Un vaisseau spatial combat le cancer du sein
Terre, l’an 2824. Vous êtes un pilote employé par la société Bifrost Industries. Votre mission: parcourir la galaxie à bord de votre vaisseau et récolter un maximum d’éléments alpha, une substance miracle utilisée en médecine. Vous planifierez vos déplacements à l’aide de cartes stellaires, et devrez éviter les astéroïdes qui seront sur votre chemin. Bonne chance!
Sous ses airs de jeu vidéo classique – disponible gratuitement sur les smartphones et tablettes Android ou Apple –, Play to Cure: Genes in Space est en réalité une gigantesque expérience de science participative destinée à accélérer la recherche sur le cancer du sein. Sortie il y a un an à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le cancer, cette application a été imaginée par des cancérologues du Cancer Research UK, un institut de recherche britannique.
Pour comprendre comment fonctionne le jeu, il faut remonter aux liens intimes entre génétique et cancers du sein. Fondamentalement, tous les connaître permettrait de mieux comprendre la maladie. Et d’un point de vue clinique, cela permettrait de mieux soigner les patients. «Il existe une multitude de cancers du sein, confirme Khalil Zaman, oncologue au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et à la Clinique Bois-Cerf. Ils sont chacun associés à des gènes bien distincts; ils évoluent donc différemment et nécessitent des traitements spécifiques. Certains sont par exemple liés à des gènes du système hormonal, ce qui diminue les bénéfices de la chimiothérapie». D’où l’intérêt, pour les scientifiques, de connaître avec précision à quelles anomalies génétiques sont associés les différents types de cancers du sein: en analysant le génome d’une tumeur mammaire pour identifier les gènes actifs, les médecins pourraient déterminer rapidement et plus précisément de quel type de cancer il s’agit.
Avec les progrès réalisés en séquençage génétique, une telle analyse ne pose plus aucun problème. Grâce à des outils appelés puces à ADN, les chercheurs peuvent facilement étudier les gènes de milliers de tumeurs. Mais ils doivent alors faire face à une nouvelle difficulté: dans les milliards de graphiques générés, comment distinguer les modifications réellement impliquées dans le cancer des autres modifications, tenant du hasard? Le seul moyen est de comparer les échantillons tumoraux de milliers de patientes, afin de retrouver les gènes communs qui jouent véritablement un rôle. Les chercheurs ont évidemment pensé à confier la tâche à des logiciels informatiques. Mais ces derniers, bien que rapides, ne sont pas assez sûrs. Il faut donc faire appel à l’œil humain, qui peut repérer les anomalies génétiques subtiles avec une bonne précision, bien que très lentement. Comment dès lors accélérer la tâche?
C’est de là qu’est née l’idée de Cancer Research UK: confier ce travail à des centaines de milliers de joueurs afin d’accélérer le processus. Un message le rappelle d’ailleurs au lancement du jeu: «Trouver les marqueurs génétiques favorisant les cancers peut prendre des années. Genes in Space est un moyen d’y parvenir plus rapidement».
Le principe étant posé, il ne restait plus qu’une étape – et pas des moindres: rendre la tâche ludique et agréable pour les participants. Cancer Research UK a ainsi réuni des développeurs issus d’entreprises prestigieuses telles que Facebook, Google et Amazon. Ces derniers ont en quelque sorte «maquillé» les données brutes des puces à ADN en cartes stellaires, sur lesquelles naviguent les joueurs. Les zones du génome potentiellement intéressantes pour les chercheurs sont celles qui existent en plusieurs exemplaires (voir le schéma). Dans le jeu, ces régions deviennent des zones riches en éléments alpha, que le joueur doit récolter. Avant sa mission, celui-ci établit sur la carte un itinéraire qui lui permettra de récolter un maximum d’éléments alpha. De cette façon, le joueur indique, sans s’en rendre compte, quelles régions du génome sont potentiellement anormales. Les données sont ensuite envoyées à un serveur informatique et les scientifiques n’ont plus qu’à étudier directement ces anomalies, sans avoir à éplucher des millions de données au préalable.
Genes in Space aidera-t-il réellement la recherche contre le cancer? Pour Khalil Zaman, «l’idée est intéressante, car elle évite de passer des mois sur un outil informatique complexe et à la fiabilité limitée. Avec un nombre élevé de joueurs, on peut gommer les éventuelles erreurs et obtenir ainsi une bonne analyse». Et pour ce qui est du nombre de joueurs, pas de souci: l’application a été téléchargée 220 000 fois en un mois. De quoi analyser bon nombre de séquences ADN, à condition de faire un bon score.
Quand la science fait appel au public
Ce n’est pas la première fois que les scientifiques font appel au public pour leur donner un coup de main. Ce phénomène, appelé «sciences participatives» ou «sciences citoyennes», nous vient des pays anglo-saxons. A chaque fois le principe est le même: il faut donner un peu de son temps, ou de sa puissance de calcul informatique, pour contribuer à des projets que les scientifiques ne pourraient mener seuls, faute de temps ou de moyens. En voici quelques exemples.
En astronomie, le programme Galaxy Zoo demande aux internautes de classer des galaxies sur des images prises par des télescopes. Une tâche impossible à réaliser par un ordinateur. En biologie, on peut recenser les insectes ou les oiseaux vivant près de chez soi avec le programme Vigie Nature du Muséum d’histoire naturelle de Paris. Enfin, en physique, des volontaires ont mis leur ordinateur à contribution pour aider les physiciens du CERN à simuler des collisions de particules, processus qui demandent une énorme puissance de calcul.
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Chaque année en Suisse, environ 5500 femmes et environ 40 hommes développent un cancer du sein. Le cancer du sein est ainsi le cancer le plus fréquent dans la population féminine: il représente presque un tiers de tous les diagnostics de cancer chez la femme.