Electroconvulsivothérapie en psychiatrie: au-delà du mythe
L’électroconvulsivothérapie (ECT), développée il y a près de 75 ans – alors appelée «électrochocs» –, est très mal vue du grand public et de nombreux médecins la considèrent avant tout comme une méthode brutale et coercitive. Il faut relever qu’une part importante de ce rejet est liée aux périodes sombres où elle a pu être utilisée, dans certains contextes politiques et dans certains pays, de manière totalement abusive et à des fins ne relevant pas de la thérapeutique. Actuellement, on n’y a recours que de manière très limitée en Suisse romande, dans des situations cliniques extrêmement graves et de non-réponse aux traitements habituels, indications dans lesquelles elle peut avoir un effet spectaculaire.
Il est important de relever que cette méthode thérapeutique s’est modifiée de manière drastique, qu’elle a fait l’objet de multiples études aussi bien cliniques que neuroscientifiques, et qu’il s’agit donc maintenant d’une méthode scientifique basée sur les preuves.
Si le principe de base, qui consiste en l’application à la surface du crâne d’un stimulus électrique pour provoquer une crise d’épilepsie, reste inchangé, les modalités d’administration sont très éloignées de celles des débuts, puisqu’elle se déroule toujours sous anesthésie générale brève et curarisation afin d’éviter des complications liées aux convulsions qu’elle engendre.
Les effets secondaires les plus fréquents sont la confusion (durant habituellement moins d’une heure) et une amnésie portant surtout sur les événements récents (régressive mais pouvant parfois persister partiellement). Ces risques sont toutefois considérablement diminués par certains développements techniques récents, comme l’abandon des ondes sinusoïdales en faveur de trains d’ondes pulsées brèves ou ultrabrèves, mais aussi par le choix d’une stimulation unilatérale de l’hémisphère du cerveau non dominant. Celle-ci vise à épargner les aires du langage.
L’ECT ne provoque aucune lésion du tissu cérébral et les complications graves sont extrêmement rares, le taux de mortalité se confondant avec celui de l’anesthésie générale. Le traitement consiste généralement en deux stimulations par semaine, la rémission étant souvent obtenue après six à douze séances. Des séances supplémentaires (dites «d’entretien») plus espacées peuvent parfois être indiquées chez certains patients.
Quand utiliser l’ECT?
L’indication principale est l’épisode dépressif sévère résistant au traitement, mais l’ECT est également utilisée dans d’autres situations telles que les épisodes maniaques, les épisodes aigus de schizophrénie catatonique et le syndrome malin des neuroleptiques. L’ECT est particulièrement utile si les psychotropes sont inefficaces, d’emploi risqué du fait de risques de complications ou d’interactions médicamenteuses, et son efficacité est marquée chez les personnes âgées et chez la femme enceinte.
Il ne s’agit du reste pas uniquement d’un traitement de dernier recours, l’ECT étant indiquée en première intention quand le pronostic vital est engagé, comme en cas d’épisode dépressif majeur risquant de conduire au suicide ou d’arrêt d’alimentation, de catatonie, ou parfois en cas de demande de la part du patient. Il n’y a pas de contre-indication absolue ni de limite d’âge, les situations étant discutées entre l’anesthésiste et le psychiatre.
Les modes d’action suggérés par la recherche sont l’augmentation de la libération de dopamine, de sérotonine, et de GABA (acide γ-aminobutyrique, un des principaux neurotransmetteurs inhibiteur du système nerveux central) qui pourrait expliquer les propriétés paradoxalement anticonvulsivantes de l’ECT.
Récemment, des travaux d’imagerie fonctionnelle chez les patients dépressifs ont montré qu’au travers d’une zone du cortex appelé «nexus dorsal», trois réseaux (affectif, contrôle cognitif et réseau de «mode par défaut») avaient acquis une connectivité accrue par rapport aux contrôles. La réduction de cette hyperconnectivité locale pourrait du reste constituer une cible importante pour le traitement de la dépression. L’ECT semble agir sur cet excès de connectivité, dans une région restreinte du cortex qui inclut le nexus dorsal, ce qui pourrait expliquer à la fois l’efficacité de ce traitement, mais aussi ses effets secondaires.
Lutter contre les préjugés
A la lumière des résultats de désormais nombreuses études cliniques et des connaissances qui s’accumulent pour expliquer le fonctionnement de cette méthode, il est important de chercher à s’extraire des débats idéologiques et de baser sur des données scientifiques et éthiques la réflexion nécessaire pour définir la place que l’ECT doit trouver dans l’arsenal thérapeutique. S’il est important de veiller à prévenir toute dérive, il serait en effet difficilement justifiable que des préjugés infondés privent les patients d’une méthode de soins répondant aux critères de la science et qui, dans certains cas, peut sauver des vies.
Référence
Adapté de «Psychiatrie. Electroconvulsivothérapie – au-delà du mythe», Dr. Jean-Frédéric Mall in Revue médicale suisse, 2013;9:76-9, en collaboration avec les auteurs.