Dépression: la kétamine en spray nasal arrive sur le marché
C’est une grande nouvelle dans le monde de la psychiatrie: la kétamine en spray nasal vient d’être approuvée par l’Office américain des médicaments (FDA). Après une vingtaine d’années de recherche et de développement, cette substance est désormais commercialisée aux États-Unis comme médicament contre les dépressions résistantes. Son principal atout: sa rapidité d’action. Contrairement aux antidépresseurs classiques qui ne sont efficaces qu’après plusieurs semaines, la kétamine agit en quelques jours seulement.
Cette molécule est connue en médecine depuis des décennies, mais comme anesthésiant. Elle permet d’endormir un patient et présente en plus un effet dissociatif: le vécu de la personne est en quelque sorte «séparé» de la douleur.
Des neurones mieux connectés
Dépression post-partum: nouveau traitement
L’Office américain des médicaments (FDA) vient également d’approuver le brexanolone, premier médicament développé spécifiquement pour le traitement des dépressions post-partum.
Une jeune mère sur neuf en souffre aux États-Unis. Il y a plusieurs années déjà, des chercheurs ont mis en évidence le rôle d’une hormone, l’alloprégnanolone, qui augmente durant la grossesse. C’est sa diminution après l’accouchement qui semble provoquer un état dépressif chez certaines femmes. Le brexanolone permet de rééquilibrer le taux de cette hormone.
Le principal avantage de ce nouveau traitement réside dans sa rapidité d’action: environ deux jours, contre plusieurs semaines pour les antidépresseurs classiques. Comme la kétamine, cependant, cette nouvelle molécule doit être administrée sous surveillance hospitalière (en raison du risque d’évanouissement). Le hic: le traitement coûte 34'000 dollars, sans compter les frais d’hospitalisation. Un prix qui risque d’éloigner le remboursement pour tous…
C’est notamment cet effet dissociatif qui semble jouer un rôle positif sur l’état dépressif. «Il permet de prendre de la distance et de s’ouvrir au monde», analyse le Pr Daniele Zullino, médecin chef du Service d’addictologie du Département de la santé mentale et psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Les antidépresseurs classiques agissent en augmentant la concentration de certains neurotransmetteurs dans le cerveau (sérotonine, noradrénaline et dopamine), ce qui stimule la production de nouvelles connexions entre les neurones. La kétamine, quant à elle, augmente la libération de glutamate, un acide aminé dont l’équilibre avec d’autres neurotransmetteurs est nécessaire au bon fonctionnement du cerveau. Grâce à cela, la production de connexions neuronales est aussi stimulée. «Le résultat final est donc le même, commente le Pr Chin Bin Eap, responsable de l'Unité de pharmacogénétique et psychopharmacologie clinique au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Mais avec les antidépresseurs classiques, le corps met au moins deux semaines à s’adapter à l’augmentation de la sérotonine par exemple. En revanche, avec la kétamine, l’effet est quasiment immédiat.»
Afin d’améliorer encore sa vitesse d’absorption, la substance est administrée à l’aide d’un spray nasal. Si l’image d’un «pschitt» dans le nez pour se sentir mieux peut faire sourire, des raisons scientifiques se cachent derrière ce dispositif. «La kétamine est une substance très fortement métabolisée, explique le Pr Zullino. Lorsqu’elle est avalée, elle arrive rapidement jusqu’au foie, qui l’élimine. Mais si elle est injectée dans le nez, elle est d’abord résorbée dans les muqueuses et arrive au cerveau sans passer par le foie. Ses effets sont donc augmentés. C’est le même principe, par exemple, pour la cocaïne qui se sniffe.»
Réservée aux cas les plus graves
Le jour où chacun pourra se promener avec son spray de kétamine dans la poche est encore loin. En particulier, ses possibles effets dissociatifs doivent être étroitement surveillés. Dans les heures qui suivent sa prise, la molécule peut provoquer une instabilité de la pression artérielle, si bien que des conditions strictes doivent entourer sa prescription. C’est pour cette raison qu’elle est réservée aux cas de dépression résistante. «On parle de dépression résistante lorsqu’au moins deux traitements ont été menés dans les règles de l’art mais n’ont pas donné de résultats, précise le Pr Alexandre Berney, médecin-chef et psychiatre de liaison au CHUV. Cela concernerait jusqu’à 30 à 40% des dépressions, mais c’est un chiffre délicat à évaluer étant donné la difficulté de savoir si un traitement a été parfaitement pris, dosé et monitoré.»
Pour le moment, donc, la kétamine n’est pas considérée comme un traitement de premier recours contre la dépression. Une bonne chose, selon le spécialiste: «Nous n’avons pas encore de recul sur une prescription à large échelle. Le principe de précaution me semble donc indispensable».
Bientôt disponible en Suisse?
Après les États-Unis, une demande de mise sur le marché européen vient d’être déposée auprès de l’Agence européenne du médicament (EMA). En Suisse en revanche, aucune démarche en ce sens ne semble entreprise pour le moment. «Cela arrivera probablement tôt ou tard, estime le Pr Chin Bin Eap. Cette molécule suscite beaucoup d’intérêt, car le taux de non-réponse aux traitements classiques est élevé.»
Il s’agit toutefois de rester prudent. La kétamine suscite des espoirs mais n’a rien d’un traitement miracle. Et elle n’enlève rien à l’intérêt d’un traitement non médicamenteux. «Une bonne partie de la prise en charge de la dépression passe aussi par la psychothérapie. Un traitement combiné avec un suivi régulier reste nécessaire, quoi qu’il en soit de l’efficacité du médicament», conclut le Pr Alexandre Berney.
Les électrochocs pour lutter contre la dépression
La thérapie par électrochocs (ou électroconvulsivothérapie) jouit d’une mauvaise réputation, liée à ses usages brutaux et abusifs exercés par le passé. Elle garde l’image d’un traitement barbare, pratiqué dans des conditions peu éthiques (sans anesthésie, sans le consentement du patient, voire de manière punitive).
Pourtant, lorsque les antidépresseurs et anxiolytiques classiques échouent, l’électroconvulsivothérapie permet de soulager certains patients. Toujours pratiquée sous anesthésie générale, elle consiste à stimuler les cellules nerveuses à l’aide d’un champ électrique pendant environ huit secondes. Celui-ci provoque chez le patient une crise d’épilepsie: toutes les cellules nerveuses s’activent en même temps, de manière intense. Malgré son caractère impressionnant, l’électroconvulsivothérapie n’entraîne aucune lésion au cerveau. Elle agit vraisemblablement sur les circuits neuronaux impliqués dans la dépression. La crise convulsive déclenchée par les électrochocs améliorerait la circulation de l’information entre les différentes zones cérébrales et stimulerait la fabrication de neurones.
Pratiquée occasionnellement en Suisse, cette méthode reste réservée aux cas de dépression les plus graves. Elle est uniquement proposée à des personnes souffrant de dépression résistante voire réfractaire, chez lesquelles au moins quatre autres traitements n’ont pas fonctionné.
___________
Paru dans Le Matin Dimanche le 26/05/2019.
De la stimulation transcrânienne contre la dépression, chez soi
Dépression
La dépression peut se manifester par une tristesse, un manque de plaisir et d'énergie, mais aussi par des changements dans le sommeil, l'appétit ou le poids.