Comparateurs de primes: un marché très (trop?) lucratif
Septembre 2000: L’Hebdo consacre un article dithyrambique à Comparis, qui était à l’époque une start up innovante et dynamique comme les chérit le magazine romand. Et l’auteur de l’article de conclure : «Comparis, c’est un peu David contre Goliath.»
Treize ans plus tard, David est devenu Goliath, et attaque toutes griffes dehors ceux qui se risquent à le critiquer, ou pire, à compromettre les excellentes affaires que lui offre sur un plateau notre étrange système d’assurance-maladie. Depuis l’été 2012, c’est précisément… L’Hebdo qui a fait l’objet d’attaques judiciaires féroces de la part de Comparis, ainsi que l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).
Petit rappel des faits. A la fin du mois d’août 2012, L’Hebdo publie un article révélant que Comparis a tenté de pirater le site de l’Office fédéral de la santé publique pour accéder aux données de son comparateur de primes, Priminfo.ch. Malgré une demande de mesures superprovisionnelles lancée par Comparis, le magazine paraît, mais l’article est toutefois supprimé de la version électronique. Un employé de Comparis a rapidement avoué avoir perpétré cette tentative, et a été licencié. Le Département fédéral de l’Intérieur a déposé plainte contre lui, plainte finalement classée par un procureur de Zurich pour cause de non-respect du délai de trois mois pour saisir la justice (!), et surtout parce que, aux yeux du procureur, l’infraction n’était pas réalisée, le site Priminfo.ch n’étant pas spécialement protégé.
Priminfo, le comparateur le plus clair
Chaque automne en Suisse, environ un million d’assurés cherchent à changer de caisse-maladie, encouragés en cela par un grand battage médiatique – dont l’utilité reste à démontrer. Ils doivent donc pouvoir comparer les primes de l’année à venir de chaque caisse. C’est à cela que s’attachent les comparateurs. Ils sont de deux types:
Les comparateurs commerciaux
Comme Comparis et Bonus.ch. Ceux-ci établissent des classements et redirigent directement les assurés vers une offre de la caisse choisie en fonction de leurs paramètres (âge, franchise, domicile, etc.). Ces « clics », ou commissions, sont facturés aux caisses de manière très peu transparente (de 30 à 50 CHF, voire davantage), qui paient par ailleurs pour leur partenariat avec les comparateurs. En 2011, Comparis a facturé 11,5 millions de francs aux caisses.
Les comparateurs non-commerciaux
Comme Priminfo.ch ou VZonline.ch. Ceux-ci affichent toutes les données nécessaires, et redirigent les assurés vers la page d’accueil des caisses s’ils le désirent, où ils devront remplir le formulaire de demande d’offre.
Géométrie variable
La différence est donc minime et, pour l’assuré en quête d’un meilleur contrat, les sites gratuits (pour les assurés et pour les caisses) sont plus faciles à utiliser, plus complets et plus explicites. En effet, sur les sites commerciaux, le classement des caisses est à géométrie variable, comme l’ont démontré Bon à Savoir et L’Hebdo, selon que le site a un contrat avec les caisses ou non, selon votre profil de risque également (âge, franchise) : ici commence la sélection des risques ! Chez Comparis, curieusement, Assura se trouve au fond du classement des assurances alors qu’elle est la moins chère de toutes, et de plus, le lien vers la caisse est inactif, donc, pas d’accès à l’offre. En effet, Assura refuse de travailler avec ce comparateur commercial, tout comme Groupe Mutuel et quelques autres.
En résumé, pour l’assuré qui veut des comparaisons claires et univoques, Priminfo.ch est le meilleur choix, clair, précis et fiable. L’apparence du site n’est peut-être pas très sexy, mais quand on change de caisse-maladie, on n’a guère envie de rigoler, non?
La Confédération, un concurrent insupportable
Dans les documents réunis par le procureur, Comparis a trouvé matière à déposer plainte contre le Département fédéral de l’intérieur pour abus d’autorité et violation du secret de fonction. Que la plainte soit fondée ou non n’a guère d’importance, car tout indique que le feuilleton judiciaire va continuer. En effet, Comparis y a tout intérêt: on parle de l’entreprise dans tous les médias, où elle peut se poser en honnête défenseur des assurés victime des entraves et de la concurrence déloyale de l’Etat.
Car pour les comparateurs commerciaux, le fait que la Confédération offre aux assurés suisses un système de comparaison des primes complet et gratuit – un service public digne de ce nom – compromet leur juteux business, puisqu’ils offrent les mêmes prestations, mais se les font payer par les caisses-maladie, et donc aussi par les assurés. Voilà pourquoi le site de la Confédération, Priminfo.ch, est l’ennemi juré des comparateurs commerciaux comme Comparis ou Bonus.ch, qui s’acharnent à le vider de sa substance. Tous les moyens sont bons, comme le fait d’empêcher l’OFSP de disposer des bases légales nécessaires à l’exploitation complète de Priminfo.ch.
Un service public sans base légale
En effet, pour pouvoir rediriger les internautes vers les formulaires d’offre des caisses-maladie, la Confédération doit disposer d’une base légale. A défaut, elle peut seulement rediriger les assurés vers la page d’accueil du site des caisses. Le département de M. Alain Berset a alors tenté de faire voter une telle base légale par le parlement. Mais la proposition a été balayée, grâce notamment au lobbying intense exercé par Comparis auprès des députés. Certains d’entre eux, assez influents, ont été enrôlés dans un «groupe de réflexion» où, selon le Beobachter, ils touchent 5000 CHF par an pour deux ou trois séances – sans que cela n’influence leur vote, bien entendu. Parmi ces députés, du côté romand, se trouve l’UDC vaudois Pierre-François Veillon, membre de la Commission de gestion du Conseil national. C’est ainsi qu’un service public très apprécié a été volontairement affaibli par nos élus, au profit d’une entreprise à but lucratif – très lucratif, apparemment!
Voilà aussi pourquoi le site de Priminfo.ch, qui est très complet, ne peut pas proposer aux assurés la dernière étape de leur quête d’un nouveau contrat. Ce n’est qu’une question de quelques clics, mais qui fait apparemment une grande différence.
Aujourd’hui, la question se pose de savoir si le site Priminfo.ch, actuellement en mains de la Confédération, va être remis à des associations de défense des consommateurs. Les négociations sont en cours, mais elles semblent buter sur les coûts élevés de la gestion au quotidien d’un tel site, dans la mesure où on ne veut pas recourir à un financement commercial. Pour le Département de l’intérieur, le but est que les citoyens soient servis de manière complète: «Si les organismes de défense des consommateurs peuvent le faire à notre place, nous y sommes favorables», explique Nicole Lamon, responsable de la communication du DFI.