Réserves des caisses-maladie: une péréquation occulte?
Vous parlez d’une «bombe à retardement». De quoi s’agit-il ?
Pierre-Yves Maillard: Derrière tout cela se cache une affaire que personne n’a jamais investiguée, et qui est une véritable bombe à retardement. Tout a commence lorsqu’Assura et Supra ont décide de comptabiliser des réserves accumulées dans les cantons de Vaud, de Genève et de Neuchâtel, dans les petits cantons alémaniques. Face aux protestations des cantons payeurs, les assureurs ont été amenés à dire leur doctrine: il n’y a pas de réserves cantonales, les réserves appartiennent à l’assurance, ce sont ses fonds propres. Ils lui servent à encaisser les coups durs, d’où qu’ils adviennent.
Cela peut se justifier, non?
Ce raisonnement pourrait se tenir, si tout le monde avait financé ces réserves de manière équitable. Or certains les ont financées, pendant que d’autres non seulement ne les ont pas financées, mais les ont consommées. Les caisses-maladie nous disent qu’ils ont des effectifs d’assurés trop petits dans certains cantons – 300, 400 assurés – et donc cette communauté-là ne peut pas supporter les cas lourds; donc, nous sommes bien obliges d’amener dans ces cantons un surcroît de financement en provenance des cantons où nous avons les plus gros effectifs d’assurés, pour supporter les cancers de longue durée, les attaques cardiaques, les hospitalisations longues, etc.
Pouvez-vous donner des exemples?
Prenons l’exemple d’un effectif de 20 000 assurés, que l’on divise par vingt assureurs: les uns ont 4000 à 5000 assurés, les autres quelques centaines. Or, une hospitalisation de fin de vie, avec un cancer, coûte jusqu’à 200 000 francs. Une communauté de 300 assurés, qui paient 3300 fr. de primes chacun en moyenne par année, cela représente un petit million de francs. Un seul de ces cas lourds entraîne une majoration des coûts de près de 20% par rapport à une année où cela n’arrive pas. Normalement, il faudrait donc dissoudre toutes les réserves accumulées par ces assurés et majorer les primes de 20% l’année d’après pour les reconstituer; mais si l’assureur fait comme cela, il perd ses 300 assurés! Donc, il ne le fait pas, et finance les cas à 200 000 francs sur les réserves accumulées dans les autres cantons.
Donc les petits cantons n’auraient pas les coûts inférieurs que l’on dit?
Si c’est ainsi que les choses se passent, cela signifie en effet que les différences de coûts et de primes que l’on observe entre certains petits cantons – où on nous fait croire que les plantes médicinales font des miracles et que personne ne va chez le médecin – et les grands cantons urbains, ne résultent peut-être pas tant que cela de différences de consommation médicale. Cela est d’ailleurs corroboré par les chiffres dont nous disposons: dans le nombre d’hospitalisations, on ne voit pas de différence significative entre les cantons; on ne voit pas non plus de différence significative dans les visites chez le médecin entre Suisse romande et Suisse alémanique. Le coût de la consultation diffère d’un canton à l’autre, c’est vrai, comme la consommation de médicaments. Mais attention: si les cancers, qui exigent des médicaments extrêmement chers, ne sont pas imputes à la comptabilité de la caisse dans le canton où les dépenses ont lieu, vous écrémez les dépenses et dès lors, les statistiques pourraient être fausses.
Des réserves calibrées en fonction des risques encourus par l’assureur
Très décriées, les prescriptions en matière de réserves ont été changes depuis le 1er janvier 2012. Le Conseil fédéral a mis en place un «concept de surveillance moderne basé sur les risques concrets auxquels les assureurs sont exposés.»L’introduction du calcul des réserves en fonction des risques encourus «permettra de remédier aux lacunes constatées dans les prescriptions actuelles en matière de réserves et d’augmenter la sécurité ainsi que la transparence dans l’assurance-maladie sociale», estime le gouvernement. Le test de solvabilité LAMal se base sur le test suisse de solvabilité (SST) de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA), déterminant aujourd’hui déjà pour les compagnies d’assurance privées. Le test de solvabilité LAMal tient compte des spécificités de l’assurance-maladie sociale, parmi lesquelles le fait que les primes annuelles doivent couvrir les coûts annuels (financement par répartition), la libre circulation des assurés et la compensation des risques.
Ces nouvelles mesures devraient corriger les effets indésirables des prescriptions en vigueur jusqu’alors qui, de l’aveu même du Conseil fédéral, étaient «plutôt sommaires», et n’étaient plus adaptées aux risques encourus par les assureurs-maladie sociaux.
Jusqu’ici, les réserves étaient définies en pourcentage des primes, et échelonnées en fonction du nombre d’assurés, en trois taux (10%, 15% et 20%). Seule la taille de la caisse-maladie était considérée. Désormais, d’autres facteurs de risque seront pris en considération, tels que les risques sur les marches financiers ou le risque de perte d’un preneur de crédit.