Autant que possible, interdire les images en 3D avant l’âge de six ans

Il la réinvente et la démocratise. C’est précisément dans cette démocratisation que se niche le problème de santé publique et ophtalmologique. Cette problématique vient d’être abordée dans toutes ses dimensions par l’Agence nationale française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). «Face au développement rapide de nouvelles technologies audiovisuelles en 3D stéréoscopique (3Ds communément appelée 3D)», cette agence indépendante s’est autosaisie afin d’évaluer les risques sanitaires potentiels, liés à l’usage de ces technologies, notamment sur la vision humaine. Elle vient de publier une synthèse et les résultats détaillés de ses travaux.1
Et elle recommande «que les enfants de moins de 6 ans, dont le système visuel est immature, ne soient pas exposés à ces technologies». Elle y associe une autre recommandation: que l’utilisation de ces mêmes techniques par les enfants âgés de 6 à 13 ans soit, autant que faire se peut, «modérée». Elle fournit par ailleurs une série de recommandations pratiques afin de limiter les risques de fatigue visuelle pouvant être engendrée par ces technologies.
A la portée de tous
On connaît pour l’essentiel le contexte: le développement rapide, depuis environ une décennie, des nouvelles technologies audiovisuelles en 3D stéréoscopique.2 «Après l’importante progression de l’offre de films en 3D au cinéma depuis le milieu des années 2000, on assiste aujourd’hui au développement de l’offre de téléviseurs, d’ordinateurs, de consoles de jeux, de téléphones mobiles et autres équipements dotés de technologies 3D, rappelle l’Anses.
Les produits proposés utilisent des procédés qui n’impliquent plus nécessairement le port de lunettes spéciales, facilitant ainsi un large accès à ces technologies. Les systèmes audiovisuels en 3Ds trouvent aujourd’hui des applications aussi bien dans les secteurs domestiques que professionnels (simulateurs 3Ds par exemple)».
Le développement de ces technologies pose la question de leur impact éventuel sur la santé, et notamment sur la vision humaine, en cas d’exposition prolongée, et tout particulièrement pour les enfants et les adolescents. Certains ont d’ailleurs anticipé sur les risques. C’est ainsi que plusieurs fabricants de dispositifs équipés de technologies 3D ont émis des avertissements recommandant aux enfants d’éviter l’usage de ces produits. Mais que peuvent peser de tels avertissements quand on a pris la mesure de la dimension hypnotique (addictive) des images délivrées via cette technologie sur le cerveau humain?
Des symptômes oculaires, mais pas seulement
L’analyse de la littérature scientifique disponible a permis aux experts de l’Anses d’identifier différents symptômes potentiels liés à l’exposition aux interfaces audiovisuelles en 3D, résultant de la fatigue visuelle due au «conflit accommodation-vergence». Il faut ici savoir (ou rappeler aux intéressés ) que dans le monde réel, pour percevoir la profondeur et le relief, les yeux convergent vers le même objet et qu’ils accommodent (le cristallin de chaque œil se déforme pour obtenir une vision nette) à la distance de l’objet observé.
Or, on ignore le plus souvent que la technique de la restitution stéréoscopique (en 3Ds) ne permet pas de respecter ce principe physiologique. En d’autres termes, l’accommodation (sur un écran par exemple) et la vergence des yeux (sur un objet situé en avant ou en arrière-plan de cet écran) ne se font pas à la même distance.
La fatigue visuelle peut alors se traduire par une fatigue et des douleurs périoculaires, une sensation d’œil sec et/ou des troubles de la vision: vision double, sensibilité réduite aux contrastes spatiaux, diminution de l’acuité visuelle et de la rapidité de perception. La traduction peut aussi être extra-oculaire: maux de tête, douleurs au cou, maux de dos et aux épaules, baisses de performances dans les activités mentales et déficits de concentration.
«D’autres symptômes peuvent aussi apparaître, notamment des effets liés à l’équilibre postural (vertiges) ou des effets liés à l’appréciation du réel (altération de la perception de l’environnement), souligne l’Anses. Ces effets restent toutefois encore mal étudiés mais pourraient générer un risque accidentel ponctuel lié aux vertiges. Chez l’enfant (en particulier avant l’âge de 6 ans), des effets sanitaires plus marqués liés au «conflit accommodation-vergence» des yeux pourraient apparaître, du fait du développement actif du système visuel pendant cette période (accommodation, vergence, maturation des voies visuelles, etc.), et ce d’autant plus que la qualité des contenus 3D, en matière de confort visuel, s’avère très hétérogène, en dépit de l’existence de recommandations techniques.
Limiter l’exposition des enfants
C’est dans ce contexte que l’Anses formule ses recommandations. Elles consistent à «déconseiller l’exposition aux technologies 3D aux enfants de moins de 6 ans» et à préconiser un usage modéré entre 6 et 13 ans. Parents et jeunes utilisateurs devraient aussi être tout particulièrement attentifs aux possibles symptômes induits et plus ou moins rapidement ressentis et exprimés.
Cette agence ajoute que les personnes sujettes à certains troubles visuels (troubles d’accommodation, de vergence, etc.) et à des troubles de l’équilibre limitent elles aussi leur usage de ces technologies, «notamment dans des contextes d’exposition professionnelle». Compte tenu du «manque de données concernant l’exposition de la population aux technologies 3D», l’Anses recommande d’identifier les usages qui en sont faits ainsi que les populations concernées. Elle recommande aussi de mieux caractériser les expositions des différentes populations (adultes, enfants et adolescents, utilisateurs professionnels) et de mettre en place un fidèle suivi des expositions.
Ce n’est pas tout: il est possible de limiter la fatigue visuelle ou d’autres symptômes chez les utilisateurs de ce type de technologies. L’Anses recommande ainsi aux personnes ressentant des symptômes lors de l’exposition à des interfaces en 3D de limiter leur temps d’exposition et de consulter un ophtalmologiste afin de dépister d’éventuelles pathologies. Elle préconise aussi de ne pas se placer trop près de l’écran: plus le spectateur s’en éloigne, moins il subit de contraintes sur son système visuel.
Il faut encore respecter les instructions des constructeurs de dispositifs 3D et (le cas échéant) conserver ses corrections optiques pendant la visualisation de contenus en 3D. Il faudrait aussi, dans l’idéal, «que les créateurs de contenus 3D limitent les effets produits en respectant les recommandations techniques existantes visant à produire des contenus de qualité».
Pour finir, l’Anses incite à la sensibilisation les professionnels médicaux et paramédicaux de la petite enfance et les ophtalmologistes sur les mécanismes mis en jeu lors de la visualisation d’interfaces en 3D. Ils seront ainsi en mesure d’informer les parents des symptômes et risques potentiels mais aussi des moyens d’y remédier.
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Références
Paru dans la Revue Médicale Suisse, 2014;10:2226-2227. http://www.revmed.ch/rms/2014/RMS-N-451/Autant-que-possible-interdire-les-images-en-3D-avant-l-age-de-six-ans
1. Le rapport complet de l’Agence nationale française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail est disponible à l’adresse: www.anses.fr/fr/documents/AP2011sa0334Ra.pdf. La présidente du groupe de travail de l’Anses était le Pr Francine Béhar-Cohen, directeur médical de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin (Lausanne), directeur de recherche, équipe Inserm «Physiopathologie des maladies oculaires: Innovations thérapeutiques» – centre de recherche des Cordeliers (Paris). Le vice-président était Philippe Fuchs, professeur à «Mines ParisTech» (technologies stéréoscopiques, réalité virtuelle et réalité augmentée).
2. Le terme «3D» (pour vision en trois dimensions) est ambigu lorsqu’on parle des technologies audiovisuelles (télévision 3D, cinéma 3D, etc.) car la perception tridimensionnelle est également obtenue en affichant la même image pour les deux yeux de l’observateur. Cette problématique est exposée en détail dans la deuxième partie du rapport de l’Anses «introduction à l’interfaçage visuel». Si chaque œil de l’observateur voit une image différente de celle vue par l’autre œil, on parle d’interfaçage visuel stéréoscopique».

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