Nouveaux tarifs médicaux: une solution contraire au droit?
De quoi on parle?
Depuis plus de sept ans, les acteurs de la santé cherchent à actualiser le système de tarification TARMED. S’ils s’accordent sur la nécessité d’adapter cette structure, ils n’arrivent cependant pas à trouver un accord concernant les modalités.
Mars 2017
Le Conseil fédéral annonce sa décision d’intervenir en adaptant la structure tarifaire TARMED. Il annonce des économies de 700 millions de francs par année dès 2018.
Juin 2017
La FMH s’oppose fermement à cette intervention tarifaire qui « menace la médecine ambulatoire ».
Août 2017
Le Conseil fédéral annonce une nouvelle adaptation de la tarification TARMED et des économies de 470 millions de francs par année. Cette révision entrera en vigueur en janvier 2018.
En parallèle, la FMH prépare le TARCO, une nouvelle révision globale du tarif médical qui devrait être finalisée d’ici la fin de l’année et a pour objectif d’être approuvée par la majorité.
Maîtriser les coûts tout en garantissant une prise en charge médicale de haute qualité : tel est le défi actuel des acteurs de la santé, quels qu’ils soient. En intervenant dans la structure tarifaire du secteur, le Conseil fédéral fait pourtant tout le contraire et n’obéit qu’aux intérêts politiques.
Des interventions arbitraires
En 2010, les spécialistes de la santé ont mis sur le métier la première réforme de Tarmed. Mettant de côté des facteurs de hausse sur lesquels les médecins n’ont aucune prise, Santésuisse, organisation faîtière des assureurs maladie, bloque les négociations et tente d’imposer une réduction unilatérale des coûts, entièrement supportée par les fournisseurs de prestations médicales. La FMH, Fédération des médecins suisses, s’y oppose et essaie de faire avancer la révision de Tarmed sans la participation de Santésuisse. Mais la révision capote, faute de terrain d’entente.
Dans l’intervalle, la FMH a mis en chantier un projet de réforme, ample et amélioré, appelé Tarco, dont le Conseil fédéral n’a pas voulu attendre le résultat, préférant remanier Tarmed à coups d’interventions arbitraires, sans lien les unes avec les autres. Objectif annoncé: 470 millions de francs d’économies par année à compter de 2018. Cela est-il réaliste? Nul ne peut le dire, aucun des chiffres qui permettraient d’en juger n’ayant été publié.
Le Conseil Fédéral enfreint le droit
En intervenant de la sorte dans la structure du tarif des médecins –intervention au demeurant mal bâtie–, le Conseil fédéral enfreint le droit. Ainsi en a jugé début juin le tribunal cantonal lucernois dans son arrêt relatif à la première intervention tarifaire du Conseil fédéral, celle de 2014. Certes habilité à intervenir si les parties prenantes à la négociation ne parviennent pas à trouver de terrain d’entente, le Conseil fédéral n’a pas, en revanche, le droit d’ordonner des économies générales. Au contraire: il est du devoir de la Confédération de garantir la prise en charge médicale de toutes les catégories de la population, et ce pour toutes les maladies. Les économies doivent toujours être en relation avec la qualité et la disponibilité rapide des prestations médicales. Cela n’était pas le cas lors de la première intervention tarifaire, en 2014, et ne l’est pas davantage pour l’intervention actuelle.
L’intervention tarifaire porte préjudice aux patients
Les gagnants de l’intervention tarifaire sont les assureurs maladie, qui sont même récompensés de la politique de blocage qu’ils pratiquent lors des négociations Tarmed. Les perdants sont les médecins et les patients. En supprimant par exemple le forfait pour prestations fournies hors des heures de consultation, on retire aux centres d’urgences ambulatoires des régions rurales leur fondement économique. Il ne leur restera qu’à mettre la clé sous la porte ou à réduire leur offre de prestations, et aux patients à s’adresser aux hôpitaux ou à appeler le 144. Résultat, moins de prestations pour les patients et des coûts en plus.
Autre exemple: les coupes concernant les prestations de spécialistes fournies en ambulatoire. Le temps imparti à la coloscopie, par exemple, a été massivement réduit. Le choix devant lequel le médecin se trouve placé est donc soit de travailler plus vite –au risque que ce soit au détriment de la qualité–, soit d’adresser le patient à un hôpital en vue d’un séjour stationnaire. Là encore, cela signifie des frais plus élevés, qui seront tout compte fait à la charge du patient.
L’activité non médicale des médecins est également touchée. L’intervention limite en effet la durée de la consultation proprement dite, tout comme celle du travail effectué en l’absence du patient. Le médecin se voit donc contraint de consacrer moins de temps à s’entretenir avec les patients et les personnes de référence que sont les parents, les aidants ou d’autres médecins. Les grands perdants en seront les patients les plus fragiles : enfants, personnes âgées polymorbides, migrants et personnes atteintes de démence, de cancer ou de maladies psychiques.
Ôter les coûts d’ici pour les mettre là
De plus en plus chères, les primes maladie constituent pour beaucoup de gens une lourde charge financière. Or, ce n’est pas par des économies unilatérales et de court terme que le Conseil fédéral résoudra le problème. La facturation Tarmed ne représente en effet que la septième partie de la totalité des dépenses de santé. La plus grande partie de celles-ci n’est donc pas concernée par l’intervention tarifaire. Au contraire: comme le montrent les exemples ci-dessus, les patients seront obligés d’avoir plus souvent recours à des traitements stationnaires. Or ceux-ci sont financés pour la plus grande partie par l’argent de l’impôt, contrairement aux prestations ambulatoires, financées par les caisses-maladie. Il se pourrait donc que les économies visées par l’intervention tarifaire aient un impact positif sur les primes de ces caisses. Mais, les coûts étant simplement reportés sur le contribuable, la charge financière n’en sera pas allégée pour autant. Si, contraints par la disparition de l’offre ambulatoire, les patients consomment davantage de prestations stationnaires, il faut même s’attendre à ce qu’elle augmente.
Économies: ne pas se tromper de cible
Le système de santé suisse est l’un des meilleurs du monde. C’est ce que montre une étude de 2015** mesurant le nombre de décès ayant pu être évités grâce à une prise en charge médicale adéquate. Pour ce qui est de la qualité des soins médicaux et de l’accès à ceux-ci, la Suisse figure en troisième position d’une liste comprenant 195 pays. En s’entêtant à faire des économies qui ne porteront pas leur fruit, le Conseil fédéral expose ce remarquable système de santé à de graves dangers. Son intervention tarifaire constitue une menace pour l’attractivité et la position de pointe que la Suisse occupe en matière de santé et de recherche. Les effets économiques qui en résulteront seront lourds de conséquences. Il serait plus judicieux de laisser aux spécialistes de la santé le temps d’élaborer un tarif ayant de quoi donner satisfaction toutes les parties prenantes.
Il est impératif que les médecins reprennent la main
Dr Michel Matter, Président de l’Association des médecins du canton de Genève
«Cet article a le mérite d’être clair: selon lui, l’intervention tarifaire est nocive et contraire au droit. Du côté de la FMH, mêmes constat et craintes: c’est un chaos programmé. Notre priorité est de pouvoir continuer à fournir à la population des soins de haute qualité. Le cadre tarifaire définit la prise en charge des patients. Le temps consacré à l’écoute du patient (qui devrait être honteusement limité à 20 minutes, sauf exceptions), la notion d’urgence conscrite à l’urgence vitale uniquement ou encore le signal consternant d’une médecine détournée de l’ambulatoire, voilà ce que le Conseil fédéral souhaite imposer dès le 1er janvier. Il est donc impératif que les médecins reprennent la main et qu’une volonté d’un tarif commun et accepté de tous, le TARCO, sous l’égide de la FMH, soit défendue.»Remettre en question le financement de l’assurance maladie
Dr Pierre-Alain Schneider, Président de la Société Médicale Suisse Romande
«Quelle mesure superficielle et précaire alors qu’une révision sérieuse aboutira en 2018! Le message politique, c’est que notre système de santé est devenu fou et incontrôlable. C’est faux. Il est certes parmi les plus chers, mais aussi parmi les meilleurs et il suit la même évolution que ceux de nos voisins. C’est le financement de l’assurance maladie par primes qui est insupportable. Les prélèvements sur les salaires sont modérés en Suisse, la TVA est basse, 8% contre 19% en Allemagne et 20% en France. Pas question d’y toucher. La compétitivité de notre économie est en jeu! Nos dépenses sociales pour les soins progressent à la même vitesse que pour la vieillesse, respectivement 30% et 43% du total des prestations sociales. En 25 ans, ces chiffres n’ont pas changé. Cherchez l’erreur!»
La médecine ambulatoire doit continuer à être encouragée
Dr Claude Schwarz, Président de la Société Médicale du Canton du Jura
«Cette proposition de révision Tarmed telle qu’elle est présentée ne semble pas pouvoir apporter réellement les économies escomptées. Avec ce nouveau tarif, on s’attend à une baisse de la qualité des soins associée à un engorgement de l’hôpital. La tendance vers la médecine ambulatoire est un signe d’amélioration de la qualité de notre pratique. Or, un retour vers l’hospitalier serait une régression importante. Il est important de participer à une réduction des coûts de la santé en offrant une médecine moderne et efficiente, mais nous ne pouvons globalement pas soutenir cette proposition de l’état. C’est regrettable de ne pas prendre en compte l’avis des médecins, tout en donnant du crédit aux assurances. Pour que la démarche soit vraiment efficiente, il faudrait avant tout considérer les médecins comme des partenaires.»
Une stratégie cohérente est indispensable
Dre Monique Lehky Hagen, Présidente de la Société Médicale du Valais
«La complexité de l’organisation du système sanitaire suisse et l’évolution des besoins de la population (influencée par les progrès de la médecine, le vieillissement, etc.) rendent difficile toute réforme bien intentionnée. Rien d’étonnant à ce qu’un tel processus prenne du temps. Le monde politique, désemparé face aux primes maladies qui explosent, voit comme seul remède la mise sous tutelle des partenaires tarifaires par des décisions arbitraires. Malheureusement, une telle réaction, en se trompant de cible, ne peut qu’avoir des effets néfastes. Ces décisions nécessitent la prise en considération des connaissances profondes du système qu’ont les médecins et les prestataires de soins! Il faut une analyse correcte de l’impact véritable des différents facteurs sur les frais de la santé, des coûts de revient et des bénéfices. Une reprise de négociations partenariales dignes de ce nom, respectant les bases d’économicité, est indispensable pour maintenir et développer une médecine de bonne qualité en Suisse.»
Une intervention mal préparée aux effets pervers
Dr Philippe Eggimann, Président de la Société Vaudoise de Médecine
«L’intervention tarifaire, inspirée de l’aveu même du Conseil Fédéral des indications des assureurs, n’aura qu’un effet limité sur la hausse des primes d’assurance de base. Alors que 55% des frais hospitaliers sont à charge des cantons, les prestations permettant le maintien à domicile des personnes dépendantes et le transfert de nombreuses activités vers l’ambulatoire sont intégralement à charge des assurés. C’est là que réside l’essentiel de la hausse des primes d’assurance maladie. Le rationnement de prestations ambulatoires, qui ne pourront plus être financées par les primes d’assurance obligatoire, aboutira à la création d’offres d’assurances complémentaires et la nécessité d’hospitaliser ceux qui ne pourront pas se les offrir. Les coûts de la santé augmenteront! C’est donc à des effets contraires à l’intention qu’aboutira l’intervention tarifaire arbitraire du Conseil Fédéral.»
Des interventions qui doivent rester temporaires
Dr Mauro Walter Gusmini, Président de la Société Neuchâteloise de Médecine
«Les médecins n’ont pas obtenu de consensus sur le projet de refonte de la grille tarifaire façonné par la FMH en 2016. On peut donc comprendre la décision du Conseil Fédéral de prendre en main la suite des événements. Cependant, la reprise des arguments des assureurs, selon lesquels l’augmentation des coûts de la santé et par là même le montant des primes maladie est imputable aux médecins, est inacceptable. Les statistiques de l’OFSP montrent une augmentation régulière mais contenue des dépenses liées à la santé. Cette tendance s’explique aisément par l’évolution démographique de la population et les progrès de la technologie médicale. Les interventions du Conseil Fédéral ne doivent être que temporaires, laissant le temps à la FMH de finaliser le projet TARCO pour obtenir une solution concertée en lieu et place de mesures imposées.»
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* Article principal repris de Politik+Patient 3/2017, organe officiel de la Conférence des sociétés cantonales de médecine.
** Healthcare Access and Quality Index based on mortality from causes amenable to personal health care in 195 countries and territories, 1990-2015 : a novel analysis from the Global Burden of Disease Study 2015
www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(17)30818-8/abstract
Paru dans Planète Santé magazine N° 28 - Décembre 2017