Un label suisse pour les médecins?

Dernière mise à jour 16/04/12 | Article
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Concurrence. De nombreux médecins étrangers viennent s’installer à Genève. Le médecin et député, Patrick Saudan, demande que le patient puisse connaître la formation reçue
par celui qui le soigne.

Dr Patrick Saudan, médecin au Service de néphrologie aux Hôpitaux Universitaires de Genève.

Face à l’afflux de médecins en provenance de l’Union européenne, préconisez-vous le retour à la clause du besoin?

Non, pas du tout. D’ailleurs, la clause du besoin était une erreur. Le problème est qu’à partir du moment où la clause du besoin a été levée, et dans le droit fil des accords sur la libre circulation, nous avons eu un afflux de médecins venus des pays limitrophes. Un exemple? Depuis janvier 2012, 120 médecins ont demandé un droit de pratique à Genève!

Faut-il remettre en cause les bilatérales sur ce point?

Non, je suis pour la libre circulation des personnes. Néanmoins, dans un marché privé, le monde de la médecine, il est normal que le patient-consommateur dispose d’un libre droit à l’information, dans la mesure où il existe une distorsion dans les formations médicales.

Comment la définissez-vous?

La formation postgraduée des futurs médecins en Suisse est longue, cinq ans au minimum, et elle impose des années hôpital universitaire, dans plusieurs services différents. Elle est reconnue par l’obtention d’un diplôme de spécialiste (anciennement appellation FMH). Nos médecins de premier recours ont donc dans leur grande majorité un diplôme de spécialiste en médecine générale ou interne, et ont donc fait au minimum cinq ans de formation avant de s’installer. Quant aux spécialistes, leur formation nécessite le plus souvent entre six et huit ans de pratique dans des établissements hospitaliers.

Et ce n’est pas le cas des médecins étrangers qui s’installent en Suisse?

Non. Ils ont une formation postgraduée bien inférieure en durée à celle exigée en Suisse. Ils reçoivent un diplôme de praticien fédéral en vertu des accords bilatéraux, qui obligent la Suisse à reconnaître les formations médicales de l’Union Européenne. Or, un diplôme de praticien fédéral ne correspond qu’à trois ans de pratique postgraduée, et un diplôme de spécialiste décerné en Suisse correspond au minimum à cinq ans de formation postgraduée. Il faut savoir de plus qu’en 2012, la clause du besoin a été définitivement levée également pour les spécialistes, et on peut par conséquent s’attendre à une forte augmentation du nombre de médecins spécialistes en provenance de l’UE.

Les patients devraient donc être davantage informés de la formation reçue par celui à qui ils confient leur santé?

Oui. Ils doivent pouvoir savoir que tel médecin a fait sa formation postgraduée en Suisse, en Finlande ou en Espagne: cela doit être clairement spécifié. C’est une information très importante pour les patients, sachant que de toute façon, on ne pourra plus aller contre les bilatérales.

La formation joue-t-elle un rôle sur l’économie de la santé?

Oui. Moins bien un médecin est formé, plus il va coûter cher. Il y a une relation clairement établie entre les compétences professionnelles d’un médecin et les principes d’économicité dans la pratique de la médecine. Dès lors, puisqu’on ne peut pas jouer sur les droits d’installation, on doit exiger que les patients puissent connaître la formation reçue par leur médecin. C’est quelque chose de tout à fait légitime.

Comment cette information du patient peut-elle se concrétiser dans la pratique?

Elle devrait apparaître sur la plaque du médecin apposée sur l’immeuble où il pratique. Par exemple, au lieu de lire simplement spécialiste en gastro-entérologie, ce qui ne dit pas grand chose au commun des mortels, on préciserait formation suisse, formation autrichienne ou formation finlandaise, et de la sorte le patient saura un peu mieux à qui il a affaire.

Est-ce que les associations professionnelles partagent votre souci?

Oui, elles souhaitent promouvoir un label de qualité suisse, ce qui est normal: lorsqu’on vend des montres, on met tout naturellement en avant le label de qualité suisse. Nous n’avons pas à rougir dnotre formation médicale, et je trouve normal que les gens qui passent à travers cette formation puissent s’en prévaloir.

Certains pourraient vous accuser de pratiques discriminatoires...

... Disons de distorsion de la concurrence. Mais j’ai pris des avis de droit, et la forme de la motion par laquelle je propose cette idée permet précisément d’en étudier tous les aspects. Dans l’idéal, le principe que je propose devrait s’étendre à toute la Suisse.

Genève, Eldorado médical?

La clause du besoin pour l’installation de nouveaux médecins en Suisse a été instituée dans les années 2000, essentiellement pour faire face à un afflux de médecins allemands en Suisse alémanique. Elle a été levée en 2010 pour les médecins de premier recours (généralistes), et en 2012 pour les spécialistes.

Il s’est ensuivi un grand nombre de demandes, en particulier à Genève, puisque les accords bilatéraux donnent cette opportunité aux médecins en provenance des pays de l’UE. Ceux-ci reçoivent un diplôme de praticien fédéral – même si leur formation est généralement moins longue que celle des médecins formés en Suisse: il y a une équivalence des titres sur la forme, sinon sur le fond. Ce vif attrait pour l’exercice de la médecine en Suisse s’explique notamment par des possibilités de gain bien plus élevées en Suisse que dans l’Union européenne, et en particulier à Genève. Ainsi, depuis janvier, non moins de 120 demandes ont été déposées au bout du lac!

Ces demandes émanent surtout de spécialistes, ce qui explique que, paradoxalement, le canton de Genève – comme son voisin vaudois – souffre d’une pénurie de médecins de premier recours (surtout hors des régions urbaines), et d’une pléthore de spécialistes, notamment de cardiologues. Dans le contexte politique des relations entre la Suisse et l’UE, un retour à la clause du besoin paraît exclu. En revanche, les cantons pourraient favoriser l’installation de médecins dans les régions excentrées, où la pénurie de généralistes est criante, et dissuader l’installation de spécialistes là où il y en a déjà trop.

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