En finir avec l’insomnie
Définie comme une perturbation subjective du sommeil au moins trois nuits par semaine et depuis plus de trois mois, l’insomnie chronique toucherait entre 5 et 10% de la population, en majorité des femmes. Un véritable enjeu de santé publique, ce trouble pouvant entraîner des conséquences graves sur la santé: baisse de la concentration, augmentation de l'irritabilité, troubles dépressifs ou augmentation du risque cardiovasculaire. Comment y remédier et quels sont les traitements pour retrouver un sommeil apaisé?
Les somnifères, une si bonne idée?
Lors d’une insomnie, le premier réflexe est bien souvent de recourir aux substances sédatives, telles que les benzodiazépines ou les médicaments apparentés (Zopiclone, Zolpidem, etc.). Mais leur prise comporte de nombreux risques et ne doit s’effectuer que dans le cadre d’un suivi médical rigoureux. «Il ne faut pas diaboliser les médicaments comme les benzodiazépines, souligne Mélinée Chapoutot, psychologue spécialisée dans le sommeil de l’adulte au Centre hospitalier du Valais Romand et co-auteure du livre Libérez-vous de vos insomnies*. Mais leur usage est recommandé uniquement sur une courte période, car au-delà de quatre semaines leur efficacité diminue et la balance bénéfices-risques devient défavorable.»
En plus de nombreux effets secondaires, comme la somnolence ou les troubles de la mémoire, ces substances entraînent une rapide tolérance, nécessitant une augmentation des doses pour maintenir les effets initiaux. Leur utilisation prolongée peut aussi conduire à une dépendance sévère. De plus, bien qu'ils semblent améliorer le sommeil, ces médicaments perturbent de nombreux processus neuronaux fondamentaux qui y sont associés, le rendant moins réparateur. «La prise de médicaments peut être utile dans le cas d’insomnies ponctuelles, mais doit toujours être décidée avec un médecin, relève le Dr José Haba-Rubio, neurologue, spécialiste des troubles du sommeil et co-directeur médical du Centre du sommeil de Florimont, à Lausanne. Le plus important est d’éviter l’automédication!»
Phytothérapie: ça marche ou pas?
Valériane, passiflore, camomille ou fleur d’oranger ont la réputation de favoriser l’endormissement par leurs propriétés relaxantes. Toutefois, les études sur le sujet, peu nombreuses, ne semblent indiquer qu’une faible efficacité. «La phytothérapie ne comporte pas de risque de dépendance, mais ne paraît pas très efficace pour traiter l’insomnie chronique, déclare le Dr Haba-Rubio. En revanche, boire une tisane avant de se coucher peut contribuer à la mise en place d’un rituel d’endormissement, qui conditionne le cerveau au sommeil.»
Le meilleur traitement: la thérapie cognitivo-comportementale
L’ACT: une nouvelle approche
Et si la TCC ne donne pas les résultats escomptés? Pas de panique, il existe d'autres solutions, comme la thérapie d'acceptation et d'engagement (ACT) de l'insomnie. Cette approche novatrice se distingue des TCC traditionnelles en proposant de cesser de rechercher activement le sommeil. Elle repose ainsi sur un constat paradoxal mais bien établi: plus on se focalise sur le sommeil, moins on parvient à le trouver. «Les conséquences néfastes de l’insomnie sont indéniables. Cependant, il semble que lutter contre le manque de sommeil ne fasse qu'aggraver la situation, remarque Mélinée Chapoutot, psychologue spécialisée dans le sommeil de l’adulte au Centre hospitalier du Valais Romand. Sur cette base, l'ACT propose de détourner l'attention du sommeil et de se concentrer sur l'amélioration de la qualité de vie.» En raison de sa nouveauté, le nombre de thérapeutes suisses formés à cette méthode reste encore limité.
Les causes de l’insomnie chronique sont multiples et parfois difficilement identifiables. Mais en l’absence d’un trouble du sommeil spécifique (apnée du sommeil, syndrome des jambes sans repos, etc.), un traitement a montré son efficacité: la thérapie cognitivo-comportementale (TCC). Avec un taux de réussite de 75%, cette approche débute par une rééducation du sommeil. Exit les idées reçues sur les bonnes manières de dormir. Le besoin de sommeil et l'heure de coucher optimale varient d'une personne à l'autre et s'astreindre à dormir plus que nécessaire nuit à la qualité du sommeil. Comprendre son propre sommeil est donc la première étape de la thérapie.
La TCC de l’insomnie (TCC-I) vise à modifier les comportements dysfonctionnels qui se développent en réaction au manque de sommeil. Si les recommandations courantes, comme limiter l'alcool ou favoriser un environnement de sommeil adéquat, sont bien connues de la population, la thérapie se concentre sur les habitudes de coucher et de lever. «En cas d'insomnie, la tendance naturelle est d'augmenter le temps passé au lit, explique Christoph Nissen, professeur ordinaire, médecin-chef de service et directeur du Centre de médecine du sommeil des Hôpitaux universitaires de Genève. Il faut au contraire réduire ce temps en évitant de se coucher trop tôt et de rester au lit le matin ou durant la journée.»
La dimension comportementale de la TCC contribue ainsi à rétablir un rythme de sommeil optimal en ajustant le temps passé au lit.
La partie cognitive de la thérapie concerne quant à elle les systèmes de pensée erronés liés au sommeil. «Une personne souffrant d’insomnie développe des idées irréalistes liées au manque de sommeil, qui apparaît comme la source de tous ses problèmes, explique Mélinée Chapoutot. En réalité, la fatigue est aussi générée par le stress, les émotions négatives ou les efforts déployés pour combattre l’insomnie.» Il s’agit donc de remplacer ces pensées automatiques par d’autres, plus critiques et nuancées. En parallèle, la TCC propose également l’apprentissage de diverses techniques de relaxation. «Toutes les études prouvent que la TCC n’améliore pas seulement le sommeil, mais également le niveau de vie global, souligne le Pr Nissen. Elle doit donc être le premier choix pour le traitement de l’insomnie.»
Pourquoi le recours à la TCC reste-t-il si rare?
Bien que la TCC ait été maintes fois prouvée comme la solution la plus efficace pour lutter contre l’insomnie, une récente étude** montre que seulement 8% des patients se sont vu proposer cette méthode comme traitement de première intention. Pourquoi si peu? D’après le Pr Christoph Nissen, directeur du Centre de médecine du sommeil des HUG, les raisons sont multiples. D'abord, une demande dépassant de beaucoup les capacités des professionnels de santé, en raison notamment d'un manque de formation. Ensuite, une habitude tenace de recours aux médicaments, chez les soignants comme chez les patients, malgré les preuves montrant leur efficacité limitée et les effets indésirables. «Le défi consiste donc à changer cette habitude au sein du système de santé, relève le Pr Nissen. Ainsi, l'équipe du Centre de médecine du sommeil des HUG travaille par exemple sur un programme visant à promouvoir l'apprentissage de techniques comportementales et à contrer ce réflexe de prescription, tout en tenant compte des ressources limitées.»
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* Mélinée Chapoutot, BenjaminPutois. Libérez-vous de vos insomnies. Éd. Odile Jacob, 2023.
** Linder S, Duss SB, Dvořák C, et al. Treating insomnia in Swiss primary care practices: A survey study based on case vignettes. J Sleep Res. 2021 Feb;30(1):e13169
Paru dans Le Matin Dimanche le 21/04/2024
Au secours, je fais une crise d’angoisse
Insomnies
Les troubles du sommeil constituent un véritable problème de santé publique, tant par leur fréquence que par leurs répercussions humaines, sociales et économiques.