Trouver les clés des traitements des cancers devient un travail d’équipe
De quoi on parle
Dans le domaine des cancers, la tendance est de choisir pour chaque patient le traitement le mieux adapté au profil génétique de sa tumeur. Toutefois, la décision est devenue une tâche trop complexe pour être prise par les seuls oncologues. Elle nécessite de faire appel à une équipe aux compétences variées. C’est pour cette raison que le CHUV et les HUG, avec le soutien des fondations Philanthropia et Famsa, ont institué un colloque pluridisciplinaire, dit moléculaire, le tumor board, auquel les médias ont été récemment conviés. Une fois par semaine, des oncologues exerçant à l’hôpital ou en cabinet, des pathologistes, des bioinformaticiens, des spécialistes de la génomique et de l’oncologie médicale, examinent et discutent, par visioconférence, des cas de quelques patients ayant un cancer au stade avancé et proposent les meilleures options pour les prendre en charge.
Les cancers représentent la première cause de mortalité dans la population active, mais il y a malgré tout quelques bonnes raisons d’espérer. «Depuis deux décennies, la mortalité, toutes tumeurs confondues, diminue constamment et, aujourd’hui, la moitié des patients survivent à leur maladie au moins pendant dix ans, contre un quart seulement dans les années 2000», souligne Pierre-Yves Dietrich, médecin-chef du Département d’oncologie des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG). Cette bonne nouvelle est due à l’amélioration de l’éducation de la population, du dépistage et de la prévention, mais aussi aux avancées des thérapies, notamment de la chimiothérapie qui bénéficie de médicaments ciblés, et de l’apport de l’analyse moléculaire. Celle-ci est même devenue indispensable pour affiner le diagnostic puis, dans un nombre toujours plus grand de cas, pour traiter une personne en fonction des caractéristiques génétiques de sa tumeur.
Type et sous-type de cancer
«A mesure que la recherche avance, l’oncologie devient de plus en plus complexe, constate Pierre-Yves Dietrich. Quand j’étais étudiant en médecine, on connaissait deux types de leucémie, alors qu’aujourd’hui on en distingue une centaine». Pour ce cancer du sang, comme pour les autres, le diagnostic nécessite donc de «classer la tumeur dans la bonne catégorie ou sous-catégorie», précise Laura Rubbia-Brandt, médecin-cheffe du service de pathologie clinique aux HUG.
A ce stade, on fait appel à l’analyse moléculaire, car «il ne s’agit plus seulement d’observer les cellules cancéreuses au microscope pour connaître leurs caractéristiques, mais d’étudier de près leurs ADN et d’identifier son type d’altération», explique la pathologiste. Les gènes de la tumeur peuvent en effet porter des mutations (anomalies), être «amplifiés» (on en retrouve alors plusieurs copies dans l’ADN), avoir un système de contrôle de leur expression déréglé, etc.
Vient ensuite l’heure du choix du traitement «de première ligne». Si la chimiothérapie traditionnelle reste toujours de mise, un certain nombre de cancers bénéficient maintenant de traitements dits «ciblés», car ils s’attaquent spécifiquement à certaines protéines altérées de la tumeur. Encore faut-il s’assurer que ces dernières sont bien présentes, car sinon, le médicament n’a aucun effet et il peut même être néfaste.
Aujourd’hui «l’analyse génétique de certaines tumeurs fait partie de l’examen standard», souligne Pierre Chappuis, médecin-adjoint aux services d’oncologie et de médecine génétique des HUG. Dans certains cas, comme celui du mélanome, «on n’a même plus le droit de commencer un traitement sans cela, ajoute Pierre-Yves Dietrich. Car chez les 40% de patients qui ont des mutations dans un gène particulier (BRAF), les thérapies sont bénéfiques. Alors que chez les autres, les mêmes médicaments vont pousser les cellules cancéreuses à se développer à toute vitesse».
Plusieurs scénarios
Il reste que chez certaines personnes, dont les cas sont discutés dans le cadre des tumor boards, tous les traitements échouent et le cancer se répand dans d’autres organes sous forme de métastases ou il récidive. L’analyse moléculaire est alors à nouveau appelée à la rescousse pour orienter la prise en charge du patient, mais cette fois, elle est poussée beaucoup plus loin. Elle passe notamment par le séquençage de plusieurs dizaines de gènes qui vise à détecter des mutations beaucoup plus rares.
Plusieurs scénarios s’offrent alors aux spécialistes: soit ils constatent qu’ils ne disposent d’aucune nouvelle option pour traiter leur patient, soit ils le dirigent vers un essai clinique en cours dont il pourrait bénéficier. Ils peuvent aussi lui prescrire des médicaments «off label». On nomme ainsi des médicaments qui sont déjà autorisés et utilisés pour traiter un cancer donné, mais qui pourraient être employés pour lutter contre un autre. «On a en effet constaté qu’une même mutation génétique peut être présente dans des cancers affectant des organes différents», précise Pierre-Yves Dietrich. A titre d’exemple, il cite l’anomalie du gène HER2, cible thérapeutique pour certains cancers du sein, que l’on peut aussi retrouver dans des cancers de l’estomac.
L’analyse moléculaire des tumeurs représente donc une grande avancée en oncologie et elle est un élément clé de l’émergence de la médecine personnalisée. Mais «cette approche a ses limites», tient à souligner Pierre-Yves Dietrich, qui ne veut pas tromper les malades ni susciter chez eux de faux espoirs. Malgré tous les progrès réalisés en oncologie, «la moitié des personnes atteintes d’un cancer en décèdent encore». La lutte est donc loin d’être gagnée.
Des prédispositions héréditaires
Monsieur Y avait 50 ans quand on lui a diagnostiqué un cancer de la prostate, ce qui est très jeune pour souffrir de cette maladie. Bien qu’il ait été traité avec diverses thérapies, son cancer a récidivé et a formé des métastases dans les os. Sa tumeur a donc fait l’objet d’une analyse moléculaire très détaillée qui a révélé la présence de mutations dans un gène qui pourrait être transmissible de manière héréditaire et qui prédispose au développement de certains cancers. Outre un traitement mieux adapté à sa tumeur, «on peut aussi lui proposer un conseil génétique», constate Pierre Chapuis, médecin-adjoint aux services d’oncologie et de médecine génétique des HUG.
«Actuellement, 5 à 10% de tous les cancers sont liés à des prédispositions génétiques», précise le spécialiste. Si Monsieur Y est dans ce cas, «cela peut avoir un impact sur toute sa famille». Ce patient a en effet deux fils qui ont alors 50% de risques chacun d’avoir, eux aussi, des mutations dans leur ADN. Si les analyses sont négatives, ces hommes pourront être rassurés: ils auront, de même que leurs descendants, la même probabilité de souffrir de cette tumeur que la population générale. En revanche, «s’ils sont porteurs d’une mutation dans leur gène BRCA2, leur risque de développer un cancer de la prostate est de 30%, et les femmes de la famille ont un risque encore plus important de développer un cancer du sein ou de l’ovaire».
Ces personnes pourront alors bénéficier d’une surveillance et de mesures de prévention adaptées à leur risque.
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Paru dans Le Matin Dimanche du 05/11/2017.
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