Les sodas deviennent des boissons non grata. Pourquoi?
Les sodas et la santé? Toute une histoire… Regardez cette affiche publicitaire américaine de 1934. On y voit une infirmière portant un plateau chargé d'une bouteille de soda et d'un verre. La publicité vante un breuvage «pur et sain». Slogan imparable: «Servi dans les plus grands hôpitaux». La publicité n'affirme certes pas que la boisson (sucrée au cola) est bonne pour la santé. Mais elle le laisse clairement entendre.
Obésité, diabète, caries
Depuis, la publicité pour ces boissons n’a jamais cessé. Puis les vents ont tourné. Le 2 avril dernier, l'Assemblée nationale française a interdit les «fontaines à soda» (ou free refill): «La mise à disposition en libre service, payant ou non, de fontaines proposant des boissons avec ajout de sucres ou d'édulcorants de synthèse est interdite en tous lieux ouverts au public ou recevant du public». Deux mois plus tard, c'est San Francisco qui emprunte le même chemin de la prohibition. La ville californienne serait en passe d'interdire la consommation de soda dans les lieux publics, et fera apposer des avertissements de santé sur toutes les bouteilles de soda («Attention, la consommation de boissons contenant des sucres ajoutés favorise le développement de l'obésité, du diabète et des caries dentaires»).
C’est là une première aux Etats-Unis. Depuis plusieurs années, des travaux médicaux et scientifiques mettent régulièrement en lumière les mille et une parts d'ombre de ces boissons gazeuses à succès, et les législateurs commencent à en prendre bonne note. Face aux maladies cardio-vasculaires (ce «mal du siècle» devenu la première cause de mortalité dans le monde), les décideurs politiques et sanitaires passent à l'offensive. A tel point que les amateurs de boissons sucrées et allégées peuvent s'interroger: est-il seulement possible de boire des sodas sans aussitôt mettre sa santé en danger?
Soda sucré, invention pharmaceutique
L'histoire du soda est, aussi, celle de formidables succès suivis d’une déchéance progressive. Comment cette boisson, fruit de la science et de l'imagination de plusieurs pharmaciens, s'est-elle peu à peu transformée en ennemi sanitaire?
La fin du XVIIIe voit la naissance de la «soda-water», l'eau gazeuse artificielle. L'homme peut désormais mettre en bouteille de l'eau «renforcée» au dioxyde de carbone (gaz carbonique). On prête alors à ces nouvelles eaux gazéifiées des vertus curatives. Elles seront d'ailleurs, dans un premier temps, vendues dans des pharmacies d’officine. La première usine de soda au monde ouvre ses portes en 1790 à Londres. Le succès est immédiatement au rendez-vous, mais il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour voir apparaître les grandes marques de sodas sucrés américains. Trois des recettes de sodas les plus populaires sont d'ailleurs élaborées par autant de pharmaciens!
Les breuvages «purs» et «sains» vantés par les publicités d'époque sont vite adoptés par une large fraction de la population. Les alchimistes du soda sont alors ans doute bien loin de se douter qu'ils viennent de livrer des millions de personnes au meilleur ennemi de l'humanité: le sucre. On ignore trop souvent que son pouvoir quasi-tranquillisant peut entraîner une forme de dépendance psychologique. Or avec les sodas il est désormais dans les verres, et en grande quantité. Bien des consommateurs ignorent (ou oublient) la teneur en saccharose de leurs boissons gazeuses favorites.
Danger: sucres cachés
C'est cette omniprésence insidieuse du sucre que pointent du doigt les médecins rejoints en cela par l'OMS: «La plupart des sucres consommés aujourd’hui sont "dissimulés" dans des aliments transformés qui ne sont généralement pas considérés comme sucrés. Par exemple, une cuillère à soupe de ketchup contient environ 4 grammes (à peu près une cuillère à café) de sucres libres et une canette de soda en contient jusqu’à 40 grammes (environ 10 cuillères à café)». Une quantité que l'Organisation juge beaucoup trop élevée: «Des données montrent que les adultes qui consomment moins de sucres sont plus minces et qu’une augmentation de la quantité des sucres dans l’alimentation entraîne une prise de poids. En outre, il ressort de travaux de recherche que les enfants qui consomment le plus de boissons sucrées ont une probabilité plus forte d’être en surcharge pondérale ou obèses que ceux qui en consomment peu.»
Scott Weiner, du Board of Supervisors de San Francisco, a voté il y a quelques jours en faveur des mesures anti-soda. Il souligne lui aussi l'importance des efforts de sensibilisation dans la lutte pour dissiper l'image parfois inoffensive de ces breuvages: «[Les étiquettes d'avertissement] montrent clairement que ces boissons ne sont pas inoffensives –bien au contraire». Nombre d'études réalisées au cours des dernières années lui donnent raison. Les sucres ajoutés présents dans les sodas représenteraient ainsi de véritables dangers pour le cœur et les artères; ils auraient en outre des conséquences psychologiques néfastes chez les enfants. Selon une étude de 2013 présentée devant l'American Heart Association, les boissons sucrées seraient associées à 180 000 morts prématurées chaque année dans le monde.
Quid des «light»?
De nombreux amateurs de soda soucieux de leur santé se tournent vers les versions «light», ou allégées, de leur marque favorite. Est-ce un bon compromis? Malheureusement, les chercheurs ne semblent pas de cet avis. Ces variantes, qui utilisent des édulcorants souvent à base d'aspartame, sont elles aussi pointées du doigt par plusieurs études. L'OMS rapporte ainsi que «les enfants qui consomment beaucoup de boissons édulcorées risquent davantage d’être en surpoids ou obèses que ceux qui en consomment peu».Quant à l'Inserm, il évoque, en France, une étude selon laquelle les risques de diabète de type 2 sont plus élevés chez les consommateurs de sodas «light» que chez les amateurs de sodas sucrés…
C’est dans ce contexte que les députés français ont voté en faveur d’une interdiction des «fontaines à soda» dans les espaces publics. Ils sont convaincus que les boissons contenant des édulcorants sucrés «contribuent au développement et au maintien d'une appétence pour la saveur sucrée». Leur solution? Face à l’envahissement du sucré ou du pseudo-sucré il faut faire la promotion de la consommation de l’«eau à volonté». Le salut ne résidant pas toujours dans l’interdiction, une autre solution est d’apprendre (d’enseigner) à parvenir à résister aux tentations du sucré.