Donner du sens à la maladie?

Dernière mise à jour 12/11/20 | Article
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Si l’on suit les mots du chirurgien humaniste français René Leriche, qui interprétait la santé comme le «silence des organes», comment réagir quand la maladie rompt abruptement ce continuum paisible?

Si la psychanalyse n’hésite pas à interpréter la pathologie comme un moyen pour le corps de traduire en maux ce que les mots n’ont su exprimer, la médecine conventionnelle – rétive à donner un sens au symptôme – a beaucoup évolué dans sa vision du soin au cours des quatre dernières décennies. Il semble en effet bien révolu le temps d’une médecine administrée à un patient assujetti à un protocole sur lequel il n’avait guère de prise.

De nouvelles approches, comme l’éducation thérapeutique entrée aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) dans les années 1980 sous les auspices du Pr Jean-Philippe Assal, ont progressivement dessiné les contours d’un certain humanisme médical qui redonne sa juste place au patient. Et lui reconnaît une autonomie certainement très salutaire dans le processus de guérison ou dans l’aménagement des conditions de vie en cas de pathologies chroniques.

C’est précisément cette relation thérapeutique à la fois adulte et bienveillante qu’enseigne et pratique la Dre Mélissa Dominicé Dao aux HUG. «Je considère la relation thérapeutique comme une rencontre d’experts. Certes, c’est moi qui dispose de l’expertise bio-médicale, des outils médicamenteux et de toute une palette de recommandations portant sur les indications, contre-indications, dosages et posologies. Mais le patient est quant à lui l’expert de la mise en place de cette procédure. C’est lui qui va décider concrètement comment il va l’intégrer à sa vie quotidienne. Si je peux proposer des changements d’hygiène de vie, encourager une pratique sportive ou une alimentation spécifique, c’est bien lui qui trouvera l’activité et la diététique les plus adaptées. Il sait mieux que personne ce qui sera praticable pour lui.»

Ne pas ajouter à l’adversité

Tout l’art du médecin repose donc sur sa capacité à nourrir la motivation du patient, de facto fragilisé physiquement et psychiquement par ce coup d’arrêt que peut constituer l’annonce d’une maladie. «D’où l’importance d’employer les outils de communication adéquats pour le motiver au changement et l’aider à le maintenir. Tout en gardant à l’esprit que c’est lui le maître d’œuvre de ce changement», poursuit la spécialiste.

Cette dialectique positive fait du temps un précieux allié. D’une part, pour le soignant, qui peut le mettre à profit pour se remettre en question, si le patient peine à adhérer au protocole de soin, et – hors contexte d’urgence – affiner le diagnostic. D’autre part, ce temps permet au patient d’accepter le verdict médical, de mettre en place la procédure de soin, et de se faire à l’idée du changement de paradigme parfois radical qu’implique la survenue d’une maladie chronique, comme le diabète, l’hypertension ou la douleur chronique.

Si la prise en charge des affections de longue durée appartient, selon cette approche, autant au patient qu’au médecin, imposer un sens en soi aux maux est un pas que la praticienne des HUG se refuse à franchir. «Lire la maladie uniquement comme la résultante de conflits psychiques refoulés ou d’une méconduite est terriblement culpabilisant. Qu’il s’agisse d’un diagnostic de pathologie chronique ou grave, c’est un malheur qu’on annonce. Ne pas ajouter à l’adversité me semble essentiel», insiste Melissa Dominicé Dao, suivie en cela par sa collègue, la Pre Chantal Berna Renella, responsable du Centre de médecine intégrative et complémentaire du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). «Il est important de ne jamais plaquer un sens sur la maladie de quelqu’un, comme la société le fait parfois volontiers. C’est une violence insupportable. Le malade est déjà suffisamment accablé pour ne pas en plus devoir s’en sentir responsable, voire coupable», renchérit cette dernière.

Etincelles de vie

Mais parfois, la recherche d’un sens est un besoin quand la maladie survient. Il incomberait dès lors au seul patient de le déceler, l’identifier, au terme d’une descente en soi que le thérapeute peut en revanche efficacement soutenir et accompagner.

La compassion constitue un outil majeur dans cet accompagnement. «Dans des contextes difficiles, de grande détresse ou de précarité, les conversations d’ordre existentiel ne sont pas rares et souvent bénéfiques, poursuit la Pre Berna Renella. Dans ces cas plus que tout autres, il s’agit d’explorer avec le patient quelles sont ses valeurs, ses aspirations profondes, souffler sur les étincelles de vie pour que le feu reprenne. Comprendre aussi quelles émotions difficiles, douloureuses, peuvent l’entraver, comme la culpabilité, si peu aidante».

Pour accéder à ces strates de soi souvent inexplorées, la spécialiste préconise des outils complémentaires, comme les massages, l’art-thérapie ou encore l’hypnose clinique. Soit une invitation à «revenir au corps, se reconnecter avec son potentiel créatif via des outils d’expression non verbaux ou encore utiliser la métaphore pour renouer avec des émotions tapies, qu’elles soient joyeuses ou douloureuses. C’est une manière de raviver des ressources ou, pour les sentiments difficiles, de les identifier pour s’y confronter puis les surmonter», propose la Pre Berna Renella. Toute une orthopédie psychique que le médecin va accompagner, soutenant le malade dans un processus de guérison qui est aussi une réinvention de soi.

Pour aller plus loin

  • L’éducation thérapeutique au risque de la réflexion philosophique, Philippe Walker, Ed. Connaissances et Savoirs, 2018.
  • La maladie a-t-elle un sens?, Thierry Janssen, Ed. Pocket, 2010.

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Paru dans Générations, Hors-série « Se soigner autrement – Gros plan sur la médecine intégrative », Octobre 2019.

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