De tous les cancers, celui du poumon est le plus mortel
«C’est le tueur numéro un.» C’est avec cette formule lapidaire que Nicolas Mach, médecin adjoint au service d’oncologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), décrit le cancer des poumons. Car si c’est le troisième en nombre –on compte 3500 nouveaux cas par an en Suisse– c’est le plus mortel.
De quoi on parle
L’icône du football néerlandais, Johan Cruyff, 68 ans, est atteint d’un cancer au poumon. Celui que l’on surnommait le «Hollandais volant» était, rapportent les médias de son pays, un gros fumeur. Après une opération du cœur, il a toutefois arrêté la cigarette à 44 ans et a participé à une célèbre campagne publicitaire antitabac.
Il subit actuellement des tests médicaux dans un hôpital de Barcelone. Son entourage ne souhaite pas communiquer davantage à ce sujet pour protéger sa vie privée.
Chez les hommes, ce type de tumeur est en légère régression, mais il augmente en revanche chez les femmes, qui sont de plus en plus nombreuses à fumer. Certes, ce carcinome pulmonaire ou bronchique, comme on l’appelle aussi, peut être provoqué par le radon (gaz radioactif se formant naturellement dans les sols) ou par certains polluants. Mais le principal fauteur de troubles reste le tabac. Même si on cesse de fumer, «le risque de développer le cancer du poumon persiste pendant des dizaines d’années, précise l’oncologue. On estime qu’il diminue de moitié après dix ans.» Cela ne signifie pas que l’on est à l’abri, comme en témoigne le cas de l’ancien capitaine de l’équipe néerlandaise de foot, Johan Cruyff: avoir arrêté de fumer en 1991 n’a pas empêché l’apparition d’une tumeur au poumon.
Des formes variées
Il existe différents cancers du poumon. Tous se déclenchent dans les cellules qui tapissent les alvéoles pulmonaires ou les bronches. Lorsque ces cellules «sont exposées de manière répétée à des produits toxiques, elles sont la cible d’altérations génétiques qui provoquent des dérèglements conduisant au développement de tumeurs», explique Nicolas Mach. On distingue cependant les «cancers à petites cellules» des «cancers à non petites cellules» (qui touchent 80% des patients), lesquels se divisent eux-mêmes en trois sous-groupes.
Les traitements proposés dépendent du type de cancer et de son stade de développement. Lorsque la tumeur est localisée, on a le plus souvent recours à la chirurgie pour ôter la tumeur avec le lobe du poumon dans lequel elle s’est développée. Dans ce domaine, «le progrès majeur est la thoracoscopie, qui ne nécessite que trois petites incisions dans la paroi thoracique et est donc beaucoup moins invasive que la chirurgie ouverte», précise l’oncologue. En revanche, «lorsque la tumeur se présente avec des métastases ou atteint la plèvre (membrane qui recouvre les poumons et tapisse les parois du thorax, ndlr), une intervention chirurgicale n’améliore pas le contrôle de la maladie». Les patients sont alors traités à l’aide de la chimiothérapie, éventuellement complétée par une radiothérapie pour diminuer les douleurs. Dans ce cas, «la survie moyenne est d’environ quatorze mois», constate le spécialiste.
Un dépistage systématique semble difficile à mettre en place
Enrouement persistant, amaigrissement, douleurs thoraciques, etc. Les symptômes du cancer du poumon ne sont pas spécifiques et la maladie est souvent détectée par hasard. La plupart du temps la tumeur a déjà atteint un stade très avancé et est incurable lorsqu’elle est diagnostiquée. Il faudrait donc pouvoir la repérer bien plus tôt.
Faut-il alors proposer un dépistage systématique à tous les fumeurs de plus de 55 ans? La question se pose depuis qu’en 2011 une large étude réalisée par l’Institut national américain du cancer a conclu qu’en pratiquant pendant trois ans des examens au scanner thoracique, on réduisait la mortalité du cancer des poumons. «Sur trois cents personnes examinées, une était sauvée», explique Laurent Nicod, chef du service de pneumologie du CHUV.
Le spécialiste juge ces données «prometteuses», mais constate que cette technique d’imagerie donne de nombreux résultats faussement positifs. «Elle détecte aussi des séquelles de tuberculose ou de pneumonie qui n’ont rien à voir avec les tumeurs, explique-t-il. Certaines personnes sont donc inquiétées pour rien.» Selon lui, un tel dépistage «pourrait se justifier mais, s’il n’était pas pratiqué dans des centres hospitaliers spécialisés, il nécessiterait de nombreuses investigations de la part d’oncologues, de pneumologues et de chirurgiens et son coût serait difficilement supportable par les assurances». On peut aussi envisager de détecter des fragments de matériel génétique de cellules cancéreuses libérées dans le sang. Plusieurs équipes travaillent sur un dépistage à partir d’une prise de sang et elles ont obtenu «des résultats préliminaires intéressants», selon Laurent Nicod. Si ces promesses se confirmaient, on pourrait proposer aux personnes dont le test est positif un examen au scanner pour poursuivre les investigations. Mais «c’est encore de la musique d’avenir», prévient le pneumologue, qui estime toutefois que la technique pourrait être au point «d’ici à cinq ans».
Des thérapies ciblées
La distinction entre les différents types de tumeurs a pris toute son importance avec l’apparition récente des thérapies dites «ciblées». Environ 10% des personnes souffrant d’un cancer du poumon ont, en effet, des protéines anormales, car issues de gènes altérés, dans leurs cellules pulmonaires ou bronchiques. On dispose de plusieurs médicaments capables de s’attaquer spécifiquement à ces protéines dysfonctionnelles. De plus, ces nouveaux médicaments que l’on prend par voie orale sont bien moins lourds que la chimiothérapie.
Une autre stratégie est utilisée depuis peu: l’immunothérapie. Elle vise à booster les défenses naturelles de l’organisme. Le système immunitaire, qui s’attaque aux virus, bactéries et autres pathogènes infectant l’organisme, est aussi capable de lutter contre les cellules anormales que sont les cellules cancéreuses. Encore faut-il l’aider à accomplir cette tâche et, à cette fin, ont été développées de nouvelles molécules (des anticorps monoclonaux). Ces médicaments, déjà employés contre le mélanome (cancer de la peau), devraient prochainement être autorisés en Suisse. «Ils sont plus efficaces qu’une chimiothérapie de rattrapage après l’échec d’une première ligne de traitement.» Mais ils entraînent un risque accru de maladies auto-immunes.
Le cancer du poumon n’a pas les mêmes caractéristiques chez la femme
Longtemps considéré comme une maladie typiquement masculine, le cancer du poumon affecte de plus en plus de femmes. Mais chez elles, il semble différent. Ainsi, alors que la majorité des cancers du poumon apparaissent chez des hommes ayant fumé longtemps, la majorité des cancers survenant chez les non-fumeurs concerne les femmes qui ont, de plus, tendance à être diagnostiquées assez jeunes. Pourquoi?
On a évoqué le rôle «de l’équilibre hormonal, des traitements de substitution hormonale ou des différences dans certains mécanismes de réparation de l’ADN, répond Nicolas Mach, médecin adjoint au service d’oncologie des HUG. Les femmes répondent aussi mieux aux chimiothérapies, ce qui permet de leur administrer les médicaments aux doses adéquates.» Mais ce ne sont là que des hypothèses et l’explication réside sans doute «dans une constellation de divers facteurs», conclut l’oncologue.
Quoi qu’il en soit, conclut le Dr Mach, ces nouvelles thérapies «n’ont rien de magique. Elles permettent de prolonger la vie des patients de douze à vingt-quatre mois, mais n’ont qu’un impact très modeste sur la survie à long terme.» Il est vrai que lorsqu’elle est diagnostiquée, la maladie a déjà atteint la plupart du temps un stade avancé. D’où les efforts qui sont faits pour améliorer le dépistage. Mais en attendant, mieux vaut s’abstenir de fumer ou s’arrêter au plus vite.
Cancer du poumon: du nouveau pour le dépistage
L’immunothérapie, une arme contre le cancer du poumon
Facteurs de risque des maladies mortelles chez les femmes
Des protons pour ralentir le cancer du poumon
Cancer du poumon
Chaque année en Suisse, on dénombre environ 4100 nouveaux cas de cancer du poumon (carcinome bronchique), ce qui représente 10 % de toutes les maladies cancéreuses. Le cancer du poumon touche plus souvent les hommes (62 %) que les femmes (38 %). C’est le deuxième cancer le plus fréquent chez l’homme, et le troisième chez la femme. C’est aussi le plus meurtrier, avec 3100 décès par an.