Certains paraplégiques marchent à nouveau
De quoi on parle?
Les faits
En février dernier, skis aux pieds, la Norvégienne Karina Hollekim a descendu La Roualle, une arête poudreuse du massif français des Aravis. Un exploit pour la jeune femme, victime d’un accident en août 2006, lors d’une démonstration de base jump (saut en parachute depuis un point fixe) en Suisse. De multiples fractures aux jambes ont laissé les médecins présager qu’elle ne pourrait jamais plus marcher.
Le bilan
Après avoir subi une vingtaine d’opérations et suivi une longue rééducation, elle peut aujourd’hui marcher et même skier.
Dans son malheur, l’ex-freerideuse Karina Hollekim a finalement eu de la chance. Après avoir été considérée comme «quasi-paraplégique» après son accident de parachute, en 2006, elle a pu remonter sur des skis car son cerveau et sa moelle épinière ont été épargnés.
Il est en revanche beaucoup plus difficile de remarcher quand on est touché par la paraplégie proprement dite, car le câblage nerveux qui permet au cerveau de transmettre les informations aux neurones moteurs de la moelle épinière est rompu. Il en résulte une paralysie des membres inférieurs et de la partie basse du tronc.
La sévérité de l’atteinte et les chances de récupérer de la mobilité dépendent de l’emplacement de la lésion. «Si elle est située dans la partie basse du dos, les jambes et le tronc sont paralysés. Si elle est placée au-dessous des vertèbres cervicales, les bras et les mains peuvent aussi être affectés», explique Stephanie Clarke, chef de service de neuropsychologie et neuroréhabilitation au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et présidente de la Fédération mondiale de neuroréhabilitation. La situation est différente si l’ensemble des fibres de la moelle épinière est rompu ou si n’est touchée qu’une partie d’entre elles. Dans ce dernier cas, poursuit le médecin,«même si le nombre de fibres préservées est faible, l’évolution peut être favorable et aboutir à une certaine récupération».
Les espoirs de la robotique
Après l’accident, les neurochirurgiens et les orthopédistes doivent donc poser un diagnostic qui leur permet de préciser le stade et la sévérité de la rupture. Ils peuvent alors, note Stephanie Clarke, «prédire dans une certaine mesure le devenir de leurs patients». Dans la phase aiguë, celle qui suit l’accident, ces derniers sont pris en charge dans des centres spécialisés, tels ceux de la SUVA à Sion, de Nottwil près de Lucerne ou de Balgrist à Zurich. Ils y font l’objet de «traitements très techniques de rééducation qui visent à optimiser la récupération au niveau de la moelle épinière».
Ensuite, lors du stade chronique, la réhabilitation passe essentiellement par de la physiothérapie. Mais elle fait aussi appel à de l’ergothérapie «qui permet d’optimiser les dispositifs d’aide – par exemple d’ajuster les chaises roulantes». Sans oublier la neuro-urologie car, les nerfs contrôlant les sphincters et la vessie étant souvent atteints, un grand nombre de paraplégiques souffrent d’incontinence. A l’issue de ces prises en charge, certains pourront se tenir debout, d’autres marcher dans leur maison, d’autres encore faire quelques pas dehors. L’objectif reste en effet d’améliorer leur qualité de vie et leur indépendance et «d’éviter que leur situation se dégrade», précise le médecin du CHUV.
Pour l’avenir, les spécialistes de la neuroréhabilitation placent beaucoup d’espoir dans les robots. Certains, comme le Lokomat, sont déjà utilisés dans les centres de rééducation. Il s’agit de placer, sur les jambes des patients, des orthèses qui mobilisent et stimulent les fibres médullaires situées au-dessous de la lésion et qui entraînent ainsi les mouvements automatiques des muscles des membres inférieurs. De cette manière, le dispositif «permet aux patients d’éviter des erreurs dans leurs mouvements», précise Stephanie Clarke.
Essais cliniques concluants
On pourrait toutefois faire beaucoup plus si les promesses des travaux menés au Centre de neuroprothèses de l’EPFL se concrétisent. Grégoire Courtine et ses collègues ont en effet réussi à refaire marcher des rats paraplégiques et même à favoriser la repousse de fibres nerveuses dans leur moelle épinière et leur cerveau (lire encadré).
Une tout autre piste explorée est celle suivie depuis une vingtaine d’années par Martin Schwab, président du Centre de neurosciences à Zurich. Dans l’enveloppe des fibres nerveuses de la moelle épinière et du cerveau, le chercheur et ses collègues ont en effet découvert qu’il existait une protéine qui empêche normalement la croissance des nerfs. Ils l’ont appelée «Nogo» (que l’on pourrait traduire par «ne fonctionne pas»). Les scientifiques zurichois ont alors élaboré une substance «anti-Nogo» qui bloque ce frein et permet ainsi aux nerfs de se régénérer. «Les tout premiers essais cliniques offrent des résultats concluants», commente Stephanie Clarke. Ilsmontrent aussi que, contrairement à ce que l’on a cru pendant longtemps, les lésions de la moelle épinière ne sont pas forcément irréversibles. C’est une très bonne nouvelle, qui laisse poindre à l’horizon des retombées cliniques.
Ils font marcher des rats paraplégiques
Avancée
Des rats paraplégiques remarchent! Ce résultat, publié par des chercheurs de l’EPFL dans la revue Science, en juin 2012, a fait grand bruit dans le monde entier. Il est vrai que l’étude menée par Grégoire Courtine, directeur du Centre de neuroprothèses, et ses collègues était une première.
Après avoir lésé la moelle épinière des rongeurs pour les paralyser, les chercheurs leur ont appliqué deux types de stimulations pour activer les fibres médullaires situées au-dessous de la lésion. Ils leur ont d’abord injecté un cocktail de molécules pharmacologiques, puis ont envoyé des impulsions électriques par l’intermédiaire d’électrodes implantées dans leur moelle épinière.
Les rats étaient aussi soutenus par un harnais robotisé qui les soulevait légèrement et les soulageait de leur poids. Toutefois, ce dispositif, «ne les aidait pas à avancer: si les animaux restaient statiques, le robot ne bougeait pas non plus», explique Rubia van den Brand, chercheuse au Centre de neuroprothèses. Soumis à ce traitement et à ce programme d’entraînement, les rongeurs ont finalement réussi à remarcher de manière volontaire. Mieux encore: les expérimentateurs ont constaté que «des connexions avaient repoussé dans leur moelle épinière, grâce à la grande capacité des fibres restées intactes à se réorganiser, ainsi que dans leur cerveau», précise la chercheuse.
L’équipe de l’EPFL a bon espoir de pouvoir appliquer cette méthode aux personnes paraplégiques. C’est pour cette raison qu’elle envisage de mener ses premiers essais cliniques. En collaboration avec le CHUV et la Suva, les chercheurs prévoient d’utiliser leur robot, combiné à l’électrostimulation, pour rééduquer un petit groupe de patients. Ces tests pourraient être lancés «prochainement», conclut Rubia van den Brand.