Mathieu Fleury: «Rétablir le lien entre les coûts et les primes»
Les Suisses sont plus ouverts à l’idée d’une caisse unique qu’au premier essai. Pourquoi?
Il y a plusieurs raisons. Le projet est différent : la caisse n’est plus unique, puisqu’elle est organisée en agences ; on a donc moins cet aspect de molosse étatique et centralisé qui fait peur à tout le monde. Surtout, le lien entre les primes et le revenu qu’établissait le projet rejeté par le peuple n’existe plus; cet aspect était inacceptable pour la classe moyenne.
Le fait que les cantons jouent un rôle important dans le nouveau système proposé est-il déterminant?
Certainement. Au-delà des primes cantonales, dans le contexte actuel et avec ce qui vient de se passer, l’implication des cantons a influencé positivement l’opinion: on a un sentiment de maîtrise, et surtout, on peut établir un lien entre coûts et primes qui s’était perdu au fil des années. On arrive dans un système plus lisible marqué par la transparence, l’équité et la solidarité.
L’image et la réputation des caisses ont-elles changé?
Oui. Des scandales plutôt lourds ont eu lieu, pensons à Supra et à EGK notamment. Plus généralement, il y a une certaine fatigue à l’égard du système actuel, dans lequel on incite chaque année les assurés à faire fonctionner cette fameuse concurrence dont on parle. Or c’est une fuite en avant, on change de caisse encore et encore, et au bout du compte, on réalise que les primes augmentent quand même!
Peut-on évaluer les coûts actuels liés au marketing, à la publicité, à la rémunération des politiciens stipendiés?
On parle de 300 à 400 millions de francs par an, soit environ 1,5 % des primes. Le potentiel d’économies de la caisse unique est lié à une vision à moyen et long terme du développement de la prise en charge des maladies lourdes et chroniques, et de la prévention. Aujourd’hui, compte tenu du régime du changement annuel de caisse, aucune d’elles n’a intérêt à prendre en charge ce genre de prestations, et pour cause: si vous mettez en place des plans intelligents, favorables à ce genre de prise en charge, vous attirerez des clients dont vous ne voulez pas! Alors que dans une caisse publique, tout le monde est assuré; vous avez donc intérêt à investir et dans la prévention, et dans le suivi des sources de coûts les plus importantes. Là, le potentiel d’économies est très important.
Les assureurs vont-ils se battre pour ne pas laisser échapper l’assurance de base?
Oui, ils vont se battre très durement. Et ce sera la meilleure preuve de ce que nous avançons: selon la loi, ils ne sont pas censés faire du bénéfice sur l’assurance de base. Or, le fait de les voir défendre bec et ongles ce non-business-là est la preuve qu’il y a bel et bien un lien entre l’assurance de base et la complémentaire, que la première alimente la seconde, et qu’il y a moyen de faire des affaires sur le dos des assurés, en mélangeant les casquettes. Leur nervosité est visible aussi dans les troubles qui affectent leurs faîtières.
Contre la caisse unique: Claude Ruey
Le risque d’une médecine à deux vitesses
Ancien président de santé-suisse, Claude Ruey avance trois arguments pour refuser la caisse unique.
- On ne peut pas accepter un monopole d’Etat dans un secteur comme celui-là. Je connais l’exemple du Québec, où le secteur sanitaire vit une catastrophe: en moyenne, c’est dix-sept heures d’attente aux urgences, et vingt et une heures à Montréal, avec des conséquences parfois fatales pour les patients. La planification a été telle qu’il y a une pénurie de médecins, au point que la Cour suprême du Canada a cassé le monopole d’Etat, non pas pour des raisons de concurrence, mais au nom du droit à la vie et à la non-souffrance.
- A terme, avec la caisse unique, nous aurons une explosion des coûts, mais comme nous ne pourrons pas la financer, nous aurons un rationnement des soins, comme c’est le cas en Grande-Bretagne. Un système qui, entre autres défauts, induit une médecine à deux vitesses: ceux qui ont les moyens seront bien soignés. C’est là, à mes yeux, le principal danger.
- L’organisation prévue, sur un modèle proche de celui des soviets, avec des intérêts contradictoires qui se retrouvent dans un conseil d’administration pour gérer l’entreprise, me paraît complètement irréaliste en matière de gestion.