Jeûne et chimiothérapie: un réel bienfait?
Selon de récentes découvertes très médiatisées, jeûner présenterait un réel bienfait lors de traitements oncologiques tels que la chimiothérapie. Bien que des études cliniques soient actuellement menées, rien ne permet pourtant de recommander ou de déconseiller formellement cette approche durant le protocole de soins. Quelles sont les données scientifiques actuelles en la matière, et quels bienfaits métaboliques sur le patient pourrait représenter le jeûne?
Du côté des cellules…
Principales concernées, ce sont les cellules qui donneraient lieu à ce phénomène. En effet, les cellules cancéreuses et les cellules saines réagiraient différemment au jeûne: les saines, privées notamment de glucose et d’acides aminés, développeraient une protection contre les agressions toxiques ou physiques. Les cellules atteintes auraient, en revanche, perdu cette capacité de résistance au stress, et de ce fait s’affaibliraient. Cette différence cellulaire serait le premier enjeu du jeûne, capable de «sauvegarder» les cellules saines et d’atténuer ainsi les effets secondaires de la chimiothérapie. Le stress oxydatif sensibilisant les cellules malades et préservant les cellules saines augmenterait ainsi les bénéfices des traitements oncologiques.
Jeûne ou régime(s)?
Aujourd’hui, il est encore difficile d’établir des études cliniques pour tester les effets du jeûne. Régime hypocalorique, pauvre en glucides et protéines, stimulant le métabolisme lipidique… Avec une durée variable et sans véritables critères standardisés, il s’agit en effet d’un phénomène difficilement évaluable. D’autant plus que la composition du régime n’est pas non plus clairement définie. Mais il a été constaté que les conséquences positives d’un changement alimentaire lors d’une chimiothérapie sembleraient tout aussi bien se produire lors de régimes partiels que lors d’un jeûne total.
Où en est la recherche?
Depuis une dizaine d’années, plusieurs études précliniques ont démontré une influence positive du jeûne concomitant à la chimiothérapie. Des essais cliniques réalisés sur des souris ont en effet conclu à une mortalité moindre lorsque ces dernières étaient mises à jeun, leurs cellules cancéreuses étant alors plus réceptives à l’effet toxique du traitement. Une diminution du volume de la tumeur a par ailleurs été constatée lorsque le traitement était, là encore, associé au jeûne. Ne pas s’alimenter activerait aussi des cellules anticancéreuses, suggérant un potentiel immunitaire capable d’optimiser les bénéfices thérapeutiques.
Quels résultats cliniques?
Plusieurs études ont aussi été menées auprès de patients. Au terme de périodes variables de jeûne –entre 56 et 140 heures–, des effets secondaires tels que fatigue et toxicité gastro-intestinales ont diminué, et aucune conséquence négative n’a été observée. D’autres études ont enfin conclu aux bénéfices sur la protection cellulaire d’un jeûne durant 56 heures, réparti durant et après le traitement.
Cependant, toutes ces données restent insuffisantes pour établir des recommandations. Type de diète, durée et temporalité restent en effet à définir précisément, et les éventuelles conséquences sur la qualité de vie des patients à évaluer. Il n’en reste pas moins que cellules cancéreuses et saines réagissent différemment, et font toujours l’objet de recherches qui ouvriront peut-être de nouvelles voies thérapeutiques pour combattre le cancer.
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Adapté de: «"Docteur, je jeûne lors de la chimiothérapie": illusion ou nouvelle réalité clinique?», Dr Mauro Frigeri, Pr Pierre-Yves Dietrich, Dr Alexandre Bodmer, Service d’oncologie, Département d’oncologie, HUG; Dre Marica Brnic-Bontognali, Scientifique alimentaire, Conférencière pour la Haute Ecole Spécialisée à distance Suisse, Dre Valeria Galetti, Scientifique alimentaire, Laboratoire de nutrition humaine, Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich. In Revue Médicale Suisse 2018;14:1034-6.