La 3D, pas pour les moins de 6 ans
Aujourd’hui, les études scientifiques peinent à le dire. Mais par principe de précaution, il est recommandé d’éviter l’exposition des petits enfants à la 3D, car leurs capacités visuelles sont encore en phase de maturation. Pour les autres, il vaut mieux en limiter la durée. Par ailleurs, des effets indésirables liés à la 3D peuvent être révélateurs d’un problème ophtalmique, tant chez l’enfant que chez l’adulte.
La technologie 3D est maintenant partout. Elle se généralise de plus en plus dans les salles obscures et dans les jeux vidéos. Il est donc légitime de se poser la question: pourrait-elle nuire à la vision de nos enfants?
Le soupçon est né lorsque Nintendo, en mars 2011, a sorti sa console de jeu 3DS, assortie d’une mise en garde: les enfants de 0 à 6 ans ne devraient pas l’utiliser, car «une utilisation prolongée de la 3D peut altérer le développement de l'appareil visuel». L’avertissement avait fait du bruit, au point que divers organismes et chercheurs avaient enquêté pour savoir s’il existait des évidences scientifiques quant à la nocivité de cette technologie pour les plus jeunes.
Depuis, les recherches se poursuivent. Mais, «à ce jour, il n’existe aucune évidence scientifique affirmant que le visionnement de films 3D a une incidence négative sur la vision des enfants ou des adultes, explique le Dr Pierre-François Kaeser, spécialiste en ophtalmologie pédiatrique et responsable de l’Unité de strabologie à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin de Lausanne. L’avertissement sur les emballages de consoles de jeu ne s'appuie que sur l'application du principe de précaution face aux questions soulevées par ces nouvelles technologies.»
Pas de 3D avant 6 ans
Il est en revanche connu que, chez l’enfant, la capacité de percevoir le relief, appelée stéréopsie (lire encadré «Comment fonctionnent la stéréopsie et la technologie 3D»), se développe très tôt, principalement entre le 3e et le 6e mois. «Puis, cette capacité va s’affiner encore au cours des premières années de vie, sans que l’on sache exactement jusqu’à quel âge, souligne le Dr Kaeser. Si, lors des premiers mois, l’enfant souffre d’un problème sur un œil, la collaboration parfaite entre ses deux yeux, qui va permettre la perception fine du relief, ne pourra pas se développer correctement. Et il sera impossible de réactiver la stéréopsie par la suite, d’où un déficit dans la perception de la profondeur.»
«Vu qu’on ignore combien de temps dure le développement de la stéréopsie, il n’est actuellement pas possible de donner des recommandations précises sur l’âge à partir duquel le visionnement de la 3D sera inoffensif pour un enfant, poursuit le spécialiste. Il faut donc garder le principe de précaution sans toutefois diaboliser cette technologie. Il est ainsi raisonnable de ne pas recommander la visualisation prolongée d’images 3D jusqu’à l’âge de 6 ans.»
Personnes à risque
En matière de 3D, les jeunes enfants font donc partie de la population à risque. Car non seulement le développement de leur capacité de stéréopsie est encore en cours, mais les processus de mise au point automatique des yeux sur des objets à distance variable et la fixation d’un objet éloigné vers un objet rapproché ne sont pas encore matures.
«Certains évoquent également la possibilité que la visualisation prolongée d’images virtuelles en 3D par les enfants pourrait affecter leur capacité de différencier le monde réel du virtuel», ajoute le Dr Kaeser.
Autre groupe à risque: les personnes de tous âges (enfants compris), atteintes d’un trouble oculaire, notamment d’un trouble réfractif non corrigé (myopie, hypermétropie, etc.), de strabisme latent (devant être compensé par le cerveau pour percevoir les images en relief), ou de problèmes d’accommodation, etc. Ces personnes peuvent présenter davantage d’effets indésirables (lire plus loin) lors de la visualisation d’images en 3D. Ainsi, ne pas percevoir les reliefs ou ressentir une gêne importante peuvent être le signe d’une telle altération.
Enfin, comme pour toute source de lumière non constante, émise à un rythme plus ou moins soutenu, les appareils diffusant des images en 3D (téléviseurs, consoles de jeu, smartphones, tablettes numériques) présentent un risque de déclencher une crise d’épilepsie chez les personnes atteintes.
Bon à savoir: prévenir la myopie
L’utilisation accrue d’appareils électroniques en tous genres a augmenté le nombre de cas de myopie parmi les enfants, notamment parce qu’ils ont tendance à regarder les écrans de trop près. Pour prévenir cela, il est conseillé de veiller à ce que l’enfant garde au minimum entre ses yeux et l’écran une distance équivalente à la longueur de son avant-bras lorsqu’il appuie son menton sur sa main.
Effets indésirables transitoires
Dans la population générale, le visionnement d’images en 3D, qui sollicite fortement le système oculaire et le cerveau, peut entraîner des effets transitoires plus ou moins gênants selon l’individu et ses facultés visuelles. Il s’agit notamment de:
- Fatigue visuelle (asthénopie), pouvant provoquer:
– des douleurs oculaires et péri-oculaires;
– une sécheresse des yeux due à une baisse de la fréquence de clignement de paupières durant le visionnement;
– des maux de tête;
– une vision double. - Vertiges, notamment parce qu’à l’état naturel, la vue est liée également à la proprioception, soit à la perception de l’espace, du mouvement, du sens de l’équilibre et des sensations dans notre corps, qui forment un ensemble cohérent. Le visionnement en 3D découple les sensations corporelles de la vision. On voit le sol bouger de façon très réaliste, par exemple, mais on ne le sent pas sous ses pieds.
Dépistage indirect
«En quelque sorte, la technologie 3D permet indirectement le dépistage des troubles visuels du grand public, commente le Dr Kaeser. Les personnes qui souffrent des symptômes ci-dessus ou ne perçoivent pas ou mal le relief en visionnant des images en 3D devraient donc consulter un ophtalmologue.»
Et le spécialiste de conclure: «Le meilleur conseil à donner, tant aux parents de jeunes enfants qu’aux adultes, c’est d’agir avec bon sens, en faisant une utilisation raisonnable et limitée dans la durée de la 3D.»
Comment fonctionnent la stéréopsie et la technologie 3D
La capacité naturelle de percevoir du relief, en trois dimensions, repose sur deux mécanismes: la perception simultanée des objets par les deux yeux, et l’interprétation de l’image par le cerveau. C’est ce que l’on appelle la stéréopsie.
Pour avoir une bonne perception tridimensionnelle, les deux yeux doivent être bien alignés. Vu l’écart moyen de 6,5 cm entre les deux, chaque œil observe le même objet sous un angle différent et transmet ainsi au cerveau des images décalées horizontalement. C’est le cortex visuel qui fusionnera ces deux images (A et B) pour élaborer la sensation tridimensionnelle (C):
Comment la technologie 3D utilise la stéréopsie
Plus l’écart horizontal entre l’œil gauche et droit est grand, plus importante en sera l’impression de relief. C’est sur ce mécanisme naturel qu’est basée la technologie 3D, dans laquelle les images sont enregistrées par deux caméras juxtaposées, reproduisant chacune la vision d’un œil. Les images de chaque caméra restent séparées et sont projetées en alternance, à très haute fréquence, afin de donner la sensation d’une image en continu. Les images sont également polarisées différemment, afin que seul l’œil concerné puisse les percevoir –cela à l’aide de lunettes ou d’écrans spéciaux.
De plus, la technologie 3D va exagérer certains éléments pour augmenter encore l’impression de relief. On va ainsi amplifier les indices monoculaires (éléments destinés à chaque œil), notamment la taille des objets et les perspectives. Et rendre certains plans flous, demandant à l’œil d’augmenter encore l’accommodation naturelle, et accentuant du même coup l’impression de profondeur.
Pour en savoir plus:
«La stéréoscopie sur le devant de la scène», Pierre-François Kaeser, Georges Klainguti, Rev Med Suisse 2012;8:100-103.