Les statines n’aggravent pas les cancers

Dernière mise à jour 07/12/12 | Article
Les statines n’aggravent pas les cancers
Une étude danoise conclut que le traitement anti-cholestérol est associé avec une diminution de la mortalité liée au cancer. Une conclusion réjouissante pour les centaines de millions de consommateurs de statines mais peut-être un peu excessive estiment les spécialistes

S’il existait encore un doute sur le fait que la consommation de statines, un médicament anti-cholestérol utilisé contre les maladies cardiovasculaires, puisse augmenter le risque de mortalité lié au cancer, il vient d’être balayé. Une étude danoise portant sur près de 300 000 patients (autrement dit, l’intégralité de la population danoise ayant déclaré une tumeur maligne entre 1995 et 2007) a même abouti au résultat opposé. L’article, paru dans la revue du New England Journal of Medecine (NEJM) du 8 novembre 2012, conclut en effet: «La consommation de statines chez les patients atteints d’un cancer est associée avec une diminution de la mortalité liée à cette maladie.»

La suspicion d’un éventuel lien entre statines et cancer tire son origine d’une étude antérieure, PROSPER, parue dans la revue The Lancet en 2002. Menée sur près de 6000 personnes âgées de plus de 70 ans, elle a mesuré un nombre significativement plus grand de cancers nouvellement diagnostiqués chez les patients sous statines que chez ceux sous placebo.

«Cette première étude a probablement souffert d’un biais lié à l’âge avancé des patients enrôlés et du dépistage agressif dont ils ont fait l’objet», commente Gérard Waeber, professeur au Service de médecine interne du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Encore fallait-il le démontrer formellement. Les enjeux sont de taille: les statines, l’un des médicaments les plus utilisés dans le monde, sont administrés quotidiennement à des centaines de millions de personnes et génèrent des bénéfices colossaux dans l’entreprise pharmaceutique.

C’est ainsi que, quelques années plus tard, une vaste analyse comportant une vingtaine d’études indépendantes a permis d’apporter assez de données pour affirmer que, en fin de compte, les statines n’entraînent aucune augmentation du risque d’apparition du cancer. «L’étude danoise qui vient de paraître ajoute un élément supplémentaire, précise Gérard Waeber. Elle montre que ces médicaments anti cholestérol n’augmentent pas non plus la mortalité liée au cancer. Ce serait même le contraire, à en croire les auteurs.»

Gare à l’excès inverse

Le médecin vaudois insiste néanmoins sur le fait qu’il faut veiller à ne pas tomber dans l’excès inverse et, comme le laissent penser les conclusions de l’étude, se mettre à administrer des statines aux patients atteints du cancer dans le but de réduire les risques de décès liés à la maladie.

En réalité, le travail danois souffre lui aussi de sérieuses carences et il faut prendre ses conclusions avec un grain de sel. Un éditorial très sévère, signé par Neil Caporaso, un expert du National Cancer Institute des Etats-Unis, accompagne d’ailleurs l’article du NEJM et décrit clairement les limites de l’interprétation possible des résultats.

Le défaut le plus important du travail est celui d’avoir négligé de demander si les patients fument ou non. Ce n’est pas anodin. Le tabagisme fait partie des principaux facteurs de risques des maladies cardiovasculaires et de cancers. Les médecins exhortent même les personnes à qui l’on administre des statines d’arrêter de fumer sous peine anéantir l’effet du traitement.

Autre problème: la réduction de mortalité mesurée par les Danois est indépendante de la dose de statine consommée. Les auteurs de l’article en déduisent que cela «suggère que n’importe quelle dose suffit à réduire la mortalité auprès des patients atteints de cancer». Une affirmation qui demande, pour le moins, une confirmation indépendante, selon Neil Caporaso.

Ne pas renoncer aux statines

«Le message que les patients doivent retenir de cet article, c’est qu’ils ne doivent pas arrêter de prendre des statines – ni refuser de commencer un tel traitement – s’ils souffrent d’un cancer, conclut Gérard Waeber. En revanche, ils ne doivent pas espérer non plus que ce médicament les protégerait contre une éventuelle issue fatale. Rien ne permet encore de l’affirmer.»

Il y a quelques mois, pourtant, un autre travail, mené par des chercheurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich et paru dans le journal des Proceedings of the National Academy of Sciences du 4 septembre 2012, ont obtenu un résultat allant dans le même sens que celui des Danois. Dans leur recherche systématique de composés biochimiques permettant de prévenir les métastases et les rejets d’organes lors des transplantations, les auteurs de l’article sont tombés sur un médicament bien connu: les statines. Ces derniers, administrés à des cellules en culture, inhiberaient la croissance de nouveaux vaisseaux lymphatiques, canaux essentiels dans la dispersion des cellules cancéreuses dans le corps.

«Cette étude est encore très préliminaire, souligne Gérard Waeber. Elle n’apporte aucun élément convaincant concernant un éventuel effet protecteur contre les métastases chez de vrais patients.»

Le saviez-vous?

Le cholestérol est notre ami
  • Le cholestérol a une mauvaise réputation. En réalité, il est essentiel au bon fonctionnement du corps humain, notamment pour la fabrication d’hormones, de vitamine D ou encore d’acide biliaire qui aide à la digestion.
  • Il existe deux types de protéines chargées de véhiculer les molécules de cholestérol dans le sang: les lipoprotéines de basse densité (LDL, aussi appelées «mauvais» cholestérol) et les lipoprotéines de haute densité (HDL ou «bon» cholestérol). Un niveau trop élevé des premières ou trop bas des secondes augmente le risque d’obstruction des vaisseaux sanguins (athérosclérose) et de développement de maladies cardio-vasculaires.
  • Le foie et d’autres cellules du corps humain produisent les trois-quarts du cholestérol présent dans le sang. Le reste est apporté par l’alimentation. Parfois en trop grandes quantités.
  • Le taux de cholestérol peut être diminué en changeant de régime alimentaire, en augmentant son activité physique et en perdant du poids.
  • Certaines personnes, pour des raisons génétiques, produisent trop de cholestérol ou ne parviennent pas à en absorber suffisamment. Elles présentent des taux élevés de cette substance dans le sang même si leur régime est pauvre en cholestérol.
  • Les statines sont des médicaments qui bloquent la production des LDL dans le foie. Elles sont prescrites quand les mesures concernant le régime ou l’exercice physique s’avèrent insuffisantes.
Les statines sauvent des vies

L’effet protecteur de la classe de molécules appelée statine utilisée contre les maladies cardio-vasculaires n’est plus à démontrer, particulièrement dans le cas d’une prévention secondaire, c’est-à-dire pour éviter une récidive chez des personnes qui ont déjà eu une attaque. Chez ces patients, le risque de décès augmente entre deux et trois fois s’ils arrêtent leur traitement.

«Il faut traiter 43 patients pour sauver une vie, explique Gérard Waeber, professeur au Service de médecine interne du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). En termes de santé publique, le rapport entre le coût et l’efficacité des statines est donc positif. A tel point qu’il est devenu aujourd’hui impossible, du point de vue éthique, de monter une étude pour comparer l’effet des statines à celui d’un placebo. On ne peut plus que comparer de vrais médicaments entre eux.»

L’utilisation des statine est plus délicate en prévention primaire, c’est-à-dire chez des gens qui n’ont encore jamais souffert d’une maladie cardiovasculaire. Le traitement étant relativement cher et provoquant un certain nombre d’effets secondaires, il faut que le bénéfice soit suffisant pour que le jeu en vaille la chandelle. C’est pourquoi il n’est, en principe, proposé qu’aux patients qui présentent un risque cardiovasculaire global jugé intermédiaire, voire élevé. Ce jugement est basé sur l’âge, le sexe, le profil lipidique, la tension artérielle, le poids, le tabagisme, etc.

Les effets secondaires à travers les âges

Le débat sur la sécurité des statines, un médicament anti-cholestérol, fait rage depuis leur introduction sur le marché en 1987. Au début, on les accusait de provoquer des maux comme l’hypogonadisme, l’insuffisance cardiaque, la démence, les troubles oculaires, les troubles de la mémoire et même le cancer. De cette liste, il ne reste plus rien. Ce qui ne signifie pas que les statines sont dénuées d’effets secondaires. Au contraire.

L’effet secondaire le plus fréquent est celui de douleurs musculaires (myalgies), qui peuvent parfois être suffisamment gênantes pour conduire à un arrêt du traitement. Dans certains cas, un changement du type de statines permet de résoudre le problème.

Le traitement aux statines augmenterait aussi le risque de développer le diabète. Ce risque serait de l’ordre d’un cas pour 255 patients traités durant 4 ans. Dans le même temps, les statines auront réussi à éviter entre 5 et 6 événements cardiovasculaires, potentiellement létaux.

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