Primes 2020: les geler, aussi pour votre santé
En ce mois de septembre, on assistera bientôt au grand raout de l’annonce des primes d’assurance maladie obligatoire pour l’année à venir. Avec le spectre redouté d’une nouvelle hausse plombant encore davantage le pouvoir d’achat des ménages helvétiques. Depuis ce printemps, à quelques nuances près, les assureurs maladie et leurs alliés s’agitent d’ailleurs tous azimuts pour tenter de faire croire que celle-ci sera à nouveau indispensable, à grand renfort de prévisions alarmistes. A vrai dire, après plusieurs années de pronostics exagérés, peu de décideurs avertis les croient encore complètement, mais malgré tout, au pays de la prudence, un doute subsiste. Et jusqu’à ce jour en tout cas, celui-ci n’a jamais profité aux assurés.
Dans ce combat entre tondeurs et tondus, les médecins pourraient a priori se contenter de voir passer les coups et les coûts, sans prendre parti et s’exposer. Après tout, leur rôle essentiel c’est de soigner la population du mieux possible, pas de concevoir les meilleures ou plus justes modalités de financement du système de santé. Et ils le font plutôt bien, à en juger par l’espérance de vie qui continue de progresser en Suisse, ce qui n’est plus le cas dans de nombreux pays qui nous entourent.
Pourtant, plusieurs sociétés médicales s’expriment depuis l’an dernier en faveur d’un gel des primes d’assurance maladie 2020 à leur niveau actuel. Comme d’autres acteurs associatifs, et même désormais le président du Parti socialiste suisse, elles constatent que les impressionnantes réserves accumulées grâce aux primes devraient permettre une petite pause dans les ponctions, par égard pour le patient-assuré. D’autant plus que depuis 2017, l’augmentation moyenne annuelle des coûts de la santé (+1,4%) est inférieure à la hausse du PIB (+ 2,1%). Mais après tout, sur ce sujet sensible, les responsables politiques fédéraux devraient être capables d’établir ce diagnostic sans les médecins, au moins en année électorale…
Deux éléments liés à la hausse récurrente des primes (et franchises) inquiètent bien davantage les médecins. Le premier, c’est qu’ils constatent que leurs patients les moins aisés commencent à hésiter à se soigner ou retardent, voire évitent, des rendez-vous médicaux pour des raisons économiques. Ce faisant, ils jouent bien sûr avec leur santé, mais risquent également de générer ensuite des prises en charge médicales encore plus complexes et coûteuses pour la collectivité, notamment en cas d’hospitalisation. Dans l’intérêt de toutes et tous, patients, assurés et contribuables, ce phénomène doit être enrayé. Or continuer d’augmenter les primes individuelles par excès de prudence, c’est contribuer à le renforcer. On peut même y voir un cynisme indicible si les réserves ainsi dégagées ne servent qu’à permettre aux assureurs de les jouer en bourse, et parfois de les perdre. Ce qui semble malheureusement déjà avoir été le cas.
Deuxièmement, sous prétexte de lutter contre la hausse des coûts de la santé – mais l’augmentation des primes la fait ressentir deux fois plus forte qu’elle n’est réellement –, des velléités de réformes éthiquement, socialement et médicalement extrêmement discutables progressent peu à peu au niveau fédéral. C’est notamment le cas des projets de budget global annuel «bloqué» pour la santé ou de tarifs dégressifs, qui tous deux conduiraient inévitablement à un rationnement des soins en fin d’année. Dans de tels systèmes, pour l’assuré de base, il vaut clairement mieux avoir un problème de santé en janvier qu’en novembre... Soucieux de leurs patients du 1er janvier au 31 décembre et attachés à leur liberté thérapeutique, les médecins suisses ne peuvent pas se taire face à de telles perspectives. Continuer d’augmenter les primes sur la base des prévisions des assureurs, sans considération pour les coûts réels effectifs, c’est fausser le débat démocratique de fond sur la solidarité dans la santé et renoncer à un pilotage éclairé du système.
Il ne reste maintenant plus que quelques jours à l’OFSP pour démontrer qu’en dépit des pressions exercées et des erreurs du passé dont la population a déjà chèrement payé le prix, c’est bien la santé publique qui est désormais sa priorité. A défaut, la SVM et l’AMGe enjoignent formellement le Conseil fédéral à prendre ses responsabilités et à imposer à un Office alors bien mal nommé de retrouver le chemin de la transparence et le sens de l’intérêt public. Plus que jamais, vu les réserves accumulées, le moment est idéal pour faire preuve de courage et geler les primes d’AOS 2020 au niveau de celles de 2019. Contrairement aux patients, aucun assureur n’en mourra.
- Depuis 2017, la hausse des coûts moyenne à charge de l’assurance maladie obligatoire des soins (AOS) est de 1,4%, soit nettement en-dessous de la hausse moyenne du PIB (2,1%).
- La hausse subite des coûts constatée au dernier trimestre 2018 est essentiellement due à un rattrapage de facturation (impact révision partielle TarMed 2018), qui a amplifié un phénomène saisonnier. Elle a déjà commencé à se tasser lors du 1er semestre 2019, pour se rapprocher du niveau de 2017.
- Le développement volontariste de l’ambulatoire hospitalier (+ 2,7 % depuis 2017) et des soins à domicile (+ 5% depuis 2017) influence à plus long terme les coûts à charge de l’AOS. Il s’agit toutefois essentiellement d’un transfert de coûts de la part des cantons, pas d’une hausse globale des coûts de la santé.