Cancer du sein: faut-il se faire dépister?
Incidence du cancer du sein en Suisse
Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez la femme. En Suisse, on compte 5300 cas, et près de 1350 femmes en meurent, chaque année. Cette maladie touche des femmes de tous âges, mais en majorité (80%) les plus de 50 ans.
C’est le rapport du Swiss Medical Board, paru début février, qui a mis le feu aux poudres. La polémique soulevée sur la pertinence des programmes de dépistage du cancer du sein a aussi, et surtout, éveillé des doutes chez les principales concernées, comme le confirme la Drsse Béatrice Arzel, directrice de la Fondation genevoise de dépistage du cancer du sein: «Les femmes continuent à venir comme prévu, mais quelques radiologues travaillant dans le cadre du programme genevois de dépistage du cancer du sein ont constaté que ces derniers jours elles s’inquiétaient et posaient davantage de questions.»
Nous répondons donc à vos questions pour vous aider à y voir plus clair.
Le dépistage en 12 questions/réponses
- Pourquoi a-t-on mis en place le dépistage systématique du cancer du sein?
- A qui s’adresse le dépistage systématique?
- Comment s’effectue le dépistage?
- Le dépistage permet-il de déceler toutes les tumeurs?
- Quels sont les bénéfices du dépistage du cancer du sein?
- L’exposition des seins aux rayons X tous les deux ans ne peut-elle induire un cancer?
- Quels sont les risques et effets indésirables du dépistage?
- Quand reçoit-on le résultat de la mammographie?
- Pourquoi ne pas effectuer le dépistage chez mon médecin?
- Comment et dans quels cantons peut-on participer au dépistage systématique du cancer du sein?
- Qui paie les mammographies de dépistage?
- Où m’informer sur le dépistage du cancer du sein?
1. Pourquoi a-t-on mis en place le dépistage systématique du cancer du sein?
Au vu des connaissances actuelles, il n'existe pas de mesure permettant de prévenir la maladie avant qu’elle ne se déclare. Car on ne connaît pas encore l’ensemble des facteurs qui en sont responsables. Mais on sait toutefois lesquels favorisent la maladie: l’âge, le tabac, l’alcool, une mauvaise alimentation, le surpoids à la ménopause, certains traitements hormonaux (notamment ceux de substitution), ou encore les grossesses tardives. Dans seulement 5 à 10% des cas la cause est génétique.
C’est pourquoi, en Suisse et dans les pays occidentaux, on recourt à la prévention dite secondaire, soit au dépistage. Bien qu’il présente aussi des inconvénients (lire ci-dessous), il permet de diminuer la mortalité liée à la maladie et son impact dans la population, grâce à une détection précoce. La mammographie est le seul examen validé scientifiquement à ce jour pour un dépistage chez les femmes de plus de 50 ans.
D’ailleurs, peu d’interventions médicales ont fait l’objet d’autant d’études expérimentales rigoureuses que la mammographie. Plusieurs essais cliniques randomisés internationaux, incluant des dizaines de milliers de femmes, ont permis de conclure que le dépistage permet de diminuer la mortalité par cancer du sein de 20 à 30%.
En Suisse romande, la mortalité par cancer du sein a diminué de 35% entre 1995 et 2002 chez les femmes âgées de 55 à 74 ans. En Suisse alémanique, cette diminution n’est que de 14%. Selon la Pr Christine Bouchardy, directrice du Registre genevois des tumeurs et co-présidente de l'Institut national pour l'épidémiologie et l'enregistrement du cancer (NICER), cette évolution est due à l’introduction des programmes de dépistage systématique dans les cantons romands.
2. A qui s’adresse le dépistage systématique?
Les experts suisses et internationaux recommandent le dépistage systématique, tous les deux ans, aux femmes âgées entre 50 et 70 ans, asymptomatiques, en bonne santé, et n’ayant pas de prédispositions héréditaires (mère, sœur, etc. atteinte d’un cancer du sein). Chaque femme est libre de faire ou non l’examen. C’est à elle seule de décider si elle veut se faire dépister dans le cadre d’un programme cantonal ou à titre individuel chez son médecin.
La santé des femmes comme cible
«Les programmes de dépistage du cancer du sein sont régulièrement attaqués et remis en question, à peu près tous les deux ans», constate la Pr Christine Bouchardy, qui s’est engagée dès la première heure pour la mise en place de ces programmes et pour le remboursement des mammographies de dépistage par l’assurance maladie de base (LaMal). «Les droits de la femme, en matière de santé notamment, ne semblent jamais acquis», déplore aussi la Drsse Béatrice Arzel. Comme toutes les personnes travaillant dans la prévention du cancer du sein, les deux spécialistes ont été sidérées par le rapport du Swiss Medical Board. Sorti début février 2014, il a déclenché la polémique en affirmant qu’il fallait mettre fin aux programmes de dépistage du cancer du sein et ne pas en lancer de nouveaux. Leur inefficacité et leurs effets indésirables sont mis en cause dans ce rapport.
3. Comment s’effectue le dépistage?
Le dépistage se fait par mammographie, soit une radiographie des seins. Elle permet de déceler des tumeurs très petites avant même qu’on ne puisse les palper ou qu’elles ne se manifestent par d’autres symptômes.
Concrètement, l’un après l’autre, chaque sein est positionné et compressé entre deux plaques. On effectue deux clichés de chaque sein. Selon la taille de la poitrine et la sensibilité de la femme, la mammographie peut être plutôt désagréable, mais ne dure que quelques minutes.
4. Le dépistage permet-il de déceler toutes les tumeurs?
La mammographie permet de déceler environ 80% des tumeurs malignes du sein. Elle peut en détecter de très petites, qu’on ne saurait découvrir à la palpation, et qui n’ont généralement pas encore formé de métastases.
5. Quels sont les bénéfices du dépistage du cancer du sein?
Comme il permet de détecter même des tumeurs très petites, le dépistage permet leur découverte à un stade précoce. Or, la découverte de tumeurs à un stade plus avancé requiert généralement un traitement plus agressif et lourd (chimiothérapies, mastectomies (ablation du sein)). Le dépistage systématique augmente donc tant les chances de survie que celles de guérison de la femme atteinte.
Il permet de recourir à une chirurgie moins invasive et de réduire le nombre d’ablations du sein. On limite ainsi les conséquences négatives de telles interventions: retombées au niveau physique (effets secondaires, cicatrices, etc.), psychique (angoisse, stress, etc.), relationnel (et de couple) et professionnel (incapacité de travail, perte d’emploi) de la femme atteinte d’une tumeur au sein.
Par ailleurs, 95% des femmes dépistées chez qui on ne trouve pas de cancer se sentent ainsi rassurées. Ce qui ne signifie toutefois pas qu’elles ne doivent pas continuer à s’observer et à consulter un médecin si elles constatent quelque chose d’anormal dans l’intervalle (entre deux dépistages), car un cancer du sein peut se développer rapidement.
6. L’exposition des seins aux rayons X tous les deux ans peut-elle induire un cancer?
La compression du sein permet justement une réduction de la dose de radiations reçue et améliore la lisibilité des mammographies. Il s’agit d’un examen peu irradiant, soumis aux normes européennes en la matière. Des études menées aux Pays-Bas et transposables en Suisse ont montré que le risque de développer un cancer du sein radio-induit est 520 fois plus petit que celui de décéder d’un cancer d’origine naturelle. Un risque jugé négligeable au vu du nombre de cancers du sein dans la population suisse et du bénéfice du dépistage.
Suite à une évaluation dans les programmes de dépistage valaisan, vaudois et de quelques unités de radiologie genevoises en 2002, les experts ont par ailleurs établi, à titre comparatif, qu’un examen de dépistage (deux clichés par sein) délivre une dose de rayons radioactifs comparable à dix radiographies intra-orales dentaires. Une radiographie de l'abdomen irradie dix fois plus qu'un examen de dépistage.
Réduire l’exposition aux rayons X au maximum est d’ailleurs aussi une raison pour laquelle les instituts de radiologie agréés, et les appareils servant à effectuer les mammographies, sont soumis à un contrôle strict de qualité (lire plus loin).
7. Quels sont les risques et effets indésirables du dépistage?
Comme tout examen médical, une mammographie peut aboutir à des résultats erronés, tant dans le cadre d’un programme de dépistage systématique que lors d’un dépistage opportuniste (hors programme, à titre privé). L’examen peut ainsi conduire à des faux positifs, à des faux négatifs ou au surdiagnostic. Enfin, en effectuant le dépistage tous les deux ans, il n’est pas exclu que dans l’intervalle une tumeur apparaisse (cancer d’intervalle).
Faux positifs: la mammographie peut révéler une anomalie (lésion suspecte en apparence) alors qu’il n’y a pas de cancer du sein.
Sur 1000 femmes de 50 ans qui se soumettent, pendant 10 ans, à un dépistage tous les deux ans, 200 présenteront une anomalie. Chez 176 de ces femmes, les examens complémentaires (échographie, radiographie) révéleront qu’il s’agit d’une modification bénigne. Chez 24 autres, ils confirmeront l’existence d’une tumeur cancéreuse.
Faux négatifs: on estime qu’environ 1 à 5 femmes sur 1000 seront victimes d’un examen faussement négatif: la mammographie est déclarée normale alors que la femme est en réalité atteinte d’un cancer du sein.
Le nombre de résultats erronés peut être réduit lorsque les mammographies sont réalisées dans le cadre d’un programme soumis à un contrôle de la qualité (lire question 9).
Surdiagnostic: la mammographie pouvant déceler de très petites tumeurs, elle en détecte aussi qui n’auraient jamais posé de problème parce qu’elles n’évoluent que très lentement, voire pas du tout. Or, aujourd’hui il est encore impossible, lors du diagnostic, de prédire l’évolution d’une telle tumeur et de savoir si elle va poser un problème un jour, même si la recherche en la matière a fait des progrès notables. Généralement, on traite donc tous les cancers découverts. Sur 1000 femmes dépistées pendant 10 ans, on estime que 24 recevront un diagnostic de cancer, dont 4 un surdiagnostic.
Effets indésirables: les femmes qui auront une mammographie faussement anormale devront subir des examens complémentaires. Tant la découverte d’une telle anomalie que les examens supplémentaires, et l’attente jusqu’aux résultats définitifs, sont des facteurs potentiels d’anxiété, de stress et d’inconfort pour un certain nombre de femmes. Des effets négatifs que chacune vivra plus ou moins intensément, selon son caractère ou son histoire personnelle. Cependant, la majorité des femmes concernées le vit relativement bien, comme n’importe quel autre examen médical.
D’ailleurs, lorsque les examens complémentaires montrent qu’il n’y a pas de cancer, beaucoup de femmes se sentent surtout rassurées. Ce qui pèse également dans la balance face aux effets indésirables.
8. Quand reçoit-on le résultat de la mammographie?
Le résultat est communiqué dans les huit jours ouvrables, par écrit. Sur demande, il est également transmis au médecin traitant de la femme. En cas de craintes et de questions durant l’attente, les centres de dépistage restent à disposition pour en discuter et on peut bien sûr également s’adresser à son médecin traitant.
9. Pourquoi ne pas effectuer le dépistage chez mon médecin?
On peut faire le dépistage hors programme, en passant par son médecin traitant. Dès lors, l’assurance maladie de base ne le rembourse pas. Mais il est recommandé de le faire dans le cadre d’un programme de dépistage garant d’une qualité élevée, selon des normes nationales et internationales, pour les raisons suivantes:
- Seuls des instituts de radiologie agréés peuvent effectuer cet examen de dépistage systématique.
- Leurs appareils doivent correspondre à des normes de qualité très strictes et sont soumis à des contrôles réguliers.
- Les technicien(ne)s en radiologie médicale y sont spécialement formé(e)s pour positionner et compresser correctement le sein, réduisant ainsi tant le risque de mauvais clichés (et donc de lecture erronée) que la nécessité de devoir refaire un cliché et de réexposer les seins aux rayons X.
- Chaque cliché est systématiquement lu par deux radiologues indépendants, agréés et spécialement formés. Cela diminue aussi le risque d’erreur de lecture. En cas de désaccord entre les deux spécialistes, un troisième interviendra.
- Des formations continues, tenant compte des nouvelles connaissances, sont régulièrement organisées pour les technicien(ne)s et radiologues agréé(e)s.
La qualité du dépistage effectué chez un médecin privé ne peut, elle, pas être évaluée.
10. Comment et dans quels cantons peut-on participer au dépistage systématique du cancer du sein?
Toutes les femmes concernées, domiciliées dans un canton disposant d’un tel programme, reçoivent automatiquement une invitation personnelle à effectuer ce dépistage, tous les deux ans, dès l’âge de 50 ans. Si elles ne reçoivent pas invitation au programme elles peuvent en faire la demande.
A ce jour (février 2014), onze cantons, majoritairement romands, ont mis sur pied un programme de dépistage du cancer du sein, dont deux cette année (Bâle-Ville et Tessin). Les autres cantons sont: Berne (sans le Jura bernois), Jura-Neuchâtel-Jura bernois (BEJUNE,) Fribourg, Genève, Grisons, St. Gall, Thurgovie, Valais et Vaud.
Les cantons de Bâle-Campagne, Soleure et Lucerne planifient actuellement la mise en place d'un tel programme de dépistage.
11. Qui paie les mammographies de dépistage?
Les mammographies effectuées dans le cadre d’un programme de dépistage sont prises en charge par l’assurance de base (LaMal), sans franchise. Seule la participation de 10% (un peu moins de 20 CHF) est à la charge de la femme. Dans certains cantons la totalité des 200 CHF environ que coûte une mammographie est prise en charge par le canton ou la Ligue suisse contre le cancer.
Si c’est un médecin traitant (généraliste, gynécologue, etc.) qui prescrit un examen de dépistage, il n’est en revanche pas remboursé par l’assurance de base. En effet, seules les mammographies de diagnostic – si le médecin veut vérifier une petite anomalie constatée à la palpation, par exemple– prescrites hors programme sont remboursées dans ce cadre. Dans les cantons n’offrant pas de programme de dépistage, les femmes doivent donc payer l’examen de leur poche. Ou avoir un médecin consentant à prescrire un tel examen pour des raisons médicales.
12. Où m’informer sur le dépistage du cancer du sein?
Avec l’invitation à participer au dépistage, chaque femme reçoit une brochure d’information détaillée sur le déroulement de l’examen, ses bénéfices, risques et inconvénients. Elle peut également s’informer auprès de son médecin. Les programmes de dépistage cantonaux renseignent également volontiers les femmes qui veulent poser des questions avant de décider si elles souhaitent ou non faire ce dépistage.
Les sites internet des programmes cantonaux fournissent également des informations détaillées, tout comme le site de la Fédération suisse des programmes de dépistage du cancer, ainsi que la Ligue suisse contre le cancer.
En conclusion, comme l’a écrit dans le Bulletin des médecins suisses (2014; 95:6) le Pr Thomas Perneger, directeur du Service d’épidémiologie clinique aux HUG, en commentaire aux recommandations du Swiss Medical Board: «le dépistage par mammographie peut faire gagner des années de vie, mais aussi causer des soucis réels. En vaut-il la peine? La réponse appartient à chaque femme concernée. Les femmes suisses ne pourront exprimer leurs préférences que si le dépistage par mammographie demeure accessible.»
Références
NICER · Institut National pour l'Epidémiologie et l'Enregistrement du Cancer
Le dépistage du cancer du sein, brochure de la Ligue contre le cancer
Fédération suisse des programmes de dépistage du cancer
Dépistage du cancer du sein organisé : qu’en est-il de l’irradiation des patients, Revue Médicale Suisse No 2320
Prévention primaire et dépistage chez l’adulte: mise à jour 2014; Revue Médicale Suisse (2014; 10: 177-85)
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Chaque année en Suisse, environ 5500 femmes et environ 40 hommes développent un cancer du sein. Le cancer du sein est ainsi le cancer le plus fréquent dans la population féminine: il représente presque un tiers de tous les diagnostics de cancer chez la femme.