Les enfants de la procréation médicalement assistée (PMA) sont-ils ou non comme les autres?

Dernière mise à jour 21/05/12 | Article
Spermatozoïdes et ovule
Une étude australienne vient relancer les joutes sur l’innocuité des techniques de procréation médicalement assistée. Particulièrement visée: l’injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde (ICSI) que certains spécialistes ont qualifié de «viol de l’ovule»

Concevoir un enfant en dehors du corps de la femme: cette pratique a été la grande révolution médicale de ce dernier quart de siècle pour les couples confrontés à des difficultés de procréation. Et comme toutes les révolutions (réussies) la procréation médicalement assistée (PMA) est rapidement entrée dans les mœurs. Depuis les années 1980, plusieurs dizaines de millions de personnes ont vu le jour à travers le monde grâce à la PMA. En Suisse, 6500 femmes ont eu recours à la PMA en 2010 (pratiquement le double qu’en 2002 où elles étaient 3500), avec un taux de réussite de 75%. En France, ils sont 20000 chaque année à naître grâce au savoir-faire de ces nouveaux spécialistes que sont les «biologistes de la reproduction».

Cette révolution médicale a été couronnée par l’attribution du prix Nobel de médecine 2010 à Robert – Bob- Edwards. C’est lui qui, après de multiples tentatives, est parvenu le premier à réussir la fécondation en laboratoire (et sous son microscope) d’un ovule (ou ovocyte) par un spermatozoïde puis la naissance de l’enfant ainsi conçu. C’était Louise Brown. Nous étions alors en 1978 et le monde entier salua le premier «bébé-éprouvette» (on parlait ainsi alors) et c’était en Angleterre.

Mais Nobel ou pas une question essentielle demeure: cette manipulation des cellules sexuelles humaines est-elle véritablement dénuée de risque? Son innocuité ne fait aucun doute pour l’homme dont la participation se limite pour l’essentiel à une masturbation. Elle est nettement moins évidente pour la femme: une série de précautions médicales s’imposent pour parvenir sans danger à stimuler sa fonction ovarienne (on parle aussi d'«induction d’ovulation»), étape indispensable pour recueillir un nombre suffisant d’ovocytes. Les équipes spécialisées doivent encore calculer au plus juste le rapport entre les bénéfices escomptés (la naissance d’enfants vivants) et les risques importants (médicaux et médico-sociaux) inhérents aux grossesses multiples. Il faut enfin compter avec les dangers inhérents aux grossesses des femmes avançant en âge. Cette situation est fréquente en matière de PMA puisque le potentiel de fertilité diminue rapidement avec le temps et que les femmes souhaitent fréquemment aujourd’hui avoir des enfants de plus en plus tard.

Reste la question, jamais bien résolue, des risques auxquels on expose les enfants ainsi conçus. Cette question fait débat depuis le début de la PMA. Aucune catastrophe n’ayant été initialement observée cette pratique a pu être mise en œuvre et développée sans véritable frein par les gynécologues-obstétriciens et les biologistes de la reproduction. Quelques études rétrospectives ont ici et là été menées (par ces mêmes équipes) qui ont le plus souvent conclu à l’absence de risques majeurs fréquents. Ces mêmes études n’ont pas non plus pour l’heure permis d’établir de véritables liens de causalité entre les anomalies pouvant être observées chez les «enfants le la PMA» et les techniques utilisées (fécondation in vitro, congélation-décongélation de spermatozoïdes et d’embryons) pour les faire naître.

C’est dans ce contexte que survient une étude qui relance la controverse et suscite quelques inquiétudes. Elle a été menée par des chercheurs australiens et vient d’être publiée dans les prestigieuses colonnes du New England Journal of Medicine. On pourra en lire le résumé ici même. Ces résultats ont d’autre part été présentés au Congrès mondial «Building Consensus in Gynecology, Infertility and Perinatology» qui vient de se tenir à  Barcelone. Les auteurs de cette étude travaillent au Robinson Institute de l'Université australienne d'Adelaïde. Ils ont comparé les résultats du suivi des enfants nés de 6.163 procréations artificielles à ceux issus de 308.974 grossesses, intervenues entre janvier 1986 et décembre 2002 dans l'Etat de South Australia (ou Australie Méridionale).

«Le risque non corrigé de défaut à la naissance pour les grossesses après PMA s'élève à 8,3%, contre 5,8% pour les grossesses sans technique de procréation artificielle explique le Pr Michael Davies du Robinson Institute. Nous avons trouvé des différences significatives en termes de risques entre les traitements disponibles». Il précise que des recherches complémentaires vont être engagées pour tenter de comprendre les raisons précises de ces différences.

Les recherches précédentes avaient mis en évidence des risques légèrement accrus de malformations congénitales importantes voire graves: anomalies cardiaques, génito-urinaires ou musculo-squelettiques. C’est également le cas avec cette étude. Si l’on retient un taux moyen de 5,8% pour les enfants conçus «de manière naturelle» (sans avoir recours à ces techniques) les taux des malformations (dépistées avant l’âge de 5 ans) sont ici de 7,2 % chez les enfants nés après avoir été conçus par fécondation in vitro (FIV) et de 9,9% chez les enfants conçus après ICSI. Il s’agit ici d’une FIV particulière: le spermatozoïde est mécaniquement introduit de force au sein de l’ovocyte. Cette procédure a été initialement mise en œuvre dans les couples où les hommes présentaient un sperme peu fécondant. Elle est maintenant de plus fréquemment mise en œuvre du fait des taux de succès qu’elle permet d’obtenir.

L’équipe australienne met aussi en évidence le fait que des antécédents plus marqués d’infertilité sont également apparus comme associés de manière significative à des anomalies congénitales. «Si l'augmentation du risque est importante, ce dernier reste relativement faible dans l'absolu» tient toutefois à tempérer le Pr Michael Davies. L’étude ne permet pas de répondre à la question de savoir si ce sont les techniques de PMA elle-même qui peuvent être tenues pour être les seules responsables de cet excès de malformations. Ils expliquent que si l’on pondère ces résultats en prenant en compte (pour les exclure) tous les autres facteurs de risque connus (âge de la mère, antécédents d’infertilité etc.) les risques de malformations associé à la seule fécondation in vitro redeviennent comparables à ceux observées au terme des grossesses naturellement obtenues. Il n’y aurait donc pas stricto sensu de risques supplémentaires.

Il n’en va pas de même  en revanche pour l'ICSI. Dans ce cas, le risque de malformation demeure plus élevé, après la pondération, que pour une grossesse obtenue de manière naturelle. Est-ce le spermatozoïde (a priori infécond) injecté dans l’ovocyte qui est plus fréquemment porteur d’anomalies? Est-ce la technique d’injection elle-même qui doit ici être incriminée? Depuis sa découverte «accidentelle» au début des années 1990 (au sein de l’équipe des Prs André van Steirteghem et Paul Devroey; université libre néerlandophone de Bruxelles) l’ICSI suscite de nombreuses questions. Cette technique n’a jamais fait l’objet de la moindre expérimentation sur l’animal. Au point que certains spécialistes intéressés par les questions essentielles d’éthique médicale (comme le Pr Axel Kahn) ont parlé ici d’essais d’homme (en opposition avec les essais sur l’homme).

«Nous avons franchi, en même temps que la membrane de l'ovule, le dernier tabou, nous avait alors expliqué le Pr Axel Kahn. Et ce même geste qui permet aujourd'hui l'injection d'un spermatozoïde autorisera demain celle d'un noyau spermatique, d'un génome, d'un spermatozoïde trié. Je ne me serais, pour ma part, jamais engagé dans une telle voie, compte tenu des risques inouïs encourus. Mais c'est ainsi: nous sommes déjà devant le fait accompli. Il y a là, à mes yeux, d'un point de vue intellectuel, une formidable régression.»

D’autres, comme le biologiste Jacques Testart avaient eu recours à la formule imagée (et vivement contestée) du «viol de l’ovule». Ils s’étaient très tôt inquiétés des possibles conséquences sur les enfants ainsi conçus. Jacques Testart s’était officiellement inquiété en 1993 auprès d’un Comité consultatif de protection des personnes en observant que «l'élimination de toutes les barrières (zone pellucide et membrane plasmique) qui peuvent éventuellement jouer un rôle dans la sélection du spermatozoïde normal laissait craindre la multiplication d'anomalies de l'oeuf fécondé». C’était il y aura bientôt vingt ans. La question demeure d’actualité.   

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