Le scandale des «listes unilatérales»
Vous habitez une région décentralisée où il y a peu de médecins-généralistes; vous avez opté pour un modèle d’assurance dit «médecin de famille», pour alléger vos charges; heureusement, votre médecin de famille, qui vous suit depuis des années, est aussi rhumatologue, ce qui vous arrange bien. Mais un jour, votre caisse maladie vous retourne vos factures et ne vous rembourse plus rien: elle a décidé abruptement, en effet, de ne plus rembourser les honoraires de votre médecin. Lequel, par effet collatéral, ne pourra plus assumer de gardes. Quant à vous, patient, ou bien vous payez de votre poche, ou vous changez de médecin, quitte à faire des kilomètres.
Pourquoi? Comment? Vous n’avez pas le droit de le savoir, et la caisse n’a pas jugé utile, ni même courtois, d’en informer votre médecin. C’est comme ça: un fait du prince, un caprice d’assureur!
Dans tous les cantons où les caisses maladie établissent, dans le cadre de produits d’assurances réputés bon marché, des listes dites unilatérales de médecins avec lesquels elles acceptent de travailler – provisoirement du moins – leur politique à l’égard de tel ou tel médecin peut changer d’un jour à l’autre. Il n’y a aucune concertation avec les praticiens, et aucun recours n’est possible.
Depuis des années, les sociétés médicales tempêtent contre cet arbitraire, qui confine parfois à l’absurde, explique Pierre-André Repond, Secrétaire général de la Société vaudoise de médecine: il arrive qu’on trouve parmi les médecins de famille agréés des praticiens... décédés, ou des spécialistes qui n’ont nulle intention de devenir généralistes. Souvent, comme chez Assura et Supra, le patient ne peut même pas savoir si son médecin de famille est sur la bonne liste, car les listes ne sont pas publiées. Et lorsque le médecin découvre qu’il est une sorte de pestiféré, il peut tout au plus s’en plaindre auprès de la caisse et tenter d’obtenir son admission. Le seul droit dévolu aux généralistes est de... refuser de figurer sur la liste d’une caisse.
Face à cet abus de pouvoir manifeste de la part des caisses, les médecins tentent de réagir auprès du Conseil fédéral et des Chambres, mais on sait celles-ci très proches des assureurs. Une solution radicale serait que tous les médecins refusent d’être sur ces listes, mais cela impliquerait une solidarité sans faille de la corporation.
Encore et toujours, la sélection des risques
Pour le conseiller d’Etat Pierre-Yves Maillard, on retrouve là les deux défauts rédhibitoires du système: le problème de la gestion des réserves qui ne suivent pas l’assuré – on l’a vu avec l’affaire EGK – qui ne peut être résolu qu’en mutualisant les réserves, selon le ministre vaudois de la Santé; l’autre vice fondamental à ses yeux, c’est que l’organisation actuelle récompense ceux qui sélectionnent les risques: «Les avantages à sélectionner les risques sont toujours supérieurs aux charges que représente la compensation des risques.» Tant que ce système sera en place, les assureurs chercheront des modèles particuliers d’assurances en fonction de cette sélection des risques: si par exemple, ils élaborent un modèle «médecin de famille», ils vont s’arranger pour écarter les malades: on ne remboursera pas le médecin de famille qui est aussi diabétologue, puisqu’il a des diabétiques parmi ses patients!
Que faire? «On ne peut rien faire, soupire Pierre-Yves Maillard: on a beau retourner la législation dans tous les sens, elle est faite sur mesure pour favoriser la sélection des risques, la concurrence entre les caisses et la déresponsabilisation des cantons. Il faut changer la loi, ou alors – c’est une réflexion que nous menons – il faut que les partenaires de soins renversent la logique du système et disent, eux, avec quels assureurs, et à quelles conditions, ils acceptent de travailler. Les sociétés médicales devraient s’unir pour refuser des modèles d’assurances qui ne respectent pas un certain nombre de règles.»
Où l’on retrouve la loi sur le Managed Care
Sur le plan juridique, il semble que la position des caisses soit difficilement attaquable, puisque la loi est de leur côté. Un opposant courageux et fortuné pourrait éventuellement invoquer la concurrence déloyale, ou l’entrave à la liberté du commerce et de l’industrie... En attendant, ce défaut du système est devenu un des principaux arguments des opposants au Managed Care, attaqué par un référendum (voir en page 14). En effet, la nouvelle mouture de la LaMal autorise expressément des formes d’assurances impliquant une limitation de la liberté de choix du patient, et donc des listes unilatérales.