Erreur médicale: les conditions pour une indemnisation
En application des art. 398 et suivants du Code des obligations (CO) relatifs au mandat, la responsabilité du médecin indépendant peut être engagée lorsque la prise en charge n’a pas été effectuée conformément aux règles de l’art. Lorsque la violation des règles de l’art est établie –ce qui fait en principe l’objet d’une expertise–, il convient encore de déterminer le préjudice subi par le patient afin d’en demander l’indemnisation au médecin, respectivement à son assurance responsabilité civile.
En droit suisse, le préjudice est défini comme une diminution involontaire des biens du lésé. On en distingue deux formes: le dommage (diminution du patrimoine) et le tort moral (altération du bien-être).
Le dommage
L’art. 46 al. 1 CO1 prévoit qu’en cas de lésions corporelles, la partie qui en est victime a droit au remboursement des frais et aux dommages-intérêts qui résultent de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l’atteinte portée à son avenir économique.
L’indemnisation demandée au médecin civilement responsable peut concerner:
- les frais liés aux lésions corporelles;
- le dommage lié à l’incapacité de gain;
- le dommage consécutif à l’atteinte portée à l’avenir économique.
Les développements qui suivent ne sont qu’un bref aperçu de ces catégories, sans vocation à l’exhaustivité2.
Les frais
Les frais sont les dépenses que le patient doit encourir en raison de la prise en charge litigieuse. Sont ainsi indemnisables les frais d’une nouvelle intervention chirurgicale, d’une hospitalisation prolongée ou d’une convalescence qui n’auraient pas été nécessaires si la prise en charge avait été conforme aux règles de l’art.
Toutefois, le patient ne peut pas demander le remboursement des frais qui sont pris en charge par l’assurance-maladie obligatoire ou par une assurance complémentaire. En d’autres termes, les frais dont le patient peut obtenir le remboursement sont ceux que le patient a dû effectivement débourser, soit en principe la franchise (si celle-ci n’a pas déjà été consommée par le traitement litigieux), ainsi que la participation aux frais de 10% (plafonnée toutefois à CHF 700.- pour les adultes). Bien entendu, le solde peut être réclamé par l’assureur au médecin fautif en application du droit de recours légal, ce qui ne concerne toutefois pas directement le patient.
Sont également indemnisables les autres frais que le lésé n’aurait pas eus à supporter si la prise en charge s’était bien déroulée. On pense notamment aux frais d’expertise (pour prouver la violation des règles de l’art), aux frais de défense par un avocat dans le cadre de pourparlers transactionnels ou dans le cadre d’une procédure (en principe ce dernier poste est couvert par les dépens de procédure), ainsi qu’aux éventuels frais d’aide à domicile.
La perte de gain et le dommage ménager
On parle de perte de gain lorsque la prise en charge litigieuse a pour conséquence une incapacité de travail du patient. Par exemple, lors d’une opération de la vésicule biliaire, le chirurgien perfore sans s’en rendre compte une anse intestinale. La péritonite qui s’ensuit nécessite une nouvelle intervention et l’hospitalisation est prolongée. La perte de gain –indemnisable en cas de faute– correspond au revenu dont le patient est privé en raison de cette complication. Toutefois, si durant cette période l’employeur a versé au patient son salaire, respectivement si l’assurance perte de gain du patient est intervenue, la perte de gain ne peut être réclamée qu’à hauteur du solde non couvert.
Dans l’hypothèse où le patient n’a pas d’activité lucrative (p. ex. femme au foyer ou personne à la retraite), l’incapacité de se livrer à certaines activités non rémunérées (p. ex. faire la vaisselle, repasser, préparer les repas, effectuer des travaux administratifs) est indemnisable. On parle à ce titre de préjudice ménager, étant précisé que l’indemnisation de ce poste du dommage peut être exigée même si le patient choisit de ne pas engager d’aide extérieure.
L’atteinte portée à l’avenir économique
Si l’incapacité de travail perdure après une certaine date3, on parle de perte de gain future. Son calcul nécessite une certaine abstraction dans la mesure où il s’agit d’établir la diminution des possibilités de gain du fait de la lésion subie. La perte de gain future correspond à la différence entre le revenu que le patient aurait pu obtenir si la prise en charge s’était déroulée correctement et le revenu d’invalide, soit celui effectivement réalisé par le patient. A noter que le fait d’être éventuellement désavantagé sur le marché du travail (p. ex. cicatrice au niveau du visage due à l’intervention litigieuse) constitue également un poste du dommage indemnisable, ce indépendamment du revenu effectivement réalisé.
Si le patient n’exerçait pas encore d’activité lucrative (par ex. enfant), on évalue les possibilités de gain en tenant compte de la carrière professionnelle qu’il aurait pu embrasser sans l’évènement dommageable.
Le tort moral
En application de l’art. 47 CO, la victime de lésions corporelles peut, en cas de «circonstances particulières», obtenir une indemnité équitable à titre de réparation morale. Le patient ne peut donc pas obtenir automatiquement une indemnité pour tort moral si la prise en charge n’est pas conforme aux règles de l’art. Il faut en plus que la souffrance qui en résulte revête une certaine gravité.
En pratique, on tient compte par exemple de l’intensité et de la durée de l’atteinte, de la longueur du séjour à l’hôpital, des troubles consécutifs pour le patient, d’une carrière brisée ou de troubles de la vie familiale.
Il convient au surplus de relever que les montants alloués à ce titre son relativement faibles en droit suisse. Par exemple, une somme de CHF 2000.- a été allouée à titre de tort moral pour un enfant présentant une cicatrice au niveau du cuir chevelu survenue après une incision accidentelle dans le cadre de sa naissance par césarienne.
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[1] L’indemnisation en cas de décès du patient fait l’objet de règles particulières (art. 45 CO).
2 N’est notamment pas abordé le dommage de rente.
3 En pratique, il s’agit de la date du jugement de première instance statuant sur les prétentions du patient.