Sortir du tabou pour mieux soigner l’incontinence fécale

Dernière mise à jour 06/05/14 | Article
Sortir du tabou pour mieux soigner l’incontinence fécale
Honte des patients et méconnaissance de certains praticiens concourent à faire de l’incontinence fécale un véritable tabou. Des solutions thérapeutiques existent pourtant, et permettent dans la plupart des cas une amélioration notable de la qualité de vie des patients.

La nouvelle avait été largement reprise par les médias au printemps 2012: les ventes de couches pour adultes venaient de dépasser celles des couches pour bébé au Japon. Signe incontestable du vieillissement de la population pour les observateurs. Mais preuve également que vieillesse et incontinence sont encore considérées comme allant de paire. Si de nombreux séniors, et pas seulement au Japon, sont contraints de porter des protections, c’est que l’incontinence fécale reste un tabou majeur. Une récente étude menée auprès de femmes américaines concernées par ce problème montrait que moins d’un tiers en avait déjà parlé avec un médecin. Mais les praticiens ne sont eux-mêmes pas toujours à l’aise avec ce sujet, beaucoup n’ayant pas reçu d’enseignement spécifique au cours de leurs études.

L’incontinence fécale a d’ailleurs longtemps été considérée comme une pathologie difficile à prendre en charge. Ce temps est révolu, et il existe aujourd’hui un choix d’options thérapeutiques qui permettent à de nombreux patients de voir leur qualité de vie améliorée.

Une pathologie sous-diagnostiquée

«Comme beaucoup de patients incontinents ne parlent pas de leur problème, il est difficile de savoir exactement combien sont touchés, souligne Martin Hübner, chirurgien spécialisé en colo-proctologie au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Les estimations sont variables selon les populations considérées. 10% des plus de 65 ans seraient concernés.» A partir de 50 ans, il existe une diminution progressive de la masse musculaire, qui affecte aussi les sphincters. Les atteintes restées silencieuses jusque-là peuvent alors devenir symptomatiques. Chez les femmes, le phénomène est renforcé par la survenue de la ménopause, qui induit aussi un relâchement des tissus. «Une femme sur cinq serait concernée au cours de sa vie, précise Martin Hübner. Elles sont majoritaires parmi les personnes traitées pour ces problèmes d’incontinence, mais peut-être osent-elles aussi plus en parler que les hommes?»

Les accouchements traumatiques, première cause d’incontinence

«Les accouchements traumatiques, particulièrement lorsqu’il y a recours aux forceps, sont les premières causes d’incontinence fécale chez la femme», relève Vincent de Parades, proctologue médico-chirurgical à l’Institut Léopold Bellan, du groupe hospitalier parisien Saint Joseph. L’arrivée de l’échographie endo-anale nous a permis de mieux comprendre les lésions anatomiques consécutives à ces gestes. Alors que la plupart des jeunes accouchées n’avaient aucun symptôme, des lésions sphinctériennes non-négligeables étaient pourtant présentes, faisant de ces jeunes femmes des candidates à l’incontinence dix ou vingt ans plus tard.» Aujourd’hui, comme dans le service du docteur de Parades, des équipes pluridisciplinaires sont présentes pour prendre en charge ces patientes. «Cela permet de donner des conseils pour protéger le périnée, notamment dans le cas de grossesses ultérieures. Selon les cas, une césarienne peut même être proposée afin de ne pas aggraver la situation.»

L’incontinence fécale peut avoir d’autres origines, traumatiques, neurologiques, ou liées à une chirurgie ano-rectale. Elle est aussi parfois la conséquence d’une constipation chronique. «Des efforts de poussée très intenses et répétés sur des années peuvent abîmer le plancher pelvien», rappelle Vincent de Parades.

«Il n’existe pas un seul type d’incontinence fécale, insiste pour sa part Martin Hübner. Chaque cas est différent, non seulement pour l’étiologie de la maladie mais aussi pour les conséquences sur la qualité de vie. Les choses peuvent être ressenties différemment à 55 ans et à 80. L’option thérapeutique choisie est donc adaptée à chaque personne.»

Des prises en charge variées

Quand ils arrivent à surmonter le tabou, la plupart des patients choisissent de s’adresser à leur médecin de famille. «Il est primordial que les patients trouvent un praticien qui entend leur problème et qui a des solutions à leur proposer, souligne Vincent de Parades. Ils ne doivent pas se résigner et ne pas hésiter à s’adresser à une consultation spécialisée.»

Des changements dans les habitudes de vie, et surtout une régulation du transit intestinal, par un apport de fibres alimentaires ou une prescription de lopéramide (anti-diarrhéique), peuvent apporter une nette amélioration chez de nombreux patients. La rééducation du périnée postérieur peut également être une aide efficace. Chez certains patients il faut cependant recourir à des techniques plus invasives. «Notre objectif quand on prend en charge un patient est de lui rendre une qualité de vie suffisante, explique Paul Antoine Lehur, chef du service de chirurgie digestive au CHU de Nantes. Il faut donc prendre le temps d’écouter chaque personne et de comprendre ce qu’elle attend et ce qu’elle est prête à faire pour aller mieux.»

La chirurgie reconstructrice du sphincter anal peut être proposée dans certaines indications, principalement chez les jeunes femmes qui ont subi une déchirure lors d’un accouchement. Mais aujourd’hui la technique la plus efficace est la neurostimulation des nerfs sacrés situés juste au-dessus du coccyx, dans le bas du dos. Elle se fait via un boîtier implanté sous la peau et relié aux nerfs par des électrodes. «Le principe est un peu similaire à celui du pacemaker cardiaque, explique Paul Antoine Lehur. La neurostimulation a clairement révolutionné la prise en charge de l’incontinence fécale, mais elle n’est proposée qu’aux patients chez lesquels les autres options ont échoué.» De manière surprenante, la neurostimulation semble efficace quelle que soit l’étiologie de l’incontinence. «Même dans les cas d’origines neurologiques, relève Martin Hübner. On ne comprend pas encore très bien pourquoi, mais les résultats ne font pas de doute.» Au vu des résultats obtenus, les indications de la neurostimulation sacrée pourraient ainsi être élargies.

L’anneau magnétique, nouvelle piste thérapeutique

La neurostimulation des racines sacrées donne de très bons résultats mais c’est une technique coûteuse, qui n’est remboursée que dans certaines indications, et qui nécessite un suivi régulier. L’équipe du professeur Paul Antoine Lehur, chef du service de chirurgie digestive au CHU de Nantes (France), évalue actuellement une possible alternative à la neurostimulation: l’anneau magnétique.

Constitué de billes magnétiques, reliées de manière indépendante par un fil de titane, le dispositif est implanté autour du sphincter anal. Ce dispositif s’inspire d’un anneau utilisé pour améliorer la fermeture du sphincter œsophagien dans les cas de reflux acide. Les premiers dispositifs anaux ont été implantés il y a cinq ans déjà dans le service du professeur Lehur. «Cette étude de faisabilité a donné de très bons résultats: l’amélioration est significative pour 70% des patients. Nous devons maintenant évaluer la "non-infériorité" de l’anneau magnétique par rapport à la neurostimulation.» Un essai clinique piloté par le CHU de Nantes a débuté en France en octobre 2013. Devant inclure 156 patients dans onze centres référents, il devrait permettre de déterminer si l’anneau peut apporter les mêmes bénéfices que la neurostimulation. «L’idée n’est pas de lui substituer l’anneau, mais celui-ci pourrait notamment être utile pour les personnes dont les indications ne permettent pas la prise en charge de la neurostimulation.» Un dossier est également examiné par la Food and Drug Administration pour autoriser un essai similaire aux Etats-Unis.

   

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