Les médicaments anticholestérol se retrouvent au coeur du débat

Dernière mise à jour 02/10/16 | Article
Statines
Si l’alimentation et l’activité physique sont les premières mesures à prendre en prévention primaire contre un taux trop élevé, la prise de statines peut s’avérer nécessaire et sauver des vies.

De quoi on parle

Le cholestérol serait accusé, à tort, de boucher les artères et les traitements pour le contenir feraient plus de mal que de bien. Tel est le message régulièrement relayé par certains journalistes, scientifiques et médecins. Le journal médical The Lancet vient de publier un article consacré aux statines, des médicaments qui font chuter le taux de cholestérol, censé clore le débat sur le sujet en montrant que le discours sceptique sur ces molécules avait causé de nombreux morts. Mais l’éditrice en chef du British Medical Journal a répliqué, demandant au gouvernement britannique une enquête indépendante. La confusion persiste chez les patients, qui préfèrent parfois arrêter leur traitement, au risque de se mettre en danger.

Livres, articles, documentaires: régulièrement des voix – souvent les mêmes – s’élèvent pour redire à quel point le cholestérol serait injustement stigmatisé, et rappeler l’inutilité, voire les dangers, des médicaments développés pour le combattre. Un discours bien rodé, qui sème le doute, et peut avoir des conséquences graves pour les patients qui, déroutés, préfèrent stopper net leur traitement. La récente opposition entre les rédactions de deux grandes revues scientifiques, The Lancet et le British Medical Journal, à propos des statines pourrait apporter de l’eau à ce moulin médiatique. 

Les statines ont été, il est vrai, prescrites massivement pendant une vingtaine d’années. Les premières études cliniques avaient en effet démontré une réduction importante du risque de récidive chez des personnes ayant déjà subi un infarctus ou un accident vasculaire cérébral (AVC); on parle alors de prévention secondaire. Elles ont aussi radicalement changé la vie des patients atteints d’hypercholestérolémie familiale. Du coup, les statines sont apparues comme le remède miracle contre ce qui reste la première cause de mortalité dans les pays développés. Et les prescriptions se sont étendues à la prévention primaire, c’est-à-dire pour des personnes sans maladie cardiovasculaire déclarée, mais avec un taux de cholestérol élevé. 

Depuis, de plus en plus de médecins, surtout en Europe, ont fait leur mea culpa, et plaident pour des prescriptions au cas par cas. «L’article publié dans The Lancet a passé en revue plus de 300 articles et fait le point sur les bénéfices de ces médicaments, explique François Mach, chef du service de cardiologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). C’est important de le faire car, oui, ces molécules sauvent des vies et sont indispensables en prévention secondaire; le nier reviendrait à dire que la Terre est plate. En revanche, en prévention primaire, il faut tout tenter avant de traiter.»

infog statines

Manger sainement et bouger

Les médecins considèrent toujours qu’il est nécessaire de surveiller le taux de cholestérol et, parfois, de le faire baisser. «Des études récentes et indépendantes confirment le bénéfice des statines pour réduire la survenue d’accidents cardiaques et vasculaires», confirme Nicolas Rodondi, médecin-chef de la Consultation des lipides et de la Polyclinique médicale de l’Hôpital universitaire de Berne. Mais désormais les recommandations indiquent, en première intention, de miser sur l’hygiène de vie: «Avoir une alimentation saine et bouger régulièrement peut suffire à réduire son risque, souligne Nicolas Rodondi. Mais il est vrai que le cholestérol total n’est effectivement pas un bon marqueur; c’est plus complexe, et on a sans doute eu tort de simplifier le message à l’extrême.» 

L’article du Lancet se veut également rassurant sur les effets secondaires des statines. En particulier, ces médicaments ne provoquent pas de cancers ou de pathologies cérébrales. «C’est important de dire qu’il n’y a pas d’effets secondaires sous forme de cancers, insiste François Mach. Beaucoup de patients ont été effrayés par ce qu’ils ont pu lire ou entendre, et ont cessé leur traitement.» Cet effet médiatique dénoncé dans The Lancet a été évalué. En France, des chercheurs ont ainsi calculé que la publication du livre «La vérité sur le cholestérol», du Pr Philippe Even, aurait provoqué près de 10 000 décès… 

Des effets secondaires, principalement des douleurs musculaires, existent cependant, et sont aujourd’hui avérés. «Tous les jours nous voyons des patients qui ne supportent pas bien leur traitement, il faut alors en discuter car il y a des solutions», souligne François Mach. Un avis partagé par Nicolas Rodondi, qui estime que «trop souvent les effets secondaires ont été sous-estimés lors des essais cliniques, dans de nombreux cas à cause de la manière même dont sont menées ces recherches». En effet, la sélection des patients inclus dans ces études est drastique et ne reflète pas les conditions de prescription de la vie réelle. «Seuls 2% des essais cliniques des quinze dernières années ont planifié à l’avance d’inclure des patients qui présentent plusieurs pathologies et prennent donc plusieurs traitements. Or ce sont eux que nous voyons au quotidien», déplore Nicolas Rodondi. 

C’est aussi un des points soulevés par la rédactrice en chef du British Medical Journal, qui motive sa demande d’une «revue indépendante» sur la balance bénéfice/risque des statines, en dehors de la prévention secondaire. Elle vient pour cela de saisir les autorités sanitaires anglaises.

Le sucre demeure l'autre grand ennemi des artères

Une enquête publiée en septembre dernier dans la revue scientifique JAMA Internal Medicine raconte comment l’industrie du sucre aurait œuvré aux Etats-Unis, dans les années 1960, pour discréditer des recherches sur l’impact cardiovasculaire des hydrates de carbone. Des documents, retrouvés par l’équipe de Cristin Kearns, suggèrent que des chercheurs de Harvard ont été soudoyés pour rédiger une revue de littérature «rassurante» sur les effets du sucre. 

Publié dans le très renommé New England Journal of Medicine, l’article a eu l’effet escompté, le sucre en est sorti blanchi, et l’attention s’est focalisée sur les graisses. Or il est prouvé aujourd’hui que plus les apports en hydrates de carbone sont élevés, plus les triglycérides augmentent et le HDL-cholestérol diminue, deux paramètres considérés comme des facteurs de risque cardiovasculaire. «Dans les études de cohorte, l’effet des sucres sur les maladies cardiovasculaires est principalement lié au gain de poids, ajoute Luc Tappy, médecin et professeur à l’Université de Lausanne. Mais on soupçonne également que le sucre en excès pourrait agir sur la paroi des vaisseaux en augmentant l’acide urique.» En favorisant la rétention de sel, le sucre pourrait également jouer un rôle dans l’hypertension artérielle. Or nos apports en sucre ont été multipliés par 50 en moins de trois siècles, rappelle Luc Tappy.

Anticorps pour les formes sévères 

Pendant que le débat sur les statines se poursuit, deux laboratoires pharmaceutiques préparent l’arrivée d’une nouvelle classe d’anticholestérol, les anti-PCSK9. Ces anticorps monoclonaux, qui s’injectent une fois par mois, sont en cours d’évaluation dans plusieurs centres hospitaliers dans le monde, dont les HUG. Ils ont déjà reçu une autorisation de mise sur le marché en Suisse pour les hypercholestérolémies familiales. Seront-ils les prochaines statines? «Sûrement pas, répond, catégorique, François Mach. Ces médicaments ciblent un petit groupe de patients, avec un risque très élevé, et chez lesquels les statines ne suffisent pas. Par ailleurs, le prix élevé de ces immunothérapies exclut d’emblée toute prescription à large échelle.» 

«Les bénéfices de ces médicaments en termes de réduction des infarctus et des AVC restent encore à démontrer», précise de son côté Nicolas Rodondi. Les résultats des études cliniques sur les événements cardiovasculaires ne sont pas attendus avant 2018. La sécurité de ces anticorps devra également être confirmée. Après la publication de résultats préliminaires, l’agence américaine du médicament (FDA) a demandé qu’une étude complémentaire, évaluant une éventuelle atteinte de la mémoire, soit réalisée.

Les effets secondaires seraient sous-estimés dans les essais cliniques

Les études cliniques ont pour but d’évaluer l’efficacité des nouvelles molécules, mais aussi de rapporter la nature et la fréquence des effets secondaires. Mais ces derniers seraient largement sous-estimés. C’est ce que concluent des chercheurs britanniques, qui viennent de publier leurs travaux dans la revue PLOS Medicine. Selon les auteurs, ce sont, en moyenne, 64% des effets secondaires qui seraient passés sous silence, avec une variabilité importante selon les études. Un nombre important de données ne serait pas pris en compte dans la version finale et publiée des essais.  

Afin d’améliorer la transparence sur les médicaments – et l’information disponible pour les médecins, les patients et les décideurs – les auteurs demandent donc que les laboratoires permettent aux chercheurs d’accéder aux résultats bruts, ainsi qu’aux protocoles des études cliniques.

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