Le test de Rorschach fête ses 100 ans
Quatre choses à découvrir sur Hermann Rorschach
- Ce contemporain de Carl Gustav Jung est né en 1884 à Zurich. Fils d’un professeur d’art et lui-même doué pour le dessin et passionné de peinture, on le surnomme «Klex» (en français «tache»).
- C’est en observant ses patients schizophrènes, qui avaient une façon inhabituelle et caractéristique de percevoir des objets présentés dans des images ambiguës, qu’il commence à s’intéresser aux liens entre fonctionnement psychique et perception visuelle.
- Son test est le fruit d’un long cheminement entre essais et erreurs. De la centaine de planches réalisées à l’origine, il n’en conserve finalement que dix.
- Sa mort prématurée, à l’âge de 37 ans d’une péritonite, interrompt brusquement ses recherches, mais sa technique reste dans la postérité. Elle a connu depuis une célébrité croissante, mais aussi des controverses, et une réceptivité et des usages très divers selon les régions du monde.
(Source: Société internationale de Rorschach et des méthodes projectives)
Ses fameuses taches d’encre sont inscrites dans l’inconscient collectif. La littérature, l’art et la culture populaire s’en emparent régulièrement. Un siècle après sa création, le test de Rorschach est toujours d’actualité et sa pratique très vivante grâce aux sociétés savantes qui lui sont dédiées. Malgré les controverses en lien avec son appartenance à la théorie psychanalytique, il est l’un des tests projectifs les plus utilisés en clinique. L’été dernier, le 23e congrès de la Société internationale du Rorschach et des méthodes projectives s’est tenu au bout du lac à l’occasion de son centenaire à l’Université de Genève et une exposition lui a été consacrée dans ce cadre.
Conçue par le psychiatre et psychanalyste suisse Hermann Rorschach (lire l’encadré), cette épreuve est aujourd’hui majoritairement employée par les psychologues. Très codifiée (lire encadré), elle connaît toutefois des variations en fonction de l’appartenance théorique du clinicien qui le fait passer.
Le Rorschach (comme disent les spécialistes) est utilisé dans des contextes cliniques divers (bilan psychologique, expertise médico-légale, etc.), aussi bien chez l’enfant (dès 4 ans) et l’adolescent que chez l’adulte et la personne âgée. Il appartient à la classe des tests dits «projectifs», «non pas parce qu’il permet de lire dans l’avenir, mais parce qu’à travers lui, le sujet peut projeter ses propres représentations, toujours singulières», explique Pascal Roman, professeur de psychologie clinique, psychopathologie et psychanalyse à l’Université de Lausanne (UNIL) et président de la Société du Rorschach et des méthodes projectives de langue française. On y recourt pour mieux saisir la personnalité et le fonctionnement psychique du patient ou encore, chez l’adulte, comme outil diagnostic.
Une consigne minimale
Au nombre de dix, les planches de Rorschach présentent des taches d’encre de couleurs (noires, noires et rouges, multicolores) et formes différentes. Elles s’inspirent d’un jeu d’enfant consistant à plier en deux une feuille de papier sur laquelle on a pris soin de déposer une goutte d’encre, pour voir apparaître un dessin symétrique une fois la feuille dépliée.
La consigne donnée au sujet est simple: «Qu’est-ce que cela pourrait être?». Celui-ci répondra en fonction de son univers affectif et relationnel. Selon ses modalités psychiques en effet, une personne appréhendera les taches comme un tout tandis qu’une autre s’attachera aux détails. L’une y percevra du mouvement et de la vie, l’autre n’y verra que des formes froides et inanimées. «C’est la récurrence des réponses qui nous donne des indicateurs quant au mode d’organisation et de structuration psychique du sujet», commente le Pr Roman. Souffrances, angoisses, traumatismes, tristesse, sentiments dépressifs, conflits internes, etc., peuvent ainsi émerger à la vision de ces motifs pleins de mystères, illustre le psychologue: «Par exemple, un adulte ou un enfant souffrant d’une angoisse de séparation importante pourrait mettre l’accent sur des représentations liées, attachées ou collées ensemble. Une personne avec un vécu traumatique pourrait quant à elle être impressionnée par les aspects colorés ou de discontinuité. Tandis qu’un enfant en souffrance pourrait percevoir ces motifs comme très menaçants, y voyant des dragons ou des corps dépecés.»
Par l’intermédiaire de cet outil, le rapport que le sujet entretient avec lui-même mais aussi avec le monde est mis en lumière. Cette démarche unique en son genre permet aussi de révéler ce qui se cache derrière un symptôme. «Le test nous aide en effet à voir comment l’enfant se développe et se construit, mais aussi quelle est la coloration de ses compétences relationnelles, indique le spécialiste. Néanmoins, il n’a rien de magique. Dans le cadre d’un bilan psychologique, on recourt généralement à deux tests projectifs au moins afin de mobiliser des modalités différentes du fonctionnement psychique du sujet.»
Une écoute neutre
L’interprétation d’un test de Rorschach exige un long apprentissage et une certaine expérience du clinicien pour éviter qu’il ne projette ses propres critères de normalité, souligne le Pr Roman: «L’écoute clinique doit être exempte de jugement et de subjectivité.» Enfin, la restitution des résultats est un moment clé pour le patient, poursuit le psychologue: «Le test lève le voile sur ce que le sujet ne peut ou ne veut pas dire spontanément. Il est un bon moyen pour que la personne s’approprie quelque chose de son fonctionnement et de ses processus psychiques.» Ainsi, il peut être une source d’information précieuse pour la suite de la prise en charge ou le devenir de la personne.
Une passation rigoureuse
La passation du test de Rorschach est très encadrée. En effet, seules les planches publiées par les éditions Hogrefe, reconnues par la Société internationale du Rorschach (ISR), peuvent être utilisées. Celles-ci sont imprimées selon un procédé technologique complexe, proche du procédé initial, commente le Pr Pascal Roman, professeur de psychologie clinique, psychopathologie et psychanalyse à l’UNIL et président de la Société du Rorschach et des méthodes projectives de langue française, dans un article consacré à ce sujet1: «Ce dernier a la particularité de respecter la subtilité des contrastes et nuances des couleurs achromatiques et chromatiques, caractéristique déterminante pour assurer la standardisation du matériel de test proposé, et, au-delà, la possibilité de construire des références fiables d’une passation à une autre.» Les psychologues qui font passer le test doivent, en plus de leur formation initiale, être au bénéfice d’une spécialisation en méthodologie projective et suivre une formation continue.
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(1) Verdon B, Roman P. Le Rorschach, histoire et actualité dans la clinique et la recherche. Journal des psychologues, 2022.
Paru dans Le Matin Dimanche le 20/11/2022