Don d’organes, comment être sûr de la mort du donneur?
En Suisse, pour pouvoir prélever les organes d’un individu en situation de mort cérébrale, il faut que celui-ci ait exprimé son accord de son vivant (en remplissant une carte de donneur ou en discutant avec ses proches). À défaut de directives claires, c’est à la famille du défunt de prendre la décision du don. Un choix qui peut se révéler très délicat, d’autant plus que le concept de mort cérébrale reste abstrait pour de nombreuses personnes.
Un don bien réglementé
Le don d’organes et les transplantations sont réglementés par une loi fédérale de 2007. Celle-ci fixe notamment les nombreuses conditions dans lesquelles les organes, tissus ou cellules peuvent être utilisés à des fins de transplantation. La loi a également pour but d’empêcher les abus et de protéger les donneurs et receveurs.
En 2013, le Conseil fédéral a lancé un plan d’action intitulé «Plus d’organes pour les transplantations» dont le but est, explique Swisstransplant, de passer de 14,4 donneurs décédés pour un million d’habitants aujourd’hui à 20 donneurs. Le juriste Philippe Ducor détaillera l’aspect juridique du don d’organes lors de la conférence aux HUG.
Dans la majorité des cas, la mort cérébrale survient aux soins intensifs, suite à l’échec de toute tentative pour sauver un patient.Les proches appelés au chevet du défunt voient alors un corps à l’apparence encore«vivante», relié à une machine. Difficile, dans ces conditions, de réaliser ce que cela signifie réellement. «La mort cérébrale, c’est tout simplement la mort, souligne le Pr Thierry Berney, médecin-chef du service de transplantation des HUG. Il s’agit d’un arrêt irréversible des fonctions cérébrales.Certains organes du patient, entre autres le cœur et les poumons, ne fonctionnent plus que grâce aux machines reliées au corps. La plupart du temps, c’est le résultat tragique d’un accident vasculaire cérébral ou d’un traumatisme cranio-cérébral. Dans les deux cas, le cerveau n’est plus irrigué, ce qui entraîne la mort. Si un prélèvement d’organe est envisagé, la respiration et la circulation sanguine sont alors maintenues artificiellement.»
«Il existe de nombreux signes cliniques permettant de déterminer un état de mort cérébrale (lire encadré). De plus, la vérification du diagnostic est beaucoup plus appuyée que dans le cas d’un décès plus ordinaire, rassure le Pr Samia Hurst, consultante du conseil d’éthique clinique des HUG. D’ailleurs, chaque fois que les progrès de la médecine amènent un nouveau moyen de diagnostic, les directives pour déclarer la mort cérébrale sont adaptées. Pas parce que les anciennes n’étaient pas suffisantes, mais par volonté d’utiliser tous les paramètres à disposition.» À noter qu’en cas de moindre doute relatif au diagnostic, la transplantation n’a bien sûr pas lieu.
Lorsqu’une équipe médicale est confrontée à une situation de don potentiel, un cadre juridique très strict est alors appliqué afin d’éviter tout conflit d’intérêts. «Si on décide d’arrêter de prodiguer des soins à un patient en mort cérébrale, énormément de garde-fous juridiques, médicaux et éthiques entrent en ligne compte, confirme le Pr Berney. En tant que médecin-chef du service de transplantation, je ne participe en aucun cas aux décisions, ni aux discussions avec la famille du défunt au sujet du don. C’est interdit par la loi, mais c’est également une question d’éthique professionnelle.» En effet, les médecins chargés de constater le décès sont toujours au nombre de deux et n’appartiennent pas à l’équipe de transplantation. Le but est d’éliminer ainsi le risque qu’une équipe médicale profite de la situation de santé critique d’un patient pour prélever ses organes.
Une lourde responsabilité
La mort cérébrale correspond donc à un type de décès où le cerveau est entré dans la mort en premier. Si les machines permettent de maintenir durant quelques heures les battements de cœur et la respiration, le processus de mort des cellules, lui, se poursuit. Par conséquent, les proches du défunt doivent prendre une décision rapidement. Or, dans 95% des cas, le potentiel donneur n’a pas clairement exprimé son choix de son vivant. Une situation inconfortable pour les familles qui, dans le doute, refusent souvent le don.
En Suisse, le don d’organe repose sur le principe de consentement explicite. Dans de nombreux pays voisins comme l’Espagne ou la France, c’est le consentement présumé qui fait foi. Toute personne en état de mort cérébrale peut alors être considérée comme un donneur potentiel, à moins qu’elle ne se soit exprimée dans le sens contraire de son vivant. Dans tous les cas, un dialogue est toujours mené avec la famille et son avis est pris en compte. Pour le Pr Hurst, passer au consentement présumé en Suisse ne permettrait pas d’augmenter réellement le nombre de dons. «Dans les pays où le consentement présumé est en vigueur, le nombre de personnes qui s’expriment au sujet du don n’est souvent pas plus élevé qu’en Suisse. Les familles resteraient dans le doute actuel, qui a souvent pour conséquence un refus. Je suis personnellement en faveur du "consentement proposé". Nous devrions demander avec plus d’insistance que chacun indique son choix quelque part, peut-être même rendre ce choix obligatoire. Si chacun d’entre nous se prononçait au sujet du don d’organes, cela enlèverait aux proches une très lourde responsabilité.»
On peut se réveiller d’un coma, jamais d’une mort cérébrale
Dans l’imaginaire collectif, la mort correspond au cœur qui cesse de battre. Mais il arrive qu’une personne soit morte alors que son cœur continue de fonctionner et que son corps semble, lorsqu’on le regarde ou le touche, pleinement vivant. Mais la personne est morte parce que son cerveau est devenu irrémédiablement inactif: elle ne reviendra jamais à une vie consciente ou sensible. On parle alors de mort cérébrale, mais il s’agit bien d’une mort réelle.
Dans le cas du coma, même profond, une faible activité cérébrale peut toujours être mesurée. Les patients conservent aussi diverses réactions nerveuses et se réveillent parfois, même après de longues périodes. Dans l’état de mort cérébrale, en revanche, aucune activité cérébrale n’est, par définition, mesurable. Une personne dans le coma peut ressentir de la douleur (celle-ci entraînant une réaction du cerveau), alors que ce n’est jamais le cas quand il y a mort cérébrale.
Il existe de nombreux signes cliniques qui permettent de poser le diagnostic. Par exemple, le patient ne réagit pas à des stimuli très douloureux, ses pupilles ne réagissent pas à la lumière, il n’a plus le réflexe de toux. Si un doute subsiste malgré tout, des examens techniques complémentaires, tels qu’une ultrasonographie Doppler transcrânienne (qui permet de visualiser la circulation de sang dans les vaisseaux du cerveau), peuvent être effectués.
Contrairement au coma, jamais un patient en mort cérébrale n’a pu retrouver une forme consciente ou un quelconque signe d’activité cérébrale. Aucun risque, donc, de prélever les organes d’une personne qui aurait une chance de se réveiller après quelque temps.
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Paru dans Le Matin Dimanche du 10/09/2017.