Cancer du sein: la métamorphose des soins
Les cancers du sein restent les plus redoutés des femmes et à juste titre: avec environ un tiers des cas de cancers diagnostiqués, ils sont les plus fréquents et responsables de 20% des décès féminins liés au cancer. Des chiffres qui expliquent que durant des décennies, face à cette maladie, la stratégie était de «taper fort» sans attendre pour mettre toutes les chances du côté de la patiente. Depuis, beaucoup de paramètres ont évolué, notamment la connaissance de la biologie des tumeurs, les outils de diagnostic et les traitements, si bien qu’aujourd’hui 90% des patientes sont en vie cinq ans après le diagnostic. Les nouvelles prises en charge permettent une meilleure personnalisation des traitements, avec une approche plus ciblée, souvent une désescalade des soins et moins d’impact négatif sur la qualité de vie des patientes.
Ne pas négliger la dimension sociale
Des scientifiques de l’Université de Genève (UNIGE), des HUG et, en France, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale et de l’Institut Gustave Roussy ont suivi 5900 patientes atteintes d’un cancer du sein précoce et ayant eu accès à des traitements similaires, afin d’évaluer le poids des inégalités socio-économiques sur leur qualité de vie. Un score a ainsi été établi: alors qu’au moment du diagnostic il était déjà de 6,7 entre les deux extrêmes socio-économiques (un score à 0 indiquant l’absence d’inégalités), il passait à 11 pendant le traitement, pour se maintenir à 10 deux ans plus tard, ces chiffres montrant l’aggravation des inégalités en raison de la maladie. Les femmes de cette cohorte ont été soignées en France, «un pays pourtant très égalitaire en matière d’accès aux soins», soulignent les chercheurs. Avant d’ajouter: «Lorsque l’on parle d’oncologie de précision, il faudrait prendre en compte la personne dans son ensemble, y compris dans sa dimension sociale.»
«La prise en charge des cancers du sein en particulier a été pionnière pour la personnalisation des traitements, en les adaptant au type de tumeur», rappelle la Dre Anita Wolfer, responsable du Centre du sein des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Parler de cancer du sein est en effet un raccourci. Et pour cause, il en existe de différents types dont les spécificités orientent le choix thérapeutique. Le cancer le plus fréquent, qui représente près de 75% des cas, est dit «hormonosensible». Il est appelé ainsi car la tumeur possède des récepteurs aux œstrogènes ou à la progestérone. D’autres cancers – hormonosensibles ou non – sont dits «HER2 positifs» car la tumeur exprime un récepteur particulier appelé HER2. Enfin, les cancers de moins bons pronostics sont les «triple négatifs», qui ne possèdent de récepteurs ni aux œstrogènes, ni à la progestérone, ni HER2.
Thérapies ciblées
Une des avancées thérapeutiques majeures de ces dernières années a été la mise au point de thérapies ciblées contre HER2. «Cela a changé la donne! Jusque-là, la présence de récepteurs HER2 était plutôt de mauvais pronostic, alors que maintenant cela permet d’utiliser ces nouveaux traitements qui ont une très bonne efficacité», explique Anita Wolfer. Autre bonne nouvelle: très récemment, l’arsenal thérapeutique contre les cancers triple négatifs s’est lui aussi étoffé. Des résultats présentés en septembre lors du congrès annuel de la Société européenne d'oncologie médicale (ESMO) ont confirmé l’intérêt d’une immunothérapie, thérapie misant le système immunitaire pour combattre la tumeur. «L’utilisation de certains anticorps dits "anti-PD1" en plus de la chimiothérapie standard en amont de la chirurgie augmente significativement les chances que la tumeur ait complètement régressé avant l’opération. Et ceci est d’excellent pronostic», détaille le Dr Khalil Zaman, responsable médical du Centre du Sein du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Le parcours de soins des cancers hormonosensibles, qui se traitent plus facilement, a également évolué. «Il comporte toujours une chirurgie, mais la mastectomie n’est pas systématique. Si le cancer est diagnostiqué lors d’un dépistage par exemple, elle n’est pratiquée que dans 15 à 20% des cas, souligne la Dre Wolfer. Et nous sommes également plus conservateurs concernant les ganglions, quand cela est possible, ce qui réduit le risque de lymphœdème, aussi appelé "syndrome du gros bras"». Les techniques de radiothérapie ont elles aussi progressé, et une étude présentée à l’ESMO confirme que chez une grande partie des patientes, il serait possible de réduire à quinze le nombre de séances nécessaires sur trois semaines, au lieu de vingt-cinq sur cinq semaines aujourd’hui. Dans ce type de cancer, une thérapie antihormonale, ou hormonothérapie, qui mime une ménopause est souvent prescrite durant cinq à dix ans.
Impact sur la qualité de vie
Bien que de nouvelles options de thérapies antihormonales soient aussi apparues ces dernières années, le poids de leurs effets secondaires sur la qualité de vie reste souvent important. «J’animais récemment un café-rencontre avec des patientes: seules deux d’entre elles indiquaient que leur traitement ne posait pas de problème, relate Patricia Magnin, infirmière référente au Centre du sein de Fribourg. Le plus souvent, la question des effets secondaires génère un inconfort majeur pour les femmes et elles peinent à en parler avec leur oncologue.»
On estime que plus d’un tiers des patientes stoppent leur traitement à cause de ces effets indésirables. «C’est à nous, médecins, d’instaurer le dialogue sur ces sujets. Il peut par exemple être difficile pour les patientes de parler spontanément d’un problème de sécheresse vaginale alors que le traitement est là pour limiter le risque de récidive d’un cancer. Or nous avons des options à leur proposer, souligne le Dr Zaman. La majorité des patientes ont de nombreuses années de vie devant elles, qui doivent être de la meilleure qualité possible. Ces femmes ne doivent pas avoir à choisir entre leur quotidien et suivre leur traitement.»
Le rôle crucial des infirmières référentes
Les infirmières référentes qui travaillent dans les Centres du sein romands sont des maillons essentiels dans la chaîne de prise en charge des femmes atteintes de cancer. Si les premières infirmières certifiées, aussi appelées BCN (pour Breast Cancer Nurse), sont entrées en fonction il y a une dizaine d’années seulement en Suisse, leur cahier des charges est vaste. «Nous intervenons dès l’annonce du diagnostic où nous nous assurons que la patiente a bien assimilé toutes les informations transmises par l’oncologue», explique Patricia Magnin, qui exerce au Centre du sein de Fribourg. Et de préciser: «Nous faisons le bilan de ses besoins, attentes et objectifs de qualité de vie et sommes présentes à chaque étape de son parcours, chaque fois qu’elle le souhaite. Nous pouvons aussi bien discuter des effets indésirables des traitements que la renseigner sur les moyens auxiliaires (perruques, foulards, prothèses externes, etc.), ou la mettre en lien avec les autres professions de soutien, des assistants sociaux aux diététiciennes, en passant par les groupes de soutien et de parole. Notre grande force est le temps que nous pouvons prendre pour échanger avec elle.»
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Paru dans Le Matin Dimanche le 06/10/2024
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