«Dis maman, tu veux ou tu veux pas?»
La grossesse : un grand chamboulement physique et psychique
Selon le Pr Israel Nisand, «Il ne suffit pas d’être enceinte pour attendre un enfant». D’après les spécialistes, la grossesse est constituée de deux mécanismes: un phénomène physique (l’embryon qui grandit dans le ventre de sa maman) et un phénomène psychique, qui permet à la mère (ainsi qu’au père) de se préparer à l’arrivée d’un nouvel être et de tisser les premiers liens affectifs.
Le déni de grossesse
Lors d’un déni de grossesse, la femme est physiquement enceinte (l’embryon évolue dans son ventre), mais la grossesse psychique n’a pas lieu. Les symptômes de la grossesse sont absents: le ventre se voit peu ou pas du tout.
Dans les cas extrêmes et plutôt rares, les risques majeurs des dénis de grossesse sont liés à l’accouchement: ne sachant pas qu’elles sont enceintes, un certain nombre de femmes accouchent seules sur les toilettes, pensant que leur grossesse est simplement un problème digestif.
La grossesse nerveuse
Dans le cas d’une grossesse nerveuse, il s’agit du mécanisme inverse: la femme se sent enceinte dans sa tête, mais aucun embryon n’est présent dans son ventre. La force du psychisme crée les mêmes symptômes que celui d’une grossesse: nausées, vomissements, absence de règles, augmentation du ventre, etc.
Baby blues ou syndrome du 3e jour
Le baby blues est un état d’irritabilité, de pleurs et d’anxiété juste après l’accouchement. Il concerne plus de 50% des femmes ayant accouché. On peut presque parler d’un passage émotionnel normal. En général il apparaît entre le 3e et le 6e jour. S’il dure plus d’une semaine, il faut s’en inquiéter.
La mère a besoin à la fois d’être maternée et rassurée sur ses capacités maternelles; soutien et réconfort de la part de son entourage sont le plus souvent le meilleur des traitements.
Nathalie (prénom fictif) raconte son expérience: «J’avais l’impression d’avoir "perdu" le bébé qui était en moi. Durant la grossesse, la communication était facile avec lui. Je donnais une tape sur mon ventre et il réagissait. Tout d'un coup, je me suis retrouvée à côté de lui. J’étais la femme la plus heureuse du monde sans parvenir pas à le montrer tellement j’étais triste.»
Dépression du postpartum
Contrairement au baby blues, la dépression du postpartum est une maladie. Elle apparaît à la maternité ou lors du retour à domicile, 4 à 6 semaines après l’accouchement. Elle peut se prolonger pendant 1 an.
Les symptômes sont ceux d’une dépression (un sentiment de tristesse, des pleurs, des problèmes de sommeil et des changements dans l’appétit), avec en plus des difficultés dans la relation avec le bébé, voire des comportements agressifs envers la famille. Il s’agit d’une dépression de fatigue (plus présente le soir), qui peut donc nécessiter une réorganisation familiale.
Si elle n’est pas traitée, elle peut avoir de graves conséquences sur la mère et sur le développement de l’enfant. A noter qu’elle peut aussi toucher les pères.
«Le bébé médicament»
Ce terme est utilisé en psychiatrie pour décrire les situations où l’enfant est conçu, le plus souvent inconsciemment, pour «soigner» un problème. Cela peut être un malaise de la mère (par exemple une dépression, un sentiment de vide ou de solitude) ou du couple (couple qui va mal, sur le point de se séparer, contexte de violences, etc.). Consciemment ou non, on pense que l’arrivée d’un enfant va améliorer les choses.
Depuis peu, l’expression «bébé médicament» désigne également les bébés conçus et sélectionnés par leurs gênes, dans le but de sauver un aîné atteint d’une maladie grave et nécessitant une greffe (de sang, de moelle ou autre).
La grossesse peut-elle encore être normale?
Chez beaucoup de femmes, elle se passe sans problème. Des changements d’humeur fréquents et une anxiété sont normaux pour faire face à ce grand changement de vie. Chaque femme réagit à sa manière aux chamboulements induits par l’arrivée d’un enfant. Le plus important est de l’entourer, la soutenir et être attentif. Si certains comportements vous font douter de la tournure des événements, n’hésitez pas à en parler avec des professionnels (médecin généraliste, gynécologue, sage-femme, infirmière, pédiatre, psychologue ou psychiatre) pour déceler rapidement un éventuel problème et le prendre en charge du mieux possible, pour le bien de la mère autant que pour l’enfant. Car finalement, comme le dit la spécialiste Sophie Marinopoulos: «Le bébé a autant besoin du corps que des pensées de sa maman».
Références
- 2e journée de périnatalité des HUG «Déni de grossesse: quelle position pour les professionnels de la périnatalité?», le 2 décembre 2010.
- «L’obstétrique», Collection Pour le praticien, J. Lansac et G Magnin, Editions Masson, 5e édition, 2008.
- «Psychiatrie», Pierre Lévy-Soussan, Editions MED-LINE, 3e édition, 2007.
- «Déni de grossesse, parlons-en!», Interview du Prof. Israel Nisand par Paola Mori, Pulsations Journal des HUG, numéro déc 2010/jan 2011.
- «Grossesse : d’Eros à Narcisse», Francesco BIanchi-Demicheli, Psychothérapies 2004/1 vol. 24, Edition Médecine et Hygiène.
- «Psychopathologie de la périnatalité», Jacques Dayan, Gwenaëlle Andro, Michel Dugnat, Editions Masson, 1999.