Antalgiques en automédication : soyez vigilants !
Introduction
Qu’elle soit sourde, irradiante, aiguë ou lancinante, la douleur devient parfois si difficile à supporter qu’elle mène inévitablement vers l’armoire à pharmacie dans le but de trouver de quoi y mettre fin. Les antalgiques, véritables armes contre le mal, font partie des médicaments les plus utilisés au monde. Selon une étude réalisée en 2002 aux Etats-Unis, 83% des 4263 personnes interrogées ont affirmé y avoir eu recours lors de l’année écoulée, dont 15% d’entre elles ont rapporté une prise quotidienne. En tête des substances les plus fréquemment absorbées figurait l’ibuprofène (chez 38% des sondés), suivi du paracétamol (33%), des produits à base d’aspirine (16%) et du naproxène sodique (9%).
Chez les jeunes adultes, ce sont les lombalgies et les céphalées qui conduisent le plus souvent à recourir à ces substances, tandis que chez les plus de 65 ans, il s’agit des douleurs causées par l’arthrose et des atteintes rhumatismales inflammatoires. Cette classe d’âge est d’ailleurs particulièrement concernée par la consommation d’antalgiques –celle-ci augmentant avec l’âge- et les risques qui y sont associés. Dans les pays développés, on estime même que 20 à 30% des seniors en ont avalé à un moment donné.
En Suisse, on assiste à une pression constante des patients de pouvoir se procurer des médicaments sans devoir consulter leur médecin. Ainsi, de nombreuses préparations, autrefois délivrées sur ordonnance, sont désormais remises sur conseils des professionnels de la santé (pharmaciens ou droguistes). En pratique, cela revient à un usage en automédication, qui n’est pas sans péril.
Pour lutter contre la douleur, on trouve, en vente libre (catégories C ou D) : l’aspirine (500 mg), le paracétamol (500 mg), l’ibuprofène (200 et 400 mg), le diclofénac (12.5 et 25 mg), le naproxène sodique (220 mg) ou encore la codéine (20 mg, dans l’indication antitussif). Lorsqu’ils sont pris pendant de courtes périodes et aux doses recommandées, ces remèdes sont en général bien tolérés. Pour autant, ces substances ne sont pas inoffensives et peuvent avoir des conséquences néfastes sur l’organisme. Un emploi banalisé et la méconnaissance de leurs effets toxiques n’y sont pas étrangers. C’est ce que confirme une étude qui a révélé que 49% des consommateurs d’antalgiques (en automédication) n’étaient pas inquiets face aux éventuels effets indésirables et que 30% pensaient qu’il y avait moins de risques avec ce type de médicaments en automédication que sur prescription. Par ailleurs, 44% prenaient des doses plus importantes que celles indiquées sur l’emballage.
Toxicité et surdosage
Prenons l’exemple du paracétamol, qui fait partie des antidouleurs les plus courants. Sa consommation, si elle est mal gérée, peut entraîner des effets toxiques, notamment au niveau du foie. Cette substance dispose en effet d’une marge thérapeutique étroite, ce qui signifie que l’écart entre la concentration nécessaire pour obtenir un soulagement et celle qui est nocive est faible. Or, il faut savoir que le paracétamol entre également dans la composition de différentes préparations contre le refroidissement, vendues sans ordonnance. Le risque de toxicité hépatique par surdosage est de ce fait d’autant plus grand.
Aux Etats-Unis, 30 000 hospitalisations (dont la moitié est accidentelle) par année sont dues à un surdosage en paracétamol. Une limitation de la dose et du nombre de comprimés par emballage n’ont qu’une efficacité relative sur l’incidence et la gravité de tels cas.
Effets secondaires et interactions
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), quant à eux, peuvent causer des dommages au niveau gastro-intestinal, cardiovasculaire ou rénal. Ces conséquences néfastes sont souvent méconnues et peuvent dès lors se traduire par des comportements à risque, en particulier chez certaines catégories de la population (statut socio-économique bas).
Les personnes âgées et celles qui souffrent d’hypertension artérielle, de maladie du cœur ou encore de diabète sont elles davantage exposées à une élévation de la tension artérielle, à des épisodes de décompensation cardiaque ou à une insuffisance rénale aiguë, liés à la prise d’AINS. Sans compter que les interactions avec d’autres médicaments sont potentiellement nombreuses. Le fait que ces malades suivent en parallèle d’autres traitements (à base par exemple de corticoïdes, d’anticoagulants, etc.) augmente encore ces risques. Informer le médecin de façon exhaustive des médicaments absorbés peut mettre à l’abri de graves complications.
Le spectre de l’addiction
La prise d’antalgiques est également susceptible de mener à une dépendance. Ce genre de phénomène existe notamment chez les personnes sujettes à des maux de tête chroniques (céphalées de tension, migraines, sinusites chroniques). Une absorption régulière (pendant au moins quinze jours par mois durant plus de trois mois), quelle que soit la substance analgésique, les expose à des céphalées par abus médicamenteux. Pour limiter la dépendance et l’aggravation des troubles lors du sevrage, les médecins préconisent un dépistage à l’aide d’outils utilisés pour détecter une addiction psychologique à des drogues.
Prendre des antidouleurs en automédication, quels qu’ils soient, doit donc faire l’objet d’une vigilance étroite afin de ménager sa santé.
Source
Antalgiques en automédication : quels sont les risques? Rev Med Suisse 2010 ; 6 : 1338-41
Dr Rebecca O’Hayon Naïm Clinique de Carouge ; Dr Monica Escher Service de pharmacologie et toxicologie cliniques, Département d’anesthésiologie, de pharmacologie clinique et des soins intensifs, HUG.