Que faire pour augmenter le nombre de donneurs d’organes?
De quoi on parle
En France, il était déjà possible de prélever un organe d’un défunt si celui-ci n’avait pas fait connaître son opposition de son vivant. Les députés viennent de voter un amendement à la loi qui stipule que la famille ne sera plus consultée, mais seulement informée. En Suisse, il faut au contraire que la personne ait, de son vivant, explicitement donné son accord au prélèvement de ses organes après sa mort. En mars dernier, le Conseil national a décidé de maintenir cette règle.
La Suisse est confrontée à un dilemme. Alors que les indications à la transplantation augmentent, les hôpitaux manquent toujours cruellement d’organes à transplanter et le nombre de personnes figurant sur les listes d’attente d’un greffon ne cesse de croître. L’an dernier, elles étaient 1370, soit 7,5% de plus que l’année précédente, d’après Swisstransplant. En moyenne, ajoute la Fondation nationale suisse pour le don et la transplantation d’organes, «jusqu’à deux personnes par semaine sont mortes en 2014, après avoir attendu en vain un organe».
Le problème est crucial dans tous les pays industrialisés mais, dans ce domaine, la Suisse se situe dans le dernier tiers du classement européen. On y compte en effet «environ 14 donneurs par million d’habitants, alors qu’il y en a deux fois plus en Italie, en Autriche et en France», constate le directeur de Swisstransplant, Franz Immer.
Consentement présumé ou explicite
Ces trois pays – comme d’autres en Europe – ont adopté la règle du «consentement présumé». En d’autres termes, «qui ne dit mot consent». Il est donc autorisé de prélever un organe chez une personne décédée si, de son vivant, elle n’avait pas exprimé son refus d’être donneur. Toutefois, dans la pratique, précise Franz Immer, «la famille est toujours consultée et, si elle n’est pas favorable au prélèvement, l’équipe médicale respecte ses choix». En France, cela devrait changer. Les députés viennent en effet de voter un amendement qui stipule que les proches ne seront plus «consultés», mais simplement «informés».
La situation est différente en Suisse où prévaut le «consentement explicite élargi». Le prélèvement d’organes ne peut se faire que si l’individu concerné a explicitement donné son accord en se dotant d’une carte de donneur ou si ses proches l’acceptent.
Pour améliorer la situation, faudrait-il changer la loi? Pour l’instant, la question ne se pose plus puisqu’à l’instar du Conseil des Etats, le Conseil national a clairement dit «non», en mars dernier.
Ce qui n’empêche pas le consentement présumé de compter encore de nombreux partisans. «En Suisse romande et au Tessin, la majorité de la population est pour», selon Franz Immer, et «Swisstransplant y est plutôt favorable». La situation serait plus claire, car «dans un cas sur deux, les proches ne sont pas au courant des volontés du défunt. Il arrive même qu’une personne qui ne souhaitait pas être donneur le devienne finalement».
«Une mesure symbolique»
Une telle modification de la loi aurait surtout pour effet «de nous faciliter la tâche», commente Yvan Gasche. Le médecin adjoint au service des soins intensifs des Hôpitaux universitaires genevois (HUG) souligne en effet «qu’à l’issue des nombreuses études menées sur le sujet, aucun consensus médical ne s’est dégagé pour affirmer que le consentement présumé augmenterait le nombre de donneurs». Il reste qu’une telle disposition «aiderait les équipes médicales et les familles dans ces situations très éprouvantes». D’autant que certaines personnes laissent à leurs proches le soin de décider à leur place du destin de leurs organes après leur décès, ce qui confère à l’entourage une grande responsabilité.
Accepter le consentement présumé serait «un signal politique fort en faveur du soutien au don d’organes», selon Yvan Gasche. «Ce serait une mesure symbolique allant dans la bonne direction», renchérit Manuel Pascual, médecin-chef du service de transplantations d’organes du CHUV et directeur médical du Centre universitaire romand de transplantation. «Cela ne changerait pas la situation, mais signifierait que le pays et la société ont compris que pour avoir une bonne médecine de transplantation, la seule solution est d’avoir des dons d’organes.» Le spécialiste du CHUV se dit lui aussi «pour le consentement présumé, mais, insiste-t-il, à condition qu’il s’agisse d’un consentement éclairé venant d’une population qui a bien compris la problématique grâce à une information de qualité».
Le plan d’action, élaboré par le Conseil fédéral il y a deux ans, va dans ce sens. Il vise à mieux organiser les services hospitaliers concernés et la formation de leur personnel, mais aussi à améliorer l’information du public. Pour Manuel Pascual, c’est indispensable. «En Espagne, où cela a été fait, moins de 10% des familles refusent le prélèvement d’organes, contre 50% en Suisse.» Le spécialiste des transplantations compte beaucoup sur la communication. «Il faut s’affranchir du dogme, illogique et contre-productif, de la neutralité des pouvoirs publics à propos du don d’organes, et plutôt bien expliquer à la population qu’il est indispensable, comme on informe clairement que le tabac est mauvais pour la santé.»
Ce plan d’action «aura certainement des effets, commente Yvan Gasche, mais seulement à moyen et long termes». Il faudra donc attendre encore quelques années pour que la liste des patients en attente d’un greffon puisse, peut-être, se raccourcir.
Grâce à une application téléchargeable sur smartphone, les donneurs potentiels d’organes sont plus nombreux
L’innovation est a priori très simple, mais elle pourrait sauver des vies: la carte de donneur d’organes est désormais disponible en version numérique, sous la forme d’une application à télécharger gratuitement sur son smartphone (echo112).
On doit cette première mondiale à Jocelyn Corniche, chef de clinique en anesthésie au CHUV. Conscient du problème du manque d’organes en Suisse, il a pensé que «puisque de nombreux magasins proposaient déjà des cartes de fidélité électroniques, le même support devait pouvoir être adapté à la carte de donneur». Restait à accéder à ce document quand le propriétaire du smartphone est admis dans le service d’urgence d’un l’hôpital, le plus souvent inconscient. Le problème a été résolu avec la mise en service dans les salles d’urgence de balises Bluetooth «iBeacon» qui peuvent interagir avec le téléphone, même quand son cadran est verrouillé.
Lorsque le patient passe à proximité d’un tel détecteur, sa carte de donneur apparaît alors sur l’écran, de même que sa carte d’urgence «EmergencyID» qui renferme des informations sur ses allergies, les médicaments qu’il prend, le nom d’un proche à contacter, etc. «L’équipe soignante consulte surtout cette dernière carte, souligne l’anesthésiste du CHUV. Mais elle note aussi dans le dossier du patient qu’il accepte de donner ses organes en cas de décès.»
Lancée par Swisstransplant le 1er septembre 2014, cette carte numérique est «beaucoup plus personnalisée et accessible» que son équivalent traditionnel, constate Franz Immer, directeur de la fondation suisse pour la transplantation d’organes, et «elle a connu un succès inattendu».«En six mois, confirme Jocelyn Corniche, plus de trente hôpitaux ont déjà installé ces balises et environ 70 000 Suisses ont téléchargé la carte.» Et ce n’est qu’un début, car «la croissance des utilisateurs est linéaire». Dans quelques mois, une mise à jour permettra d’ailleurs de rendre cette application «plus facile à utiliser et plus conviviale». L’anesthésiste est convaincu que ce dispositif «permettra d’accroître le nombre de donneurs».
Il est vrai qu’auparavant le principal problème consistait à identifier ces derniers qui n’étaient que 5% à porter leur carte sur eux.