Nouveaux horizons pour l’imagerie moléculaire
La médecine nucléaire est la référence aujourd’hui en imagerie moléculaire, mais les spécificités de l’IRM pourraient en élargir les possibilités. Des chercheurs de l’EPFL ont récemment découvert un procédé qui permet d’augmenter considérablement la sensibilité de cette technique, sans utiliser de substances artificielles.
Depuis la découverte des rayons X à la fin du XIXe siècle, l’imagerie médicale a connu bien des avancées techniques. Purement anatomique à ses débuts, elle est devenue également fonctionnelle, et il est maintenant possible de visualiser aussi bien l’activité des organes que leur structure. Pour aller plus loin, le challenge technique consiste aujourd’hui à mettre au point des techniques qui permettent d’évaluer cette activité à l’échelle moléculaire. Les travaux menés par l’équipe d’Arnaud Comment à l’Ecole polytechnique de Lausanne (EPFL), dont les résultats ont été publiés récemment dans la revue PNAS, pourraient marquer un tournant important dans cette direction.
Actuellement, la technique la plus utilisée en clinique pour étudier l’activité métabolique d’un tissu est la tomographie par émission de positons (TEP). Les cellules cancéreuses ayant une activité métabolique plus élevée que les cellules saines, elles consomment plus de sucre. Après injection d’un agent d’imagerie contenant une forme radioactive d’un analogue du glucose, il est alors possible de localiser une tumeur. La TEP ne permet cependant pas un bon repérage anatomique. La plupart du temps il faut donc coupler cette technique à un examen par scanner à rayons X.
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) présente des avantages majeurs par rapport à la TEP: sa résolution anatomique est bien meilleure et elle n’induit pas d’irradiation du patient, permettant ainsi de répéter l’examen sans danger pour un suivi clinique. Par ailleurs elle permet de différencier de manière spécifique, en utilisant la spectroscopie, les molécules observées.
Mais pour obtenir des informations sur le métabolisme des organes par IRM il est nécessaire d’injecter un produit de contraste, dont la sensibilité de détection pose encore problème. «Le signal détecté par un scanner IRM provient majoritairement des atomes d’hydrogène contenus dans les molécules d’eau, qui composent notre organisme à 70%, explique Jean-Noël Hyacinthe, professeur à la Haute Ecole de Santé de Genève et co-auteur de l’étude. Mais avec les techniques actuelles, sur un million de molécules d’eau, le scanner n’en détecte qu’une seule.» Une sensibilité suffisante pour fournir de très bonnes images, mais qui doit être améliorée pour permettre l’utilisation de l'IRM en imagerie moléculaire.
L’hyperpolarisation
C’est dans le but d’améliorer cette sensibilité que l’équipe d’Arnaud Comment, professeur à l’EPFL, s’est intéressée à un procédé appelé hyperpolarisation. «La polarisation des molécules représente, schématiquement, le nombre de molécules d’intérêt orientées dans le sens du champ magnétique du scanner IRM, explique le Pr Comment. L’hyperpolarisation permet de placer un maximum de particules dans la "bonne orientation" et donc d’augmenter considérablement le nombre de particules détectables.» La sensibilité après hyperpolarisation est 10 000 fois meilleure: «un seuil qui rend la technique suffisamment puissante pour devenir un outil de choix en imagerie moléculaire », souligne Jean-Noël Hyacinthe.
Il existe cependant un bémol à ce procédé. Outre une température extrêmement basse et un fort champ magnétique, pour hyperpolariser des atomes il faut ajouter des radicaux persistants. Or ces radicaux peuvent être toxiques une fois dans l’organisme du patient, il faut donc filtrer la solution du traceur hyperpolarisé avant de l’injecter. «Même après la filtration il n’est pas impossible qu’une faible quantité de radicaux soit toujours présente, relève Arnaud Comment. Mais c’est surtout la perte de temps que cette étape induit qui pose problème.» En effet le signal émis par le traceur n’est détectable que pendant une minute, chaque seconde est donc précieuse.
Pour améliorer la technique d’hyperpolarisation, les chercheurs de l’EPFL ont développé un protocole qui n’utilise plus de radicaux et rend donc inutile l’étape de filtration. «Les conditions de température et de champ magnétique restent similaires mais au lieu d’ajouter des radicaux nous utilisons de simples rayons ultraviolets, explique Arnaud Comment. Les radicaux produits par la lumière présentent l’avantage de s’éliminer naturellement lorsque la solution hyperpolarisée est réchauffée avant l’injection.» Moins de perte de signal et plus aucune toxicité pour le patient: le protocole semble prometteur.
«L’intérêt de cette découverte pour faire progresser l’imagerie moléculaire par IRM est incontestable, s’enthousiasme Luc Darasse, directeur de recherche au Laboratoire d’imagerie par résonance magnétique médicale et multi-modalités du CNRS. Développer cette modalité d’imagerie est un enjeu majeur du XXIe siècle, car elle permettra non seulement de définir de nouvelles cibles thérapeutiques mais surtout de proposer une médecine personnalisée aux patients.» Déterminer l’agressivité d’une tumeur, ajuster un traitement anti-cancéreux selon la réponse du patient, ou encore dépister de manière précoce l’insuffisance cardiaque sont autant d’applications rendues possibles par l’hyperpolarisation des traceurs. Les chercheurs de l’EPFL espèrent maintenant pouvoir commencer rapidement les premiers tests cliniques utilisant leur protocole.
Hyperpolarisation et cancer de la prostate
L’utilisation de molécules hyperpolarisées intéresse les scientifiques depuis plusieurs années déjà. L’équipe de Daniel Vigneron à l’Université de San Francisco a publié en 2013 les résultats d’un premier essai clinique mené chez des patients atteints d’un cancer de la prostate. Les chercheurs ont utilisé du pyruvate hyperpolarisé, la même molécule que celle employée par les chercheurs lausannois. Le pyruvate est un sucre naturellement présent dans l’organisme, et source d’énergie pour les cellules. « A cause d’une mutation génétique les cellules cancéreuses consomment plus de pyruvate que les cellules normales. Ceci induit une augmentation de la concentration de lactate (produit à partir du pyruvate) dans ces cellules», explique Daniel Vigneron. Après injection de pyruvate hyperpolarisé, l’IRM permet de quantifier non seulement le pyruvate utilisé par l’organe mais aussi le lactate produit, et donc de différencier cellules saines et cancéreuses. «Contrairement à la TEP, l’IRM permet de quantifier non seulement la molécule injectée mais aussi tous les produits qui découlent de son utilisation, souligne Daniel Vigneron. C’est un atout majeur de la méthode car cela apporte des informations précieuses sur le fonctionnement des cellules, et donc sur les pathologies ». Les résultats de l’étude attestent de la fiabilité de la technique: elle a confirmé la présence de tumeurs chez tous les patients atteints d’un cancer de la prostate et a surtout permis d’identifier comme cancéreuses des zones de l’organe jusque-là considérées comme saines. Employant pour l’instant du pyruvate hyperpolarisé en utilisant des radicaux persistants, les chercheurs américains se sont dits très intéressés par la découverte de l’EPFL, qui pourrait leur permettre d’augmenter l’efficacité de leur méthode.
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