Peut-on suspendre le temps en congelant ses ovocytes?
«Votre fille souhaite faire des études, offrez-lui la possibilité de congeler quelques ovocytes!» C’est ce qu’a proposé un orateur dans un récent congrès de gynécologie. Proposition sérieuse ou second degré, l’histoire ne le dit pas. Mais elle reflète un changement d’attitude vis-à-vis de cette méthode initialement développée pour préserver la fertilité féminine, en cas de cancer par exemple. La Société européenne de médecine de la reproduction recommandait ainsi de ne recourir à la cryoconservation des ovocytes qu’en cas de maladie. Elle estime désormais que les femmes désireuses de prolonger leur fertilité pour des raisons sociales devraient se voir proposer cette alternative («social freezing»). La publicité sur internet de centres de conservation des ovocytes, comme Ovita pour la Suisse, laisse penser que la femme peut s’affranchir de l’horloge biologique en recourant à ces procédés. Est-ce le cas? L’avis de Dorothea Wunder, médecin-cheffe de l’unité de médecine de la reproduction et d’endocrinologie gynécologique au CHUV à Lausanne.
L’offre augmente pour les femmes désireuses de congeler des ovocytes pour prolonger leur fertilité. La demande aussi?
Dorothea Wunder: C’est difficile à dire car le cadre légal est relativement strict en Suisse. Je dirai qu’il y a une demande qui s’exprime beaucoup plus facilement. Au CHUV, nous ne faisons pas de «social freezing». Nous ne recourons à la congélation des ovocytes qu’en cas de maladie. En effet, le procédé n’est pas anodin: il faut faire une stimulation hormonale (ce qui implique une injection quotidienne), prélever les ovocytes sous anesthésie générale, les congeler puis les dégeler au moment venu, et enfin procéder à une fécondation. Cela, sans garantie de grossesse au bout du processus.
Il y a peu, le procédé avait des chances limitées de succès. Les données ont-elles changé?
Oui, avec la découverte d’une nouvelle méthode de congélation beaucoup plus rapide, la vitrification. Celle-ci évite la formation de cristaux susceptibles d’endommager la cellule. C’était le problème principal auquel nous étions confrontés avec la congélation lente. Aujourd’hui, des centres de référence peuvent arriver au même taux de grossesse avec des ovocytes dégelés qu’avec des ovocytes frais.
Sait-on combien de naissances sont dues à un «social freezing»?
Nous n’avons pas de statistiques mondiales. Mais en se basant sur les données des études faites sur les enfants nés après une congélation d’ovocytes, on les évalue à quelques centaines seulement.
On a récemment découvert des facteurs de risques cardiovasculaires chez les enfants qui sont issus de la FIV. Que sait-on de la santé de ceux qui ont été conçus après congélation d’ovocytes?
La seule étude de suivi existante sur la vitrification porte sur deux cents enfants. Elle est plutôt rassurante. En ce qui concerne le suivi des enfants conçus après décongélation d’ovocytes, une revue de cinquante-huit articles incluant près de six cents enfants montre qu’il n’y a pas d’augmentation du taux de malformations. Mais, à l’évidence, nous manquons de recul.
Est-ce dès lors raisonnable de recourir à ces méthodes?
On ne peut progresser sans prise de risque. La cryoconservation des ovocytes est porteuse d’espoir pour celles qui recourent à cette méthode pour des raisons médicales. Par contre, pour les femmes qui souhaitent allonger leur période de fertilité, la question se pose en d’autres termes, même si chaque cas est différent. Elles devraient se demander si, tout bien pesé, elles veulent prendre le risque d’une FIV pour leur enfant. Auquel s’ajoute celui d’une grossesse tardive, avec en particulier une probabilité plus élevée de naissance prématurée. Tout cela pour aboutir à une situation identique. Soit la nécessité de concilier carrière et vie de famille.
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Extrait de : Check-Up. Les réponses à vos questions santé |
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En fonction de l'âge, il est conseillé de consulter après six mois ou une année de tentatives infructueuses pour mettre en route une grossesse. L'absence de règles pendant six mois sans grossesse doit aussi amener à consulter. Enfin, il est bon de se rappeler que dans la moitié des cas la cause de l'infertilité se trouve chez l'homme.