Autisme régressif: un enfant de trois ans peut-il soudain régresser au point de «disparaître»?
Le diagnostic n'est tombé que plus tard. Owen souffrait d'une forme particulière d’autisme: un autisme dit «régressif ». Une forme qui, selon Suskind, affecterait environ un tiers des enfants souffrant de syndromes autistiques. «Contrairement aux enfants atteints depuis leur naissance, ceux qui appartiennent à ce sous-ensemble semblent normaux jusqu'à un certain âge –entre 18 et 36 mois. Puis ils se volatilisent», explique-t-il.
Craintes injustifiées
Ce sont ces dernières phrases qui ont alarmé mon amie; les trois ans de son fils approchent. «L'autisme régressif, c'est quoi, au juste?», m'a-t-elle écrit. Il faut préciser que dans son cercle de connaissances je suis l'experte de service pour tout ce qui touche à l'autisme (j'ai réalisé des travaux de recherche sur ces troubles et sur la régression autistique avant de devenir journaliste indépendante). «Moi qui pensais que nous étions sortis de la zone à risque!», a-t-elle ajouté.
Je suis sûre que de nombreux parents d'enfants en bas âge partagent cette inquiétude. C’est là une crainte tout à fait compréhensible – mais une crainte injustifiée. L'affirmation selon laquelle de nombreux enfants autistes connaîtraient un développement normal, avant de perdre la quasi-totalité de leurs aptitudes linguistiques, de leurs facultés sociales et de leurs capacités motrices, est tout simplement fausse, quoi qu'en disent de nombreux écrits. Il est temps de remettre les pendules à l'heure.
Pertes de capacités acquises
Le type d’anomalie du développement observé chez le fils de Suskind est particulièrement rare. Chez la plupart des enfants autistes, on peut détecter des symptômes au cours des deux premières années. Des études ont certes indiqué qu'environ un tiers des enfants autistes traversent ensuite une phase de régression, mais la plupart de ces enfants n’ont pas, auparavant, un développement véritablement normal. Ils souffrent de retards précoces, et perdent en outre fréquemment une partie des capacités qu'ils ont acquises.
D'études en études, les spécialistes parviennent à ces mêmes conclusions; ce fut mon cas en 2006, lorsque j'ai publié un article sur la régression. Et c'est le cas des chercheurs d'aujourd'hui. En règle générale, les pertes observées des acquis surviennent beaucoup plus tôt que chez Owen Suskind. Selon une récente méta-analyse de 28 études, l'âge moyen de la régression se situe peu après les 21 mois; les études spécialisées évoquent toutes un âge compris entre 15 et 30 mois.
Pas de «tout-ou-rien»
Il faut ajouter que de récents travaux de recherche indiquent clairement que la régression n'est pas un phénomène fondé sur le principe du tout-ou-rien. Une étude conduite auprès de 167 enfants présentant un trouble autistique a montré que la majorité d'entre eux avaient à la fois acquis et perdu certaines capacités pendant leurs deux premières années de vie.
Certains enfants n'ont perdu qu'une ou deux des quinze capacités observées dans le cadre de l'étude (principalement: l’acquis des premiers mots, la réaction à l'appel de leur nom et les sourires). D'autres en ont perdu beaucoup plus. Seuls 6% des enfants observés ont perdu l'ensemble des capacités qu'ils avaient acquises – ce qui fut le cas d'Owen. Or, chez certains de ces enfants, ces compétences n'étaient alors pas nombreuses.
Publicités anxiogènes
Le témoignage de Suskind – comme celui d'autres parents qui ont assisté à la terrible régression de leurs enfants – n'en est pas moins réel et marquant. Ma fille aura bientôt deux ans; elle est exubérante. Que se passerait-il si je la voyais «s'évanouir» de cette manière, du jour au lendemain? En tant que mère, il m'est difficile d'imaginer spectacle plus terrible.
Reste que ces cas sont des plus rares. En lisant l'histoire d'Owen, on pourrait croire que ce type de destin hors-norme est monnaie courante –et ce témoignage alimente involontairement la peur de l'autisme, une phobie déjà particulièrement développée. Une phobie que développent certains parents dès que leur enfant n'atteint pas toutes les étapes de son développement en temps et en heure. A mon avis, cette angoisse est en partie imputable aux campagnes de publicité anxiogènes des instituts de recherche et des organisations de défense des autistes; aux Etats-Unis, elles présentent souvent la prévalence de ce trouble avec un sensationnalisme injustifié.
Compassion et espoir
Le témoignage de Suskind devrait susciter la compassion mais aussi l'espoir. Car Owen, qui est un jeune adulte à présent, se porte remarquablement bien –ce qu'il doit en grande partie à la créativité et à la détermination de ses parents et de ses thérapeutes. En revanche, ce témoignage ne doit pas susciter la peur. Les parents se font déjà le plus souvent beaucoup de mauvais sang pour leurs enfants. N'ajoutons pas une inquiétude inutile à la longue liste de nos angoisses.