Réapprendre le quotidien
La clinique de réadaptation de la Suva
Même en cherchant bien, vous ne trouverez pas, à la Clinique de réadaptation de la Suva, les obstacles qui généralement habillent nos maisons. Marches et rebords laissent place à de longs couloirs rectilignes et plats. Normal à vrai dire. Car c’est ici, à deux pas de l’Hôpital de Sion, que sont pris en charge les accidentés graves de toutes sortes. Polytraumatisés, amputés, grands brûlés, paraplégiques et traumatisés crâniens y apprennent à nouveau à vivre. Différemment forcément, car tous les gestes de la vie quotidienne, de la toilette aux commissions, sont devenus compliqués. Quelles stratégies sont mises en place dans ce centre unique en son genre en Suisse romande pour aider ces malchanceux à se réinsérer socialement et professionnellement? Reportage au cœur des montagnes valaisannes.
Jean-Yves Michellod est probablement l’un des patients les plus célèbres de la Clinique de la Suva. Skieur hors pair, vainqueur de l’Xtreme de Verbier en 2004, ce guide de montagne valaisan vivait à 100 à l’heure. Pour sa passion, le ski, et pour sa famille. Jusqu’à ce que tout bascule. En 2006, il tombe dans une avalanche. Résultat: multiples fractures et surtout, luxation de la colonne vertébrale. Ses jambes ne répondent plus: il est paraplégique. Mais l’homme n’est pas du genre à lâcher prise. Après 7 mois de combat et un passage à la clinique de la réadaptation de la Suva, Jean-Yves Michellod retrouve partiellement l’usage de ses jambes. Il se fait construire un ski-bob en France, remonte sur ses montagnes préférées et dévale à nouveau les pentes de poudreuse. En chaise certes, mais de façon tout à fait spectaculaire comme le montre le film de ses amis de toujours Nicolas et Loris Falquet, «JYM, skieur libre ».
Une réadaptation inégale
Si le parcours de Jean-Yves Michellod est exemplaire, dans le sens où il démontre à quel point un accidenté peut se réintégrer dans la société, il n’est pas la règle comme le rappelle le docteur Gilles Rivier, directeur médical de la clinique romande de réadapatation de la Suva. «On a longtemps cru qu’il existait une corrélation entre la gravité de l’atteinte médicale et la capacité du patient à se réinsérer professionnellement et socialement. Or, cela n’est pas le cas. Le succès n’est au rendez-vous que si le patient, ses proches et l’employeur s’engagent. Il faut aussi que la démarche de réadaptation prenne en compte non seulement l’atteinte physique, mais aussi la souffrance psychologique ainsi que le contexte socioprofessionnel et familial. En plus de faire en sorte que les tissus cicatrisent bien, nous aidons le patient à retrouver un sens à sa nouvelle vie, à progresser dans les activités de la vie quotidienne et à établir un projet professionnel. Il faut encore évaluer comment affronter, voire aménager l’environnement architectural s’il n’est plus adapté. Pour un grand brûlé porteur d’importantes cicatrices sur le visage, marcher et parler ne seront pas difficiles, mais soutenir quotidiennement le regard des autres est un problème majeur. Si la place de travail d’un patient paraplégique est au 3ème étage d’un bâtiment qui n’a pas d’ascenseur, elle ne sera tout simplement pas atteignable», explique le docteur Rivier. La clinique dispose d’ateliers professionnels afin d’entraîner la reprise du travail et d’évaluer comment le patient évolue dans un milieu proche de celui qui sera le sien plus tard». L’objectif de la Suva est la réinsertion professionnelle. « A chaque patient correspond une problématique qui lui est propre et qui est plus ou moins complexe. Ceci explique qu’il n’y aura pas pour chacun, au bout du compte, la même réussite », explique le médecin valaisan.
Des soins coordonnés pour apprivoiser le quotidien
Pour maximiser les chances de réintégration sociale et professionnelle des patients, au vu des nombreux facteurs qui entrent en jeu, il faut donc proposer une palette de prestations très complète. Service social, ergo-, physio- et psychothérapeutes se succèdent pour aider les patients à affronter le nouveau quotidien auquel ils sont confrontés.
Comment, quand on est en chaise roulante, s’habiller, faire le ménage ou ses courses ? Pour cela, on a reconstitué à la Clinique de la Suva, un petit appartement, une cuisine et des salles de bains pour que les gens s’entraînent. « Nous avons même un simulateur de conduite, note le docteur Rivier. La mobilité est essentielle. Ici, contrairement à d’autres centres de réadaptation, nous soignons des gens jeunes en âge de travailler. Si vous pouvez conduire, ça change la vie. » Mais le plus difficile, pour relever les défis du quotidien, n’est pas forcément visible. « En apparence, celui qui a subi un traumatisme crânien peut donner l’impression d’aller bien, résume Gilles Rivier. Mais, en réalité, il a de grandes difficultés à se concentrer, est facilement irritable et cela perturbe considérablement les relations interpersonnelles. L’évaluation neuropsychologique et le soutien aux familles sont ici extrêmement importants. Après une chute qui a provoqué des fractures ou simplement des contusions, certains patients ont peur d’aggraver leur état en se mobilisant et se montre pessimiste quant à leur avenir socioprofessionnel. L’empathie du personnel soignant et un soutien psychologique sont alors essentiels. » Prendre soin des accidentés demande ainsi de multiples compétences souvent très spécialisées et une coordination extrême des traitements. « C’est pour cela que la Suva a construit, il y a 11 ans, une clinique de réadaptation pour la population suisse romande. La proximité avec un hôpital de soins aigus tel que celui de Sion est idéale, conclut le docteur Rivier. Avant, les établissements de rééducation se trouvaient isolés dans la nature. Par romantisme, peut-être, on croyait que le grand air suffisait pour une guérison optimale. Mais actuellement, avec les progrès de la médecine, pour prendre en charge de manière optimale les atteintes complexes de nos patients, il faut réunir des compétences étendues et de pointe sur un même site. Si cela peut aider le patient à récupérer au mieux et à trouver les ressources nécessaires à assumer sa nouvelle vie, notre mission est alors accomplie. »