Bactéries, nos meilleures ennemies?
Nichées par milliards dans les différentes cavités de notre corps, les bactéries nous colonisent et y forment une flore, appelée «microbiote». Perçues le plus souvent comme des organismes nocifs, à l’origine de maladies parfois redoutables, les bactéries ont en réalité bien d’autres pouvoirs. N’en déplaise aux plus hygiénistes d’entre nous, nous vivons en communauté, voire carrément en symbiose avec elles. Cette cohabitation n’est pas un fait nouveau pour les scientifiques, mais les progrès immenses de la microbiologie réalisés ces dix dernières années leur ont permis de voir toutes ces interactions sous un jour nouveau. En effet, grâce au séquençage du métagénome bactérien (l’ensemble de l’ADN d’une communauté microbienne complexe), on a désormais une vision beaucoup plus globale et précise de ce qui s’apparente à un vrai écosystème. Ces technologies à haut débit, utilisées pour le séquençage, ont permis de mieux identifier cette population et de prendre conscience de son importance. Extrêmement rapides et de moins en moins coûteuses, elles sont à même de traiter la quantité d’informations générées par le séquençage du métagénome, qui augmente de manière exponentielle.
Qu’est-ce que le microbiote?
Le terme «microbiote» désigne l’ensemble de la population bactérienne colonisant le corps humain. Elle se compose de plusieurs milliers d’espèces différentes. Des chiffres à donner le tournis et, pourtant, le catalogue n’est pas exhaustif puisque les chercheurs ne cessent d’en découvrir de nouvelles. La complexité et la variabilité de cette flore chez un même individu sont telles qu’on considère aujourd’hui le microbiote comme un organe à part entière. Sa composition et son importance diffèrent selon les parties du corps, mais la sphère gastro-intestinale abrite la majorité de ces micro-organismes. A elle seule, elle regrouperait plus de quatre milles espèces.
A quoi sert le microbiote? «Il joue un rôle homéostatique dans notre organisme, en étant le garant de notre bonne santé, déclare Philippe Sansonetti, chercheur en microbiologie à l’Institut Pasteur et professeur au Collège de France. Un déséquilibre de ce milieu peut en effet conduire à la prédisposition ou au développement de maladies inflammatoires de l’intestin notamment». Il contribue activement au maintien du bon fonctionnement de notre immunité en constituant une barrière contre les agents pathogènes externes, en d’autres termes une protection contre les «mauvaises bactéries».
«Il régule le niveau d’inflammation dans notre organisme pour que les réponses immunitaires soient adéquates, ajoute le Dr Vladimir Lazarevic du Laboratoire de Recherche Génomique des Hôpitaux Universitaires de Genève». Le microbiote remplit aussi d’autres fonctions, indispensables à notre digestion. Les bactéries de la sphère gastro-intestinale dégradent des sucres végétaux complexes (les fibres), un processus qu’on ne peut réaliser sans leur aide. Elles synthétisent les vitamines et produisent des acides gras impliqués dans le contrôle de la satiété, d’où les nombreuses recherches portant sur le lien entre le microbiote et l’obésité.
Le microbiote en chiffres
On a beau prendre soin de notre corps, il reste un véritable support à bactéries.
En termes de concentration, nous sommes en effet composés à 90% de ces microorganismes.
Quelques chiffres:
Il y aurait dix fois plus de bactéries que de cellules humaines dans notre corps.
De 1 à 2 kilos: c’est le poids de notre microbiote.
1014 est la quantité de bactéries qui nous colonisent. La majeure partie de cette communauté a élu domicile dans notre tube digestif, soit un total moyen de 1012 par millilitre. 99% de toutes les bactéries de notre corps sont donc d’origine intestinale. La flore buccale est le deuxième endroit le plus colonisé.On estime la présence bactérienne à 1011 par millilitre dans notre plaque dentaire.
Plus de 4000 est le nombre d’espèces bactériennes identifiées à ce jour qui colonisent le corps humain, sachant que la science permet chaque jour d’en déceler de nouvelles. Ces estimations sont à prendre avec précaution, car le nombre de bactéries trouvées dépend beaucoup des méthodes utilisées (culturomique, métagénomique) et des populations étudiées. En effet, la culturomique (culture à haut débit) n’identifie que moins de 20% des espèces bacteriennes identifiées par la métagenomique (séquençage à haut débit).
1000 espèces, c’est le nombre moyen d’espèces bactériennes par individu.
3,3 millions, c’est le nombre de gènes bactériens, soit 150 fois plus que la quantité des gènes humains.
Comment se constitue le microbiote?
Notre microbiote se constitue dès la naissance, le tube digestif du foetus étant vraisemblablement stérile. «Sa composition dépend largement de l’environnement de l’enfant et notamment de la composition du microbiote maternel», explique le Pr Gilbert Greub, Médecin chef des laboratoires de microbiologie diagnostique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). En premier lieu, le mode d’accouchement va influencer la nature du microbiote du nouveau-né. En naissant par voie vaginale, ce dernier va entrer en contact avec la flore vaginale (voire même fécale) de sa mère, alors que par césarienne, il sera exposé à d’autres types de bactéries, celles de l’hôpital et du bloc opératoire. Dans le premier cas, la colonisation bactérienne serait plus directe et plus diversifiée, ce qui représenterait un atout dans la prévention de certaines maladies (asthme, allergies, eczéma, maladie de Crohn, par exemple). De même, une mère allaitante transmet une partie de ses bactéries de la peau (aréole mammaire) et probablement certaines bactéries d’origine intestinale contenues dans le lait à son enfant, ce qui le protégerait en particulier de l’entérocolite nécrosante, une maladie aux conséquences potentiellement graves. D’un autre côté, l’utilisation de lait maternisé suppose un autre type de colonisation bactérienne, avec les germes présents dans l’eau, sur la peau et dans la maison. Selon le Dr Vladimir Lazarevic, différentes études ont montré que «l’allaitement et l’accouchement par voie basse renforceraient la présence de Bifidobacterium, considérées comme bénéfiques pour le développement de l’intestin et la maturation du système immunitaire du bébé. L’usage d’antibiotiques avant et après l’accouchement et chez le nouveau-né aurait en revanche un impact négatif sur sa colonisation bactérienne». Par la suite, le microbiote va continuer à se construire jusqu’à l’âge de deux ou trois ans, subissant les influences du milieu (contact avec les animaux, nourriture, traitements antibiotiques).
Le capital bactérien: une signature?
Le microbiote semble être plutôt stable chez un même individu au cours de la plus grande partie de sa vie. Si modifications il y a, elles sont rarement permanentes. Entre les individus en revanche, il existe une grande variabilité bactérienne, avec tout de même des ressemblances entre les membres d’une même famille. Peut-on pour autant considérer le microbiote comme une signature individuelle comme l’est notre ADN? «Pas tout à fait, répond Nicolas Troillet, chef du service des maladies infectieuses de l’Hôpital du Valais. Contrairement à notre patrimoine génétique qui reste fixe, notre microbiote peut être sujet à des influences et se modifier en fonction des périodes de la vie, des maladies, de la prise d’antibiotique ou simplement de l’alimentation». Si le microbiote n’est pas une carte d’identité, on pourrait toutefois distinguer plusieurs types de flore intestinale. La notion d’«entérotype» est désormais admise, mais le nombre de ces derniers fait encore débat. «En 2011, une étude a mis en évidence l’existence de trois entérotypes, non pas liés au genre, à l’âge ou à l’origine géographique, mais à la présence dominante de certaines bactéries. Aujourd’hui, on penche plutôt pour deux entérotypes majeurs: le Bacteroides et le Prevotella. Le premier est associé à une alimentation riche en graisse et en protéines; le second en hydrates de carbone, explique Vladimir Lazarevic. Des données au demeurant controversées, car fortement dépendantes des méthodes d’analyse utilisées dans les différentes études».
Le microbiote, c’est quoi?
Le microbiote est le nom donné à la communauté bactérienne qui peuple notre organisme. A cause de sa variabilité dans le nombre d’espèces et de sa complexité, les scientifiques l’apparentent à un organe à part entière.
Il y a en réalité plusieurs microbiotes, correspondant aux différentes parties du corps concernées. Par ordre d’importance, il faut citer la flore gastro-intestinale, buccale, nasale, uro-génitale, cutanée, conjonctive et celle des voies respiratoires.
Le déséquilibre de notre flore à l’origine de maladies
On connaît depuis longtemps le pouvoir pathogène des bactéries de manière isolée. Aujourd’hui, grâce au séquençage du métagénome, on a compris qu’un déséquilibre du milieu dans son ensemble pouvait favoriser certaines maladies. Ces perturbations peuvent être induites par un certain mode alimentaire, par la prise d’antibiotiques ou une hygiène excessive, surtout durant la première année de vie, et pourraient prédisposer au diabète, à l’obésité, à des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, à l’asthme ou à certaines allergies (eczéma). De manière générale, il semblerait que plus la flore intestinale est diversifiée, plus notre organisme serait tolérant et meilleure serait notre santé. C’est particulièrement vrai pour les personnes atteintes de la maladie de Crohn, chez qui on a observé une plus faible proportion de Faecalibacterium prausnitzii, une bactérie associée à une fonction anti-inflammatoire. Mais ce que soulèvent les spécialistes interrogés, c’est qu’il ne s’agit que de corrélations entre la présence en petit ou en grand nombre de certaines espèces et le développement de pathologies. «En effet, on ne sait pas si le déséquilibre conduit à la maladie ou s’il en est la conséquence, confirme le Pr Greub. C’est sans compter l’influence d’autres facteurs, génétiques ou propres à l’environnement». De plus, les bactéries peuvent jouer un double jeu, c’est-à-dire se montrer tantôt bénéfiques, tantôt nocives. «Par exemple, poursuit Vladimir Lazarevic, les Helicobacter pylori favoriseraient le cancer de l’estomac, mais protègeraient du cancer de l’œsophage chez les personnes âgées». Ce domaine regorge encore d’hypothèses et de promesses, mais les preuves expérimentales manquent encore pour véritablement expliquer les relations entre les marqueurs bactériens et des maladies en particulier.
La piste bactérienne pour des thérapies d’un nouveau genre
Cette meilleure connaissance de notre microbiote intestinal ouvre la voie à de nouvelles pistes thérapeutiques. Plusieurs types d’interventions sont envisagés. Ces interventions ont toutes un but commun: restaurer l’équilibre dans notre ventre. A titre préventif d’abord, il faudrait avoir recours le moins possible aux antibiotiques pour éviter toute perturbation du milieu bactérien, en particulier dans la période périnatale. Un équilibre entre les risques et les bénéfices pour le patient est évidemment toujours à considérer.
En cas de maladie due à un déséquilibre, l’idée serait d’éliminer certains membres de la flore intestinale avec une action antibiotique ciblée sur les mauvaises bactéries, voire en introduisant en parallèle d’autres espèces. La difficulté de cette approche réside dans le fait que certains micro-organismes jouent un rôle ambivalent, tantôt bénéfique tantôt nocif selon les pathologies. De plus, la complexité de ce milieu est telle qu’il est difficile de prévoir les effets collatéraux de telles interventions. A l’inverse, on pourrait choisir d’augmenter la présence d’un membre de la communauté en ayant recours à des probiotiques. Modifier le mode d’alimentation, avec un apport accru en fibres (utilisation de prébiotiques) par exemple, permettrait également d’influencer la flore intestinale. Jusqu’ici, des expériences ont montré que les modifications apportées étaient réelles, mais réversibles une fois qu’on arrêtait le régime alimentaire. Autre piste pour agir sur la composition de notre flore, avoir recours à des virus bactériophages, qui s’attaquent à certaines bactéries.
«A terme, conclut le Pr Greub, l’analyse du microbiote du patient par métagénomique ou culturomique, risque de s’inscrire dans la démarche diagnostique en particulier de l’obésité». Mais si pour l’heure les études explorant les liens entre notre flore et les maladies foisonnent, peu de résultats ont déjà été publiés sur des anomalies dues directement au microbiote, telles que la maladie de Crohn.
Obèse à cause de son microbiote
Les liens entre maladie et microbiote sont très étudiés, mais peu de réponses claires émergent, excepté sur l’obésité. En effet, la composition du microbiote aurait une influence très probable sur le développement de cette maladie. C’est ce qu’ont démontré pour la première fois Jeffrey Gordon et son équipe de l’Université de Washington. Dans cette étude de 2004, des souris stériles, c’est-à-dire dépourvues de flore intestinale, demeuraient plus maigres que leurs congénères, malgré un apport plus élevé en calories. En 2006, les mêmes chercheurs ont réussi à faire grossir les souris minces en leur transplantant la flore des souris obèses. Conclusion: les bactéries intestinales influencent la régulation du stockage des graisses. Pour la science, ces découvertes ont représenté un véritable tournant. On sait désormais que les personnes obèses ont un microbiote différent du reste de la population. Une diminution de la proportion dans la flore intestinale des Bacteroidetes en faveur des Firmicutes en serait l’origine.
Pour en savoir plus
Bactéries et microbiote
Hors-série kiosque du magazine romand de la santé Planète Santé.
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Asthme
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La maladie de Crohn est une inflammation chronique du tube digestif qui évolue par poussées entrecoupées de rémissions