Parentalité et couple, les liaisons dangereuses
Dr Robert Neuburger Dans le passé, les rôles étaient distribués. La mère était cheffe à la maison, elle prenait les décisions et le père filait travailler. Le soir, le père rentrait, la mère lui expliquait que Totorin s’était mal conduit. Totorin se ramassait une baffe et le rôle du père était plus ou moins accompli. A travers l’émancipation des femmes et, surtout, la désexualisation des rôles professionnels, le clivage entre la société féminine et la société masculine s’est progressivement estompé. En réalité, les pères avaient auparavant peu accès aux questions liées à l’éducation de leurs enfants. Ils se sont donc engouffrés dans la brèche qu’on leur offrait et sont devenus des mères comme les autres. Nous nous sommes aperçus que non seulement ça ne les dérangeait pas de s’occuper de l’éducation de leurs enfants mais qu’ils y prenaient un réel plaisir. En ce sens, les féministes se sont fait doubler. Les hommes ont commencé à revendiquer leurs rôles à la maison et les mères se sont retrouvées dépossédées. C’est ainsi que l’équipe parentale a commencé à se constituer. Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation où il y a «deux mères» à la maison, deux mères dans le sens désuet du terme.
Une usine avec deux patrons?
Précisément, ce qui a considérablement permis de développer la profession de thérapeute de couple ! Je reçois de plus en plus de personnes qui viennent me consulter pour des problèmes de couple alors qu’ils n’en ont en réalité pas. Ils ont des problèmes de parents qui finissent par retentir sur le couple. Et c’est logique. Lorsqu’un couple se forme, l’un ne va pas dire à l’autre «J’adore ton modèle éducatif». Ils sont poussés l’un vers l’autre pour d’autres motifs. Lorsque l’enfant ou les enfants arrivent, les parents prennent connaissance de leurs divergences. Madame possédera par exemple une vision éducative plus stricte que Monsieur. Plus Monsieur se montrera laxiste, plus Madame deviendra rigide et au bout d’un moment, la dynamique deviendra intenable. S’ensuivra une dispute qui se répercutera sur le couple et parfois de façon très pernicieuse, c’est-à-dire dans la chambre à coucher.
Peut-on réellement différencier les problèmes des parents de ceux du couple?
Absolument. La rétorsion devrait toujours se situer au même niveau que la dispute. Notons que le couple ne fait aujourd’hui plus partie de la famille. Il est par conséquent impératif de ne pas le confondre avec la vie de famille. Hélas, de nombreux conjoints ne donnent plus suffisamment de temps et d’attention à leur couple. Ils font des activités en famille, mais de moins en moins ensemble, ce qui est compréhensible au vu de la société dans laquelle nous vivons. Les grands-parents sont souvent absents, les baby-sitters coûtent cher et les deux parents travaillent. Le problème, c’est que si vous oubliez votre couple, votre couple, lui, ne vous oubliera pas. J’entends fréquemment mes patients me dire «Je ne me sens plus exister dans mon couple», «Je ne me sens plus exister en tant qu’homme ou en tant que femme». Et là, nous ne sommes plus très loin de la rupture. Non seulement l’équipe parentale génère des clashs de visions éducatives, mais elle tend aussi vers une fraternisation des liens et dès lors vers une désexualisation du couple. Je ne dis pas que le couple n’est qu’une affaire sexuelle, loin de là. Mais une des grandes fonctions du couple est justement de permettre à l’autre de se sentir homme ou de se sentir femme.
Que faire pour dompter les désaccords entre «les deux mères» à la maison?
Il existe à mon avis deux possibilités. La parentalité complémentaire, où chacun est en charge de ce qu’il sait faire, ou alors, et c’est ce que je prescris le plus souvent, la parentalité alternative. Un chef à la fois. Une semaine maman est responsable de toutes les décisions liées à la maison, la semaine suivante c’est papa. Et pendant que l’un est en charge, l’autre est en vacances parentales, au niveau décisionnel. Cela peut prendre un petit moment à être mis en pratique, mais ça marche et permet d’adoucir grand nombre de conflits. C’est une idée qui m’est venue en observant les couples divorcés qui ont des gardes partagées. La parentalité alternative est aussi un bon moyen d’éviter toute une série de manipulations. Lorsqu’un parent est en charge, l’enfant ne peut plus aller solliciter l’autre, lui demandant ce qui vient de lui être refusé. De plus, elle permet de diminuer les différences entre les visions éducatives de chacun. La mère devient moins rigide et le père moins laxiste, tout simplement parce qu’ils sont seuls en selle et n’agissent plus par rapport à ce que le conjoint dit ou fait, mais par rapport à ce dont l’enfant a besoin.
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Paru dans Planète Santé magazine N° 32 - Décembre 2018