durant la période étudiée, une proportion qui n'étonne guère, s'agissant de personnes âgées chez lesquelles ce genre de prescription est plutôt répandu.
Par ailleurs, en combinant la durée du traitement et les doses quotidiennes prescrites, les chercheurs ont pu établir ce qu'ils ont nommé la «dose cumulée» de chaque patient, une moyenne équivalant à la dose quotidienne absorbée. Sur cette base, trois groupes ont été établis, correspondant à des doses cumulées respectivement de moins de 3 mois, de 3 à 6 mois, et de plus de 6 mois (utilisateurs au long cours).
Après avoir éliminé divers facteurs susceptibles de fausser les résultats, tels qu'une hypertension, un éventuel infarctus, une hypercholestérolémie et l'utilisation de statines, ou encore un diabète traité ou non, les résultats de l'analyse pouvaient enfin tomber.
Jusqu'à deux fois plus de risque
En prenant alors comme référence les individus n'ayant jamais consommé de benzodiazépines durant la période étudiée, il apparaît que ceux qui en ont pris sont en moyenne 50% plus nombreux à avoir été touchés par Alzheimer.
Certes, pour les individus dont la dose cumulée était de moins de 3 mois, le risque était presque le même que pour ceux qui n'avaient jamais touché aux tranquillisants (risque relatif moyen de 1.08). Mais à partir d'une dose cumulée de 3 à 6 mois, le risque de développer un Alzheimer est déjà d'un tiers plus élevé, pouvant même atteindre 75%. Quant aux individus du groupe le plus exposé, celui des utilisateurs au long cours dont la dose cumulée dépasse 6 mois, leur risque d’Alzheimer se révèle être en moyenne de 84% plus élevé, pouvant même aller jusqu'à plus du double, une augmentation du risque que les médecins relèvent également pour les molécules à très longue durée d'action.
La conclusion qu'en tirent les auteurs est claire: «Alors que les benzodiazépines constituent certes un outil de grande valeur pour gérer les troubles de l'anxiété et les insomnies passagères, notre étude apporte un argument supplémentaire en faveur d'une administration la plus courte possible, en accord avec les recommandations internationales, et qui n'excède pas trois mois.»
L'éditorial qui accompagne cet article, et que signe un groupe de gérontologues et de psychiatres américains, va même plus loin: il est urgent de mettre en place –écrivent-ils– un système de surveillance structuré, qui puisse identifier les troubles cognitifs consécutifs aux divers médicaments administrés aux personnes âgées. Cela permettrait de leur épargner une grande partie des conséquences désastreuses sur leurs facultés mentales.
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Références
BMJ 2014;349:g5205, BMJ 2014;349:g5312
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