Nouveaux médicaments: la transparence est de mise

Dernière mise à jour 13/06/13 | Article
Nouveaux médicaments : la transparence est de mise
Après une longue bataille juridique, un arrêt du Tribunal administratif fédéral donne raison à celles qui demandent une plus grande transparence du secteur pharmaceutique.

Lorsqu’un nouveau médicament arrive sur le marché, c’est qu’il a reçu l’approbation de Swissmedic, l’instance de la Confédération habilitée à autoriser, ou non, de nouvelles préparations en Suisse. Il règne toutefois une opacité considérable dans ces processus. L'industrie refuse de donner accès aux dossiers qu'elle soumet. Swissmedic considère que la quasi-totalité de ceux-ci sont protégés par des secrets d'affaires. Dès lors le public n’a simplement pas accès aux données des nouveaux médicaments, par exemple aux données d'essais cliniques établissant leur efficacité. Tout au plus, il dispose de la notice d'emploi qui, dans sa version professionnelle (information professionnelle), compte généralement une quinzaine de pages.

Professeur de droit aux universités de Genève et de Lausanne, Valérie Junod s’est associée pour l’occasion à Mitsuko Kondo-Oestreicher, spécialiste en médecine interne et pharmacologie et toxicologie cliniques à Châtelaine (GE), pour partir à l’assaut de la citadelle de Swissmedic. Elles ont utilisé la Loi fédérale sur la transparence de l’administration (LTrans) qui depuis 2006 prévoit que les documents en main de l'administration fédérale soient publics. Les exceptions sont énoncées dans la loi et visent par exemple les secrets d'affaires.

Près de six ans d’obstination

Le moins que l’on puisse dire est que ce fut un combat de longue haleine: c’est en décembre 2007 que les deux femmes ont interpellé pour la première fois Swissmedic, et c’est en février 2013 que le Tribunal administratif fédéral (TAF) leur a donné raison.

Près de six ans de lutte donc, mais pour un enjeu considérable pour les professionnels de la santé comme pour les patients. En effet, souligne Mitsuko Kondo-Oestreicher, «plus l’information sur ces dossiers d’enregistrement sera diffusée, plus nombreux seront ceux où l’attention sera attirée sur tel ou tel problème ou avantage lié au médicament.» Et la praticienne genevoise de citer l’exemple du Vioxx, un anti-inflammatoire très efficace, mais qui pouvait avoir des conséquences fatales pour les malades atteints de problèmes coronariens; si les médecins avaient eu accès à toutes les données fournies par l’industrie, ils n’auraient pas ou moins prescrit ce médicament très populaire avant son retrait du marché en 2004.

«Il règne une opacité considérable dans ces processus»

Il est clair que Swissmedic se trouve entre deux chaises: d’une part il y a la volonté de l’industrie de préserver ses secrets d’affaires afin de maintenir une image publique positive; d’autre part il y a le public et le corps médical, qui font preuve d'une curiosité légitime à l'égard des médicaments employés et qui voient une valeur ajoutée à pouvoir évaluer la documentation sur les médicaments, notamment les données cliniques, les données de pharmacovigilance (effets secondaires et études de suivi).

«La base de notre démarche, explique Mitsuko Kondo-Oestreicher, c’est la revendication d’un accès quasi-complet aux documents qui fondent la décision des autorités.» Dans l’optique du médecin, il s’agissait de pouvoir accéder à des données essentielles pour sa pratique médicale de soins aux patients et pour son activité de recherche pharmacologique; pour la juriste, il s’agissait d'œuvrer pour la transparence de l'administration conçue et voulue comme un outil démocratique du citoyen. Elles ont ainsi demandé à accéder au dossier d'enregistrement de deux médicaments autorisés après 2006: le Celsentri de Pfizer et GSK, et le Finasterax de Drossapharm.

En 2008, Swissmedic a rejeté complètement leur demande, les accusant de commettre un abus de droit. L'intervention du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence a permis de débloquer une situation devenue passablement conflictuelle. Grâce à sa médiation, un compromis a été élaboré prévoyant l'accès étalé dans le temps à deux séries de documents. Parallèlement, Swissmedic a exigé des intervenantes un montant de 10 000 francs à titre d'émoluments. «Nous avons donc payé cette somme pour avoir accès à des données… publiques», explique le Dr Kondo-Oestreicher. Peu avant l'échéance fixée pour la remise des documents de la deuxième série, Swissmedic a annoncé que les deux entreprises concernées s’opposaient à tout accès; Swissmedic a rendu une décision donnant partiellement raison aux unes et aux autres.

L’affaire s'est poursuivie devant le Tribunal administratif fédéral (TAF). Après une longue procédure ayant nécessité un détour devant le Tribunal fédéral, le TAF a finalement donné raison aux deux femmes, jugeant que l'accès est la règle et qu'aucune exception ne permettait ici d'y déroger. Il a suggéré à Swissmedic de calquer sa pratique sur celle suivie par l'Agence européenne des médicaments. Il a insisté sur l'importance de respecter le droit d'être entendu des parties à tous les stades de la procédure.

Un système injuste

«Nous espérons que Swissmedic, mais aussi l'industrie pharmaceutique, réaliseront qu’il y a un intérêt public manifeste et légitime à publier systématiquement et rapidement les données de sécurité et d'efficacité, expliquent les recourantes. Par exemple, il est intéressant de savoir si un médicament a été autorisé sur le marché après avoir été testé sur 3000 personnes ou sur 30 000: ce n’est pas pareil. Or, aujourd’hui, nous ne pouvons pas le savoir. Ni si un plan de surveillance pour tel médicament a été ordonné par l’autorité pour mieux cerner ses éventuels dangers à long terme.»

Pour elles, le système actuel est injuste: si un patient subit des effets secondaires, ce n’est pas le fabricant qui prendra en charge son dommage. C'est pourquoi le fait de disposer d’une information complète, précise et régulièrement actualisée est dans l'intérêt de tous. Cette exigence médicale et citoyenne, au demeurant, n’a rien de déraisonnable: aux Etats-Unis, la FDA, et en Europe, l’EMEA, fournissent infiniment plus d’informations que ce que Swissmedic fournit actuellement. Chaque année, le volume et le type de données mises à disposition du public grandit. En Suisse, dix ans après la création de Swissmedic, rien n'avait bougé.

Contactée, Swissmedic s’en tient à une réponse du bout des lèvres, sans que l’on puisse savoir si elle a exercé son droit de recours: «L'arrêt n'est pas encore entré en force, dès lors Swissmedic préfère s'abstenir de tout commentaire. On peut toutefois déjà dire que Swissmedic, en tant qu'autorité fédérale, se plie aux injonctions des tribunaux dès qu'elles sont définitives.»

Quant à Valérie Junod et Mitsuko Kondo-Oestreicher, leur position est simple: «Nous espérons qu'il n'y aura pas de recours, mais que Swissmedic et l'industrie sauront travailler main dans la main pour parvenir au résultat déjà atteint de longue date en Europe et qui, là-bas, fait la satisfaction des médecins, des patients, du secteur pharma et des régulateurs. Il n'y a pas de raison que la Suisse fasse cavalier seul dans ce domaine. Au contraire, la Suisse, en tant que terre d'accueil d'un secteur pharma et biotech prospère, peut et doit montrer l'exemple».

 

n.d.l.r.: Plusieurs recours sont désormais pendants devant le Tribunal fédéral.

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