Les enjeux de la caisse publique
Lancée par le PS et soutenue par une coalition qui inclut les Verts et la Fédération romande des consommateurs (FRC), l’initiative pour une caisse maladie publique propose que «la Confédération institue une caisse unique pour l’assurance obligatoire de soins». Le conseil d’administration et le conseil de surveillance de cette caisse devraient comprendre un nombre égal de représentants des pouvoirs publics, organisations de défense des assurés et des fournisseurs de prestations. Mais il est aussi prévu que cette caisse unique et nationale se décline en agences cantonales ou inter-cantonales, «à l’image des caisses de chômage», précise le texte.
Un délai de trois ans est fixé pour la mise en œuvre et la résolution de tous les aspects, dont la reprise des actifs et des passifs des caisses-maladies existantes par la caisse publique. Si le système n’était pas en place dans ce laps de temps, les cantons pourraient créer une institution publique unique d’assurance-maladie sociale sur leur territoire.
Glossaire
Compensation des risques. La nouvelle loi, passée en début d’année, introduit une compensation des risques basée sur la morbidité, ce qui rend beaucoup moins intéressante la chasse aux bons risques. Les caisses sont dorénavant davantage en concurrence sur la bonne gestion des patients malades que via la chasse aux bons risques.
Réserves. Conformément à la LAMal, les assureurs doivent garantir l’équilibre des charges et des produits pour une période de financement de deux ans. Ils doivent en outre disposer en tout temps d’une réserve de sécurité.
Franchise. Montant annuel fixe (entre 300 et 2500 francs) qui représente la participation des assurés aux coûts des prestations qui leur sont fournies (une franchise élevée étant liée à une prime plus basse). Une fois la franchise atteinte, une quote-part doit encore être payée par les patients, qui est fixée à 10% des coûts. Cette quote-part ne peut cependant pas dépasser 700 francs par an pour un adulte et 350 francs pour un enfant. Au-delà, le remboursement est de 100%.
Fin de la pseudo-concurrence
A l’heure actuelle, la Suisse compte 61 caisses-maladies et 300 000 primes différentes appliquées en fonction de la caisse, du canton, des modèles d’assurance et de la catégorie d’âge. Un système complexe alors que les prestations sont identiques puisqu’il s’agit du remboursement des coûts dans le cadre de la LAMal. A cela s’ajoutent une certaine opacité sur le calcul des primes et des augmentations annuelles de ces dernières, ainsi que des problèmes récurrents de vases communicants entre assurances de base et assurances complémentaires.
«Une caisse publique permettrait plus de transparence sur le calcul des primes. Elle mettrait aussi fin à une concurrence entre les caisses-maladies qui conduit à la sélection des risques et a pour effet de tirer les coûts vers le haut, cela malgré l’interdiction de sélectionner les assurés en fonction de leur risque de tomber malade, qui existe depuis 1996», explique Mathieu Fleury, secrétaire général de la FRC.
Plus une caisse compte d’assurés «bons risques», plus elle peut proposer des primes basses. Les caisses gérant beaucoup de «mauvais risques» doivent en revanche encore augmenter leurs primes. Le résultat c’est une augmentation générale de celles-ci et de grandes différences de montants entre les cantons ou dans un même canton.
Diminution des frais
«Une caisse maladie publique serait moins chère que le système actuel. Passer de 61 assurances maladies à une seule permettrait des économies en termes de publicité, de marketing et d’administration», souligne Mathieu Fleury. La concurrence, la chasse aux bons risques et la vente de divers produits d’assurance génèrent en effet des frais. Chaque automne, les assureurs dépenseraient plus de 200 millions de francs pour attirer des «bons risques».
La fin de la concurrence simplifierait la vie des assurés qui n’auraient plus à changer de caisse après la traditionnelle annonce du montant des primes à l’automne. Elle entraînerait une diminution des coûts administratifs générés lorsque les assurés changent de caisse.
L’initiative permettrait aussi de réduire les réserves, qui s’élevaient pour les caisses maladies à 6 milliards en 2012 contre 3 en 2005, grâce à la création d’un fonds national de réserves.
Enfin, l’initiative supprimerait le déséquilibre entre les cantons. En particulier, il ne serait plus possible d’arriver à la situation récente où certains cantons ont payé trop de primes pendant des années (2 milliards) et d’autres pas assez.
Les changements pour l’assuré
«L’initiative ne modifie pas les conditions de l’assurance de base. Toutes les prestations aujourd’hui couvertes par l’assurance obligatoire de base continueront à l’être. Il sera toujours possible, comme actuellement, de choisir entre différents modèles d’assurance, par exemple le modèle du médecin de famille avec réduction de franchise», précise le secrétaire général de la FRC. Le système de la caisse publique ne va pas toucher au principe du libre choix du médecin, mais va au contraire le renforcer, selon les auteurs de l’initiative. La caisse publique disposera d’un monopole et elle aura donc l’obligation de signer un contrat avec tous les médecins.
L’initiative prévoit aussi une séparation stricte entre l’assurance obligatoire de base, confiée à la caisse publique, et les assurances complémentaires qui resteront de la compétence des compagnies privées.
Le financement
Les caisses cantonales ou inter-cantonales seront en charge de la fixation des primes, de leur encaissement et du paiement des prestations. Une prime unique, calculée en fonction des coûts exacts de l’assurance sociale de base sera établie dans chaque canton.
Ce qu’en disent les opposants
Ce n’est pas la première fois qu’une refonte en profondeur du système et du financement de l’assurance-maladie de base est soumise au vote. En mai 2003 et en mars 2007, deux initiatives populaires ont été écartées à une forte majorité.
Cette troisième édition n’a pas non plus les faveurs du Conseil fédéral, qui a conseillé de la rejeter. Les partis de droite la rejettent également. Ils se disent convaincus que la pluralité des assureurs est un avantage et soulignent que la pratique a fait ses preuves depuis 1994 (introduction de la LAMal).
Pour les opposants, l’affaiblissement de la concurrence conduirait à une augmentation des primes de l’assurance-maladie de base puisque la situation de monopole de la caisse publique serait moins motivante dans la recherche d’économies à réaliser. Les assurés ne pourraient par ailleurs plus changer de caisse s’ils sont mécontents des services de la caisse publique.
Zéro effet sur les coûts
Les opposants à l’initiative estiment aussi que l’assurance-maladie publique n’aura aucun effet modérateur sur les coûts. Les frais de publicité et de changements d’assureurs seront certes supprimés, mais les coûts de restructuration seront considérables et influenceront les comptes pendant des années.
Les dix-huit associations et entreprises membres de l’Entente pour un système de santé libéral, issues de toutes les branches du système de santé suisse, recommandent elles aussi à l’unanimité de refuser « cette initiative qui irait dans la fausse direction, car sa réalisation mènerait à une poursuite d’une réglementation excessive et complètement inutile dans le système de santé ». Peter Fischer, président du conseil d’administration du groupe d’hôpitaux Lindenhof et ancien CEO de Visana, craint «une bureaucratisation de la médecine avec une tendance au nivellement de la qualité médicale vers le bas».
Pour les opposants, la caisse publique ne résoudrait aucun des problèmes importants du système de l’assurance-maladie, mais en créerait au contraire de nouveaux. Elle constituerait une première étape vers le rationnement de notre système de santé, puisqu’un monopoliste étatique pourrait fixer ses obligations de prestations sans pression concurrentielle.
Augmentation des subsides
Pour le Conseil fédéral, puisque les primes ne seront plus différenciées avec une caisse publique, les personnes aujourd’hui assurées auprès d’une caisse appliquant des primes basses devront payer des primes plus élevées. Même si l’inverse est aussi vrai, il estime que le résultat final sera une augmentation du pourcentage d’assurés au bénéfice de subsides.
Dans un système où une caisse jouit d’une situation de monopole, la compensation des risques sera supprimée, mais le Conseil fédéral estime que cela n’aura pas de conséquences notables sur le montant des primes puisque les frais de gestion de ce risque sont minimes.
Si le Conseil fédéral conseille de rejeter l’initiative, il ne trouve pas pour autant le système actuel parfait. Certaines adaptations sont nécessaires, notamment concernant la sélection des risques et la transparence. Mais celles-ci, observe-t-il, peuvent être apportées sans opérer un changement de cap radical. Des mesures ont déjà été prises dans le cadre de la maîtrise des coûts, telles que l’adaptation du prix des médicaments.
Liberté de vote
Du côté de la Fédération des médecins suisses (FMH), le président Jürg Schlup souligne que «la question de la caisse publique fait l’objet de divergences de vue au sein de la FMH qui traduisent la diversité d’opinions qui prévaut au sein des sociétés spécialisées et cantonales». Compte tenu de ces divergences, aussi bien entre les différentes organisations qu’au sein même de celles-ci, la Chambre médicale a donc décidé de laisser à ses membres la liberté de vote.
Trois raisons de voter non à l’initiative
Guy Parmelin, conseiller national UDC (VD)
- On a un système qui fonctionne parfaitement. Ce serait un saut dans l’inconnu de passer à une caisse unique. On a plein d’exemples autour de nous, en Europe, qui montrent que cela ne fonctionne pas. Les systèmes de santé sont déficitaires, ce qui n’est pas le cas en Suisse. Une caisse publique mènerait à une médecine à deux vitesses et il n’y aura aucune incitation à limiter les coûts.
- Le fait que l’institution publique soit composée de représentants de la Confédération, des cantons, des assurés et des fournisseurs de prestations garantit qu’ils n’arriveront jamais à se mettre d’accord, ce qui bloquera tout le système. On en arrivera soit à des restrictions de soins, comme en France, soit à la situation qui prévaut en Angleterre, où les personnes âgées qui doivent se faire opérer se retrouvent sur des listes d’attente interminables.
- Accepter l’initiative aura pour conséquence la perte du libre choix. Aujourd’hui, je peux choisir mon médecin ou de faire partie d’un réseau de soins, décider du montant de ma franchise et changer de caisse si je ne suis pas satisfait de la mienne, ce qui ne sera plus possible avec une caisse unique. Toutes ces possibilités me conviennent très bien.
Trois raisons de voter oui à l’initiative
Pierre-Yves Maillard, conseiller d’Etat PS (VD), chef du Département de la santé et de l’action sociale.
- D'abord, il faut voter oui pour que les hausses de primes soient conformes aux hausses des coûts, ce qui n’est pas le cas actuellement. Alors que la hausse moyenne des primes tourne autour de 3%, celles de certains assurés ne bougent pas, d’autres augmentent de 5% et d’autres encore de 8% parce que, aujourd’hui, les primes ne sont que partiellement liées aux coûts. Certains assureurs les augmentent pour constituer des réserves. Cette confusion serait réglée d’un coup si tous les risques sont pris en charge par la même assurance.
- Voter pour l’initiative permettrait aussi de mettre fin à l’opacité et au manque de rigueur qui existent entre les zones de primes et les cantons. Si une caisse-maladie n’a que 500 assurés dans un canton, il est difficile de garantir qu’ils vont couvrir tous leurs coûts. Les caisses utilisent donc leurs réserves pour lisser les coûts, ce qui crée évidemment un écart entre le montant des primes et celui des coûts. Ceux-ci devraient s’équilibrer à terme mais, faute de régularisation, certains cantons ont payé beaucoup trop et d’autres pas assez.
- Enfin, et c’est le point le plus important, si une caisse maladie unique couvre les risques d’un individu de sa naissance à son décès, elle sera plus encline à renforcer la prévention et à mettre en place des soins efficients pour les cas les plus lourds. Dans le contexte actuel, avec des contrats d’un an, la seule possibilité qu’ont les assureurs de maîtriser les coûts, c’est la chasse aux bons risques et le refus des cas lourds. Leur priorité n’est pas d’investir dans la prévention et les soins coordonnés.